Quels enseignements tirer de la crise de la COVID ? Qu’a révélé principalement la pandémie du monde actuel lui-même, de notre époque, des mutations qui remuent de fond en comble la société mondiale ?
La crise a d’abord révélé une réalité géographique. Une épidémie qui naît quelque part sur la planète se diffuse en quelques semaines dans le monde entier. Elle a confirmé notre interdépendance, à un point que nous n’avions peut-être pas imaginé.
C’est vrai aussi en matière économique. Dans un monde globalisé, les chaînes de valeur traversent un grand nombre de frontières. Une crise perturbe ces chaînes et entraîne des effets sur l’économie globale. Et, en même temps, la crise a montré la résilience des processus productifs. Malgré une crise devenue mondiale, on ne relève pas de véritables problèmes d’approvisionnement, ni en France, ni ailleurs. Les grandes épidémies du passé étaient fréquemment suivies de famines, ce n’est plus le cas aujourd’hui.
La gestion de la crise a beaucoup reposé sur les institutions, les États, les collectivités locales. Devant le risque sanitaire, les populations se sont d’abord tournées vers la puissance publique, perçue comme la seule capable de coordonner les mesures de protection des populations. Cette crise a rappelé les attentes des citoyens vis-à-vis de ces institutions, et notamment leur fonction protectrice et régalienne.
Je retiens aussi de la période du confinement l’importance de certains métiers indispensables à la continuité de la vie de la Nation, et que cette crise a contribué à mettre en lumière. Au-delà des soignants, bien sûr, ce sont par exemple ceux qui ont fait tourner les centrales pour produire de l’électricité, ceux qui collectent et traitent les déchets, ceux qui s’assurent de la bonne distribution de l’eau courante et du traitement des eaux usées, ceux qui ont acheminé les biens de première nécessité pour que les magasins soient approvisionnés, etc. Autant de services que nous considérons comme acquis, mais qui n’existent que grâce à des hommes et des femmes qui ont été particulièrement mis à contribution pendant cette période.
Enfin, alors que le numérique a pris une place importante dans nos vies, la réduction de nos interactions sociales, jusqu’au confinement, nous rappelle le caractère essentiel des relations humaines dans la vie réelle.
Quelles leçons devons-nous tirer en priorité et quels axes de travail doivent devenir prioritaires ?
La première leçon que j’en tire est le besoin d’investir dans la prévision et dans la préparation des outils qui nous permettront de faire face aux crises futures. L’investissement dans les stocks de matériels, dans les organisations de gestion de crise est très rentable dans un monde où le coût des crises augmente exponentiellement. Le retour d’expérience doit nous permettre de progresser collectivement pour être encore mieux préparés à l’avenir.
La première leçon que j’en tire est le besoin d’investir dans la prévision et dans la préparation des outils qui nous permettront de faire face aux crises futures.
Au-delà de la gestion de crise, nous avons expérimenté à une large échelle de nouvelles méthodes de communication, de travail, d’échanges. Cette période aura fait évoluer les esprits, et je pense que l’organisation du travail peut sensiblement évoluer, notamment grâce au télétravail et aux outils numériques. C’est un gain en temps, en qualité de vie ; mais c’est aussi un axe de travail important pour la transition écologique, les émissions de gaz à effet de serre. Il faut faire évoluer nos pratiques, tout en étant attentif aux difficultés que cette organisation peut générer pour les personnes.
L’organisation du travail peut sensiblement évoluer, notamment grâce au télétravail et aux outils numériques.
Enfin, face à une crise d’une ampleur inédite, la réactivité, l’adaptation, et l’agilité des institutions, des entreprises et des personnes ont été remarquables. C’est un enseignement important pour notre fonctionnement hors temps de crise ; nous devons nous en souvenir car c’est une force incroyable que nous pouvons mettre à profit dans beaucoup d’autres domaines.
Cette crise a permis à l’humanité de faire l’expérience de l’interdépendance et de la solidarité de fait de tous avec tous, face aux risques mondialisés actuels (risques globaux climatiques et écologiques). Elle a illustré ce que pourraient être les crises liées à ces risques globaux (pertes de capacités de production agricole, appauvrissement généralisée de certaines zones, par exemple). Elle a souligné la nécessité d’une approche collective face aux grandes menaces (changement climatique et destruction de l’environnement). Qu’en pensez-vous ? N’est-ce pas une priorité de l’action nationale ? Que peut-on en déduire en termes d’actions prioritaires au niveau du MTE ?
Le ministère de la Transition écologique est, plus que d’autres, conscient de l’importance d’une approche collective et internationale, parce que les enjeux climatiques ou en matière de biodiversité sont, par essence, mondiaux, et nécessitent une coopération internationale. La sensibilité des opinions publiques à la problématique de la crise climatique peut être un excellent point d’appui. La crise a révélé l’acuité de cette approche et l’importance d’une réaction collective rapide. L’Union européenne a pu être critiquée par certains pour le temps de coordination nécessaire au début de l’épidémie, mais elle a montré une ambition et une capacité d’action incontestables sur le plan de relance.
Et en matière de gestion de la crise ?
La préparation d’un retour d’expérience de la gestion de la crise est tout à fait nécessaire, car celle-ci n’est certainement pas terminée, et car tout laisse prévoir de nouvelles crises de grande ampleur. Ce retex est certainement en préparation. Quelles seraient vos premières réflexions sur ce qu’il convient en priorité de corriger ? Et sur ce qui a bien fonctionné ? En particulier :
- La faiblesse de l’anticipation et de la préparation adaptée face à la crise (qui était quand même clairement prévue par plusieurs livres blancs) ;
- Le retard de la mobilisation face à l’épidémie ;
- Des réactions très efficaces sur le terrain ;
- Un dispositif trop exclusivement étatique (peu d’appels aux collectivités territoriales) ;
- Des structures de gestion (ARS) non adaptées à une gestion de crise.
S’il est clair qu’une réflexion doit être lancée concernant l’anticipation et la préparation aux crises, il faut faire attention à ne pas tomber dans l’illusion qui consiste à croire qu’on peut anticiper toutes les crises. Chaque crise est différente ; l’important est la méthode d’anticipation et de réaction, et les processus de gestion de crise, qui doivent être bien en place et connus de tous avant que la crise ne commence. C’est le sens des plans de continuité d’activité. Et, bien sûr, chaque crise est l’occasion d’apprendre, et la phase de retour d’expérience est essentielle pour compléter la méthode en fonction des enseignements. Enfin, c’est notre faculté collective d’agilité qui complète le dispositif, pour innover et nous adapter aux spécificités d’une nouvelle crise.
Lorsqu’une crise se profile à l’horizon, l’autorité publique doit naviguer entre deux écueils : si elle réagit trop vite ou trop fort, on l’accusera de sur-réagir ou d’être inutilement alarmiste. Si elle réagit plus tard ou de manière trop mesurée, elle sera accusée d’avoir du retard sur les faits, ou de ne pas avoir mobilisé les moyens appropriés.
Cette autorité publique, ce n’est pas uniquement l’Etat bien sûr, c’est l’ensemble des institutions. J’ai déjà mentionné l’Union européenne. Mais la logique de gestion de crise s’est appuyée sur une territorialisation de l’action, en particulier dans le cas de la Covid puisque la situation sanitaire n’est pas la même selon les départements. Les préfets en particulier ont été très mobilisés, et les collectivités locales ont été associées, par exemple sur les mesures dans les établissements scolaires. Elles ont bien sûr pris des initiatives, qui complétaient l’action de l’Etat.
Comment mieux assurer la défense de notre souveraineté ?
Nous avons tous douloureusement noté l’effet négatif d’un manque de souveraineté en matière de santé (dans la production de masques, de tests, de principes actifs de nombreux médicaments). Quels sont, parmi les secteurs industriels dont le MTE a la tutelle, les plus sensibles à cette perte de souveraineté ? Comment y remédier ?
La principale difficulté s’est manifestée en tout début de crise, sur l’approvisionnement en masques, notamment FFP2, pour les secteurs qui les utilisent au quotidien en tant qu’équipements de protection individuels, et qui ont pu rencontrer des difficultés avec la priorité donnée aux soignants, qu’ils reconnaissaient bien sûr comme parfaitement légitime. Cette difficulté a été rapidement résolue, dans le cadre d’un dialogue avec Santé publique France.
Pour les masques grand public, utilisés par tous, la priorité a notamment été donnée aux entreprises indispensables à la continuité de la vie de la Nation, et les secteurs industriels qui relèvent des politiques publiques du MTE en font partie : l’énergie, les transports de marchandises, les transports en commun, les déchets, la gestion de l’eau et de l’assainissement. Ces secteurs, en lien avec l’Etat, ont su s’organiser très rapidement.
Et je note par ailleurs que la filière textile française s’est mobilisée à une vitesse remarquable pour produire des masques grand public, nous avons donc en France les capacités de réaction et de résilience nécessaires.
D’une façon générale, une réflexion est bien sûr indispensable sur la relocalisation des activités stratégiques en tirant les leçons de cette crise. Le gouvernement a engagé cette réflexion.
La vitesse de propagation du virus a montré la face sombre de la mondialisation (avec l’éclatement sur toute la planète des chaînes de valeurs). La question des relocalisations se pose à nouveau pour de nombreuses productions. Qu’en pensez-vous ? Dans les secteurs dont le MTE a la charge, y a-t-il une volonté de relocalisation ? Comment y répondre, alors que, par exemple, certaines productions sont polluantes ?
Les secteurs industriels dans les domaines suivis par le MTE se préoccupent depuis longtemps de ces questions, et nos services travaillent régulièrement avec les services du ministère de l’Economie et ceux du Secrétariat général à la Défense et la Sécurité nationale dans le cadre des dispositifs destinés à conserver le contrôle des entreprises stratégiques. Dans des domaines comme l’énergie – et notamment le nucléaire – et des transports, c’est une attention permanente.
Associer les entreprises et les territoires au rebond nécessaire !
Les secteurs liés à l’écologie constituent des gisements de transformation de nos industries et des secteurs agricoles, des gisements de création d’entreprises, d’emplois et d’innovation.
Les territoires sont certainement les lieux où peuvent être mises en œuvre massivement ces transformations globales. Comment associer les territoires et les entreprises pour qu’ils créent ensemble des plans de transformation territoriaux ? Quelles démarches pourraient-elles être développées ? Quels sont les outils qui pourraient être mis au service de cette transformation globale ?
C’est précisément un des enjeux essentiels du ministère de la Transition écologique. La croissance économique et la transition écologique sont compatibles, à condition d’accompagner cette transformation. L’ensemble des dispositifs de soutien aux projets de transition écologique visent à créer les conditions de cette transformation, à travers des appels à projets, des mesures incitatives ou des actions sur les territoires.
La croissance économique et la transition écologique sont compatibles, à condition d’accompagner cette transformation.
Je pense notamment aux contrats de transition écologique, qui ont été lancés il y a deux ans, et qui associent l’Etat et les collectivités locales autour d’un projet de territoire. L’agence nationale de la Cohésion des territoires (ANCT) s’inscrit dans la même logique, avec une offre de service essentiellement territoriale. Les contrats de plan Etat-Régions (CPER), dont le renouvellement est en cours, prennent en compte les enjeux de transition écologique. L’Union européenne a également mis en place un fonds de transition juste, pour accompagner les évolutions liées à la transition écologique. Les exemples sont nombreux, et cette orientation territoriale se renforce de plus en plus.
L’adaptation au changement climatique est également une priorité, et répond justement aux enjeux de résilience aux crises. Une stratégie nationale d’adaptation au changement climatique existe en France depuis 2006, et a donné lieu à deux plans successifs d’adaptation ; le deuxième a été lancé en 2017. Il identifie les risques associés au changement climatique (inondations, crues, vagues de chaleur, sécheresse, etc.) et propose des solutions concrètes pour s’y préparer et en limiter les impacts.
Face à la multiplication, en dix ans, des crises de grande ampleur s’emboîtant les unes dans les autres (grande récession de 2008-2009, crise des dettes souveraines en Europe de 2012, terrorisme, grandes migrations, et maintenant crise sanitaire), quelle leçon tirer ? Ne pensez-vous pas qu’une approche globale et résiliente des risques est plus que jamais nécessaire ?
Dans le monde complexe qu’est le nôtre, les risques sont souvent interdépendants et les crises multidimensionnelles. Une approche globale et internationale est donc plus que jamais indispensable.
Les risques sont souvent interdépendants et les crises multidimensionnelles. Une approche globale et internationale est donc plus que jamais indispensable.
Chacun doit faire sa part ; chaque effort accompli bénéficie à tous, et chaque retard pris dans la mise en œuvre des mesures a un impact sur tous. Notre interdépendance doit conduire à notre solidarité.
Propos recueillis par Didier Raciné
Rédacteur en chef d’Alters Média
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