Didier Raciné

Librairie – Numéro 1 Alters Média

Cette rubrique permet de partager des analyses sur des ouvrages récents et particulièrement intéressants pour comprendre le temps présent, dans des champs aussi variés que possible. Le point de vue exprimé dans des textes courts et synthétiques n’engage que le rédacteur de la rubrique. Nous sommes intéressés à publier de telles analyses proposées par nos lecteurs.
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Didier Raciné

Géopolitique du COVID-19, Ce que nous révèle la crise du Coronavirus, Pascal Boniface, Eyrolles

La COVID-19 a certainement rendu plus net le paysage géopolitique actuel en accentuant les traits du positionnement des Etats-Unis et de la Chine, et en poussant l’Europe à prendre enfin quelques positions stratégiques. C’est le point de vue de Pascal Boniface qui souligne avec clarté que :

  • L’erreur à ne pas commettre serait de s’aligner sur les Etats-Unis dans leur conflit pour la suprématie mondiale avec la Chine.

« Nous sommes dans un cadre traditionnel de rivalité de puissances » vis-à-vis de la Chine souligne-t-il, et « nous ne devons pas devenir l’aide de camp d’un général qui nous maltraite dans un conflit où nous n’avons rien à gagner » ; « les Américains ne veulent pas accepter d’être dépassés par la Chine. C’est leur problème, pas le nôtre ».

  • Un « petit miracle » a eu lieu le 18 mai dernier, du fait de la décision de l’Allemagne d’accepter l’idée d’un emprunt européen mutualisé de 500 milliards d’euros, sur proposition française : l’Allemagne fait ainsi le choix de l’Europe. Il s’est confirmé le 27 mai avec le projet annoncé par la présidente de la Commission, Ursula von der Layen, « d’une Commission européenne géopolitique ».
    L’Europe pourrait ainsi cesser d’être seulement un « global payeur » pour chercher à devenir un « global player ». L’objectif d’une Europe allemande a été délaissée pour celui d’une Allemagne européenne.

Bifurquer « Il n’y a pas d’alternative », Sous la direction de Bernard Stiegler, Les Liens qui libèrent

Bernard Stiegler est décédé le 6 août de cette année. L’interview qu’il nous avait accordée début juillet, reproduite dans ce N°1 d’Alters Média, reprend beaucoup de thèmes développés dans son dernier ouvrage, Bifurquer, mais il est nécessaire, dans ce court espace, de préciser ce que représente la pensée de Bernard Stiegler pour notre époque :  

Bernard Stiegler est certainement le penseur des grandes mutations de notre temps, mutations technologiques dont il avait pensé les deux faces, les usages pervertis comme les usages libérateurs ; mutations écologiques et climatiques, et leurs cortèges de catastrophes ; mutations de l’économie et du travail à notre époque, contre lesquelles il apportait des modèles alternatifs.

C’est aussi un penseur qui ne se contentait pas de dénoncer, mais qui s’engageait, forgeait des concepts pour exprimer la nature profonde de ce qu’il dénonçait. Il proposait des solutions, des perspectives, des axes d’actions en rapport avec ces concepts. Qu’il s’agisse d’économie contributive ; de Collectif Internation, avec les concepts de localité, de nation et d’internation ; de « refonder l’informatique théorique », propositions qu’il devait lancer à Arles en août.

Bifurquer est un très bon texte pour rentrer dans la pensée de Bernard Stiegler, car il présente de façon détaillée et complète les très nombreux aspects de sa pensée. Associant sous sa direction un large collectif d’auteurs, l’ouvrage développe ces points dans des directions pratiques et théoriques très nouvelles.

C’est un très grand philosophe que nous avons perdu et un acteur très important de notre époque.

L’hégémonie contestée, Les nouvelles formes de domination internationale, Bertrand Badie, Odile Jacob

C’est à la suite d’une longue série d’échecs militaires (Vietnam, Irak, Afghanistan et Syrie), et alors que leur domination économique se trouve fortement contestée par la Chine, que Trump est élu à la présidence des Etats-Unis.

Que représente dès lors la politique américaine de cette période et que symbolise le « trumpisme » ? Cette question, posée par Bertrand Badie dans cet ouvrage important, est replacée dans un contexte plus large : comment évolue la domination internationale de nos jours ? Qu’est-ce que l’hégémonie dans l’Histoire ?

A sa thèse bien connue, selon laquelle « la contestation l’emporte sur l’hégémonie », l’auteur ajoute l’idée que « nous sommes rentrés dans une période de post-hégémon », où « un puissant néonationalisme se fait contestataire de la mondialisation », saisit tout le monde, et même, avec l’élection de Trump, l’hégémon américain lui-même « qui incarne désormais à son tour la contestation de la scène internationale ». C’est en quelque sorte une nouvelle déconstruction de la posture hégémonique ; « l’hégémonie dépérit sans qu’on lui substitue un modèle alternatif ».

Après une analyse serrée de cet hégémon contestataire où seuls les intérêts américains comptent, où « la quête du rang devient le point le plus sensible » – sorte d’« union forcée entre grandeur et repli égoïste » –, où sont dénoncés explicitement le « mondialisme, la gouvernance […], le contrôle international », c’est l’image d’un monde post-hégémonique que dresse Bertrand Badie. Un monde dans lequel « les notions de puissance et de pouvoir sont réinventées ». Sept paramètres sont identifiés pour suggérer la faillite du modèle hégémonique et aborder des pistes substitutives. Et l’auteur se livre à une analyse précise de la politique de la Chine, de sa vision de la mondialisation.

Cet ouvrage ouvre bien des pistes et des réflexions sur la nature de l’étape actuelle de l’Histoire, et sur ses perspectives à moyen et long terme.

La crise de la joie, Pierre Giorgini, Bayard

Pierre Giorgini définit son dernier ouvrage comme une lettre ouverte aux jeunes, une ode anti collapsologie.

A l’heure où les grandes transitions qui nous menacent peuvent conduire à des effondrements, où face aux discours sur l’effondrement ne « s’opposent » que des discours sur les marchés ou les illusions technicistes, l’ambition de ce livre est de chercher à donner espoir et sens à la jeunesse touchée par cette « crise de la joie ».

Cet ouvrage s’appuie sur des concepts philosophiques et scientifiques que sont l’entropie et son envers, la néguentropie ; l’anthropocène et l’entropocène ; le « calcul » à opposer aux notions de pensée, d’imagination et d’intuition pour bien différentier l’homme et la technique (l’IA par exemple), et ne pas réduire l’un à l’autre. Il développe l’idée centrale de « localités » ou « proximités signifiantes », où peut se créer de la complexité, de la néguentropie, où le vivant apparaît comme « une intrication de ‘localités’ à différents niveaux, où chacune optimise son équation entropique et contribue avec d’autres localités à faire système durable ».

Sur beaucoup de ces points, Pierre Giorgini se rapproche de la pensée de Bernard Stiegler, malheureusement décédé dans l’été. Il appelle lui aussi à un changement épistémologique.

Un complément important des précédents livres de Pierre Giorgini.

L’histoire du monde se fait en Asie, Une autre vision du XXe siècle, Pierre Grosser, Odile Jacob

Cette histoire du XXe siècle renouvelle profondément l’image que l’on se fait souvent en Europe de ce siècle violent. Pour nous, Européens, l’Europe est en effet le lieu des deux dernières guerres mondiales, et si l’on sait qu’il y a eu en parallèle une partie asiatique de ces conflits, on est très surpris d’apprendre que, dès le début du XXe siècle, « l’histoire du monde se fait en Asie », que ce qui se passe en Asie a eu dès cette époque une énorme influence sur les événements européens !

L’Asie est un continent pionnier dans le basculement du monde qui s’opère tout au long du XXe siècle, et qui continue de s’opérer actuellement : basculement lent, d’un XIXe où l’influence occidentale est vraiment dominante sur la planète, au XXIe siècle où se manifeste sur tout le globe la puissance chinoise et où ce sont « les grandes puissances qui pivotent vers l’Asie et l’Asie qui pivote vers le monde ».

Cette véritable somme passionnante nous fait vivre et comprendre autrement le XXe, et par là même le XXIe siècle qui commence. Indispensable pour l’analyse du temps présent.

Didier Raciné

Rédacteur en chef d’Alters Média

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