Renforcer massivement la culture du risque
Quelles ont été les réactions de l’AMRAE face à la crise ?
L’AMRAE a eu le souci (outre la protection de ses salariés), de soutenir ses membres en matière de gestion de crise par l’échange, le partage de bonnes pratiques, le conseil et de les représenter dans les discussions avec l’Etat et les assureurs.
Mais le premier constat à mettre en avant est que les entreprises qui ont investi dans le risk management ont été les plus résilientes, ont mieux amorti le choc et se sont les mieux adaptées aux nouvelles conditions. La crise a mis en valeur les fondamentaux du risk management.
Lors de la consultation publique de la direction générale du Trésor sur la gestion des risques exceptionnels pour les entreprises à Bercy et à propos des besoins d’assurance face à la pandémie, la position de l’AMRAE a été la suivante :
- Le marché actuel de l’assurance n’a pas une réponse adaptée aux problématiques des risques globaux exceptionnels.
- La priorité doit être donnée à une approche globale de gestion des risques par les entreprises. Pour pouvoir financer les risques exceptionnels, les entreprises doivent renforcer leur résilience opérationnelle et leur auto-assurance, et transférer à l’assureur les conséquences des risques qui dépassent leur propre capacité d’absorption des chocs.
- Ce sont les conditions du développement d’un véritable marché d’assurance de la perte d’exploitation sans dommage où l’Etat peut intervenir en cas de chocs extrêmes.
- La mise en place d’une couverture assurantielle face à des risques exceptionnels doit être un objectif prioritaire de la politique économique et de relance du gouvernement. Cependant, tout dispositif doit s’appuyer en priorité sur des mesures incitant à la résilience individuelle et à l’auto-assurance, afin de réduire son coût et de permettre son financement.
- Les entreprises appellent de leurs vœux une couverture de la perte d’exploitation sans dommage. L’AMRAE recommande un dispositif facultatif, dédié à la couverture des pertes d’exploitation sans dommages, ouvert à toutes les entreprises. Non limité au champ des seuls risques sanitaires, car les entreprises sont aujourd’hui exposées à de multiples périls globaux ou singuliers susceptibles d’arrêter leur activité sans causer de dommage matériel.
- Il faut renforcer les fonds propres, la capacité d’auto-assurance : produit de placement, provision comptable, captives.
Les entreprises qui ont investi dans le risk management ont été les plus résilientes, ont mieux amorti le choc et se sont les mieux adaptées.
Vous êtes aussi Manager des Risques du groupe Veolia : qu’est-ce que cela a changé pour les entreprises et pour leur stratégie ?
La crise a été un test de résilience de tous les acteurs. Ceux qui avaient investi dans le risk management ont eu un retour à la normale plus rapide que les autres. Pour Veolia, cela a été le cas. Mais d’autres ont aussi très bien réagi (par exemple, les restaurateurs qui sont très vite passés à la livraison). Personne n’avait anticipé une crise pandémique à ce niveau, mais ceux qui avaient bien préparé leurs réactions face aux crises, qui avaient mis en place des moyens de reprise (face à toutes crises) s’en sont mieux sortis.
Lors des Rencontres de l’AMRAE début février, Brigitte Bouquot, votre prédécesseur comme présidente de l’AMRAE, distinguait trois grands défis majeurs : la transition écologique, la révolution numérique et la croissance socialement juste. Cette pandémie a-t-elle changé les choses ?
Non, bien sûr, les enjeux globaux n’ont pas disparu ! Et la combinaison de la crise sanitaire à une crise cyber, par exemple qui pourrait considérablement amplifier la catastrophe, reste possible. Si beaucoup de certitudes ont volé en éclat, celle de l’importance du management des risques n’a pas bougé ! Au contraire, pour sortir de la crise il faut intégrer ces enjeux globaux, il faut anticiper sur ces changements en investissant fortement dans le développement durable, la relance verte, en construisant une économie plus solide, moins vulnérable, c’est-à-dire plus durable, plus verte, en trouvant des modèles nouveaux.
Pour sortir de la crise il faut intégrer ces enjeux globaux, anticiper sur ces changements en investissant dans le développement durable, la relance verte.
Ainsi, la révolution numérique ne fait que s’accélérer, et il faut continuer à investir dans cette direction : ceux qui n’avaient pas prévu le travail à distance ont été pénalisés. Ceux qui ont profité de la crise pour développer la formation des personnes (notamment à distance) ont progressé. Ces défis sont aussi des accélérateurs si l’on se prépare à les affronter.
Ce que l’on a appris dans la crise c’est le pouvoir de la collaboration : beaucoup de silos sont tombés. Il fallait réagir vite, transformer les horizons temporels, et cela poussait à ouvrir les cloisons. C’est d’ailleurs la mission des risk managers !
Ces silos sont-ils aussi tombés dans la société elle-même ? Dans les chaînes de valeur, entre filières, entre entreprises et territoires ?
Oui, par la mise en œuvre des Plans de continuité d’activité et de reprise, cela a été testé en réel, sans pour autant négliger la prudence, la maîtrise des risques. La culture du risque s’est beaucoup diffusée et cela laissera des traces : les échanges sur les risques dans l’entreprise et avec les risk managers se sont beaucoup approfondis, de même qu’entre risk managers. Le gouvernement ainsi que les territoires se sont beaucoup tournés vers les grandes entreprises pour savoir comment gérer la crise, le confinement et le déconfinement ; la résilience, c’est aussi la prise en compte des risques au niveau de l’écosystème au sens large, territoire compris. La RSE participe de cette approche de résilience.
La résilience a commencé à prendre un caractère plus positif : ce n’est plus revenir à la situation d’avant, c’est de plus en plus une résilience de l’écosystème, pour reconstruire plus solide et mieux. C’est casser les silos, dialoguer au sein de l’entreprise, avec les autres parties prenantes, (pas uniquement avec des relations commerciales), avec le territoire. C’est ce que l’AMRAE veut créer en lançant les Maisons du risk management.
En quoi va consister ces Maisons du risk management que va lancer l’AMRAE ?
Les Maisons du management des risques sont inscrites dans notre feuille de route : elles visent à créer du lien entre privé, public et gouvernants, autour de la question du management des risques, de la résilience, un lien continu et plus étroit, avec un nombre plus large d’interlocuteurs (courtiers, enseignants, consultants, responsables de territoires et d’entreprises, etc.). Nous voulons ouvrir de nouveaux locaux, notamment à Paris, mais aussi en province, où il existe déjà des Pôles régionaux. Ces Pôles sont déjà des Maisons locales. Les Rencontres restent bien sûr l’événement phare que chacun connaît, mais ces Maisons sont destinées à renforcer la culture du risque, promouvoir les fonctions des risk managers et positionner leur rôle au niveau du management stratégique. Leurs éléments forts seront la formation (pas que certifiante), les Journées ou Matinées avec des tables rondes, des événements qui s’appuieront sur un large pool de risk managers pour transmettre les fondamentaux de la gestion des risques, et construire un tissu économique réactif et résilient.
Les Maisons du management des risques sont inscrites dans notre feuille de route.
Brigitte Bouquot mentionnait, lors des Rencontres de février, l’importance d’une croissance socialement juste. Qu’en pensez-vous ?
La crise aura des conséquences économiques et sociales dont on ne mesure pas encore tous les impacts :
- L’instabilité politique figure certainement parmi les conséquences possibles. Les gouvernants se tournent de plus en plus vers l’entreprise pour relancer au niveau économique, assurer la stabilité sociale. Il faut que l’entreprise soit de plus en plus acteur dans l’élaboration de cette relance. Il faut aussi fournir les moyens de cette relance.
- Il existe des conséquences plus sournoises, et nous voyons des traces de risques psychosociaux, longs à venir, mais à surveiller, au niveau RH notamment. Le risque du télétravailleur complètement désocialisé par le travail à distance ne doit pas être sous-estimé. Certaines entreprises souhaitent basculer vers 100 % de travail à distance et cela aura de lourdes conséquences : que va devenir la culture de l’entreprise, si l’on perd le lien avec les travailleurs ? Le risque de fracture social s’approfondira entre ceux qui peuvent travailler à distance et les autres. Que vont devenir les relations avec les clients ? Comment accueillir les nouveaux collaborateurs ? Comment développer la créativité et le travail transversal dans ces conditions ? Il faut faire revenir les employés et ne pas négliger les risques à long terme de cette relation à distance.
L’AMRAE peut-elle envisager de mener des études au niveau national ?
C’est son rôle. L’AMRAE est un Forum d’échange, un coordinateur qui réunit des personnes clés autour de divers problèmes, pour définir des normes, des standards, institutionnaliser les choses. Notamment avec les assureurs et les réassureurs, qui ont une vision globale. Notre rôle est de casser les silos, au sein des entreprises, mais aussi les silos que constituent les entreprises elles-mêmes au sein de la société.
Les travaux d’étude, et plus largement tout projet qui permette d’aller vers un avenir plus résilient, de structurer et de contribuer au renforcement du management des risques nous intéressent. Y compris les travaux menés en relation à la fois avec les entreprises et les territoires.
L’idée d’un Observatoire de la Résilience des Territoires et des Entreprises lancée par Veolia pourrait-elle être un exemple d’application et de réalisation ?
Oui. L’AMRAE réalise des études de cas et, en poursuivant sa réflexion, cherche à imaginer et tester la réalisation des idées. Que seraient les cartographies des risques et leur évaluation, si cela ne donnait pas lieu à des actions (correction, prévention, contrôle, etc.) ?
L’Observatoire de la Résilience des Territoires et des Entreprises est un exemple précis : l’AMRAE part d’un horizon large. Il existe de la place pour de tels projets structurants, pilotes. Elle est là pour soutenir, collaborer à des projets qui structurent, organisent et orchestrent l’avenir. Pas pour se refermer.
Propos recueillis par Didier Raciné
Rédacteur en chef d’Alters Média
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