En cette année d’élections européennes et de renouvellement des principaux responsables de l‘Union, l’enjeu est d’importance pour plus d’un demi-milliard de citoyens européens1 car ces élections se déroulent sur fond de questionnements de plus en plus explicites dont la base est certainement la question du « Qui sommes-nous ? » Y a-t-il, en effet, une identité européenne ? Si oui, quelle est-elle ? Mais est-ce, finalement, une question pertinente ?
C’est sur cette interrogation fondamentale que Philippe Cabestan2 tente d’apporter un éclairage à défaut de pouvoir donner une réponse simple (qui alors serait simpliste !) car toute réponse à cette question doit d’abord balayer les illusions en la matière pour établir ce que, de fait, nous partageons et qui est susceptible de nous unir. Puisque l’Union européenne existe, que des structures la soutiennent, que des institutions la gèrent et que des lois l’ordonnent, pour constituer un vaste ensemble communautaire, alors, par les Traités3 qui lui en confèrent la réalité juridique, la citoyenneté européenne renforce l’existence de cette communauté de peuples et de pays qui partagent, volens nolens, cette identité complexe. Face à des interrogations qui se radicalisent parfois jusqu’au rejet, il est essentiel de se demander s’il existe effectivement une citoyenneté européenne au-delà de son inscription dans les traités et, si tel est le cas, comment on doit la faire vivre et la renforcer4 .
La citoyenneté européenne est un grand projet, capable de donner un nouvel élan politique à la construction européenne en devenant le laboratoire d’une citoyenneté moderne. Pour l’instant, les droits des citoyens sont de portée limitée et manquent de symboles forts, les obligations sont peu perceptibles, la participation politique connaît des limites, et là où elle s’exerce, elle reste faible. L’appartenance à l’Union ressemble encore à une identité conditionnelle de rechange ou de complément.
Pourtant, bien au-delà des difficultés les plus voyantes qui font craindre pour l’avenir de l’Europe, le problème le plus important à résoudre pour que l’Europe trouve un second souffle, c’est de maintenir et vivifier la volonté d’union face aux grands changements dans le monde, tant sur le plan de la sécurité que face au phénomène migratoire ou encore aux intérêts des grandes puissances qui ne sont pas forcément les mêmes que ceux des Européens5. Car l’Europe avance en termes d’intégration, malgré l’euroscepticisme ambiant. C’est vrai de l’intégration en matière de droit6 et c’est vrai en matière d’éducation7.
L’UE, en effet, ayant son propre droit possède conséquemment sa propre juridiction. De plus, nombreux sont les litiges qui, soit dans le sens Europe versus nation ou nation versus Europe, ou encore citoyen contre un état ou état contre citoyen, trouvent une solution qui n’eût pu se faire jour sans l’Union. La force de l’Europe n’est-elle pas l’attraction qu’elle exerce en tant qu’ensemble régulé par le droit et garantissant la paix à ceux qui y adhèrent ? Il en va de même en ce qui concerne l’éducation, domaine qui, en principe, relève de la subsidiarité, mais qui, dans les faits, échappe peu à peu et en partie, aux nations dans l’intérêt des premiers concernés que sont les jeunes européens.
Avec la création en 1981 de la Direction générale de l’éducation, de l’emploi et des questions sociales, il est bien clair que l’Union a compris qu’il y a là un enjeu de premier plan, même s’il s’agit d’abord du marché du travail. Mais il s’agit bien, dans le Traité de Maastricht, de faire en sorte que chaque fois que l’Union peut faire davantage qu’une nation isolée, il a été convenu que l’action communautaire peut appuyer et compléter, si nécessaire, l’action des États membres et cela grâce à la création d’une nouvelle Direction générale de l’Éducation, de la Formation et de la Jeunesse. Les objectifs d’amélioration des systèmes éducatifs proposés par l’Europe recueillent l’adhésion de tous les pays d’autant que les évaluations internationales mettent le doigt sur les faiblesses de tel ou tel système. Certes ces évaluations doivent être considérées à leur juste valeur et non comme outils de classement, et servir à remédier à des défauts et non à instaurer des culpabilités8. Toujours est-il que des dispositifs comme Erasmus ou le processus de Bologne qui rend compatibles les cursus universitaires des pays européens, constituent, aujourd’hui et pour l’avenir, un puissant moyen d’intégration européenne. Malheureusement, le souci de l’union intégratrice passe trop souvent au second plan et après les préoccupations politiciennes, comme on l’a vu encore, en France, lors de ces dernières élections européennes.
Autre puissant outil d’union, parce que garant de liberté et d’égalité, est le principe de laïcité si diversement compris entre les pays de l’Europe. En tant qu’il est propre à permettre la disparition d’un certain nombre de privilèges et à réduire les fractures internes des populations, il donne la méthode de réalisation d’une égale dignité entre les humains comme le prévoit la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à laquelle tous les pays de l’Union adhèrent obligatoirement9.
D’abord communauté économique entre six pays, fondée sur la base d’une volonté de renoncement au repli derrière des frontières fauteuses de guerres plus meurtrières les unes que les autres, l’Europe s’est développée pour devenir l’Union européenne qui dépasse toujours davantage la simple facilitation marchande. En français, c’est comme si le mot « commerce » avait agi sur le fondement culturel subconscient des gens et que le sens profond de ce mot remontait peu à peu à la conscience et que, de nouveau, reléguant les conflits aux issues tragiques, il pouvait s’employer comme jadis : « avoir commerce avec quelqu’un », avant que l’expression ne se déprécie dans l’unique commerce sexuel !
Mais il s’agit bien de relier les hommes et les peuples sur des intérêts communs et des valeurs universelles plus fortes et plus élevées que les dissensions qui isolent dans la rancœur étriquée du refus de l’autre. Et pour emprunter une citation à l’un de nos auteurs, nous dirons avec Jean Monnet : « Nous ne coalisons pas des États, nous unissons des hommes. »
Michel Payen
1 Eurostat 2016.
2 Voir l’article de Philippe Cabestan : « Comment peut-on être européen ? » p. 17
3 Traité de Maastricht, 1992.
4 Voir l’article de Michel Payen : « La citoyenneté européenne et le principe de laïcité » p. 37
5 Voir l’article d’Yves Bertoncini : « « Après les élections du 26 mai 2019, quel avenir pour l’Union Européenne ? » p. 147
6 Voir l’article de Christophe Soulard : « La place du juge dans la construction d’une Europe du droit » p. 75
7 Voir l’article de Pierre Maurel : « L’Europe et l’éducation : une relation ambiguë » p. 101.
8 Voir l’article de Christine Barré-de Miniac : « Que retenir des évaluations internationales des compétences des élèves ? Le cas de la lecture. » p. 123.
9 Voir l’article de Martine Cerf : « Europe et laïcité » p. 55 et la note de lecture de Michel Payen concernant le Dictionnaire amoureux de la laïcité de Henri Pena-Ruiz p. 181.