Eau-Santé/COVID-19 : pertinence d’une stratégie régionale en Méditerranée

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Lorsque l’on évoque le lien (ou Nexus) eau/santé dans le contexte du COVID-19 , on évoque de fait le cadre d’action de ce qu’on appelle « WASH ». Qu’est-ce que WASH ?

Trois secteurs : eau, assainissement et hygiene (WASH : Water, Sanitation and Hygiene). Une approche holistique, car ces composantes interagissent et font système. Une politique publique globale et un cadre international pour la mise en  oeuvre d’un programme porté par l’OMS, l’UNICEF et des institutions financières internationales. Nous choisissons l’approche par la « policy », centrée sur les pays de la rive sud et est de la Méditerranée, qui dans ce domaine se doit d’être multidimensionnelle du fait de cette complexité systémique. WASH est un système d’acteurs publics intervenant dans différentes sphères, de parties prenantes diverses, d’incitations réglementaires financières et fiscales qui interagissent pour produire un service d’eau sécurisé garantissant la santé de la population.

Selon les organisations onusiennes et les institutions financières internationales, le « maillon faible » est l’assainissement et le traitement des eaux usées, même si durant cette décade de nombreux progrés ont été faits.

COVID-19 pèse sur la gestion de l’eau et de l’assainissement et de fait sur le secteur de la santé dans les pays concernés. Ceci crée une opportunité pour promouvoir un cadre régional, qui soit un accélérateur de politiques permettant de sécuriser et d’améliorer l’accès des populations à la santé. Un assainissement non sécurisé crée des risques sanitaires importants qui accroissent la vulnérabilité des populations.

Le cadre régional des actions de politique publique vise plutôt  à consolider les initiatives à moyen-long terme. Pourquoi ?

Une réponse critique dans le court terme centrée sur les interventions de sortie de crise serait envisageable si un certain nombre de pays seraient prêts à déléguer quelques segments de politique publique ; comme la stratégie européenne d’achat des vaccins anti-COVID. C’est inenvisageable dans l’aire méditerranéenne (contrairement à ce qui va peut-être pouvoir se passer en Afrique). Cependant on sera amené à examiner ce qui serait possible dans le cadre d’un dispositif financier ad hoc, en tant qu’hypothèse. L’action publique concernant le troisième pillier de WASH, l’hygiène, pourrait constituer une option, comme par exemple le financement de plans de modernisation des toilettes dans les établissements scolaires ou les hopitaux et centres médicaux.

À moyen-long terme, une stratégie régionale peut faciliter et accélérer une politique d’investissement de mise à niveau de l’offre d’assainissement et de traitement innovant des eaux usées, associée à une stratégie de partage des « bonnes pratiques » et d’évaluation des cas d’investissement exemplaires. Aussi, l’Agenda financier devient l’ élément clé d’une telle stratégie régionale. L’accès partiel à un assainissement sécurisé a potentiellement un impact négatif sur la santé. La mise à niveau de tels investissements constitue l’élément clé d’une stratégie régionale ambitieuse. La pandémie n’a fait que souligner l’urgence de cette mise à niveau.

Quelles données clé et quels défis ?

– Aujourd’hui, dans les pays de la rive sud et est de la Méditerranée, plus de 5,7 millions urbains et 10,6 millions de ruraux n’ont pas accés à des systèmes d’assainissement sécurisés, du fait de multiples facteurs, notamment :

– la faiblesse des équipements dans les bourgs ruraux,

– l’importance des migrations des ruraux vers les villes,

– un nombre important de déplacés du fait des conflits,

– une croissance incontrôlée de l’habitat informel et des bidonvilles.

– Le coût économique d’un assainissement non sécurisé est estimé par l’OMS à 0,7 % du PIB dans le Maghreb. Selon IFC, les dépenses d’investissement selon IFC diminueront de 7 % par an en 2020/22.

– Des défis en Méditerranée principalement de gouvernance publique.

Plus globalement, les pays du Sud/Est méditerranéen font face à des défis de l’ordre de la « policy »: cohérence des actions publiques, efficience des stratégies de financement, multi-dimensionalité de la gouvernance, que révèle de manière accrue la COVID-19.

– Identifier des interactions et synergies entre l’économique, le social, l’environnemental et le sanitaire dans le cadre du système WASH est la condition pour améliorer l’efficacité des politiques publiques. Ceci suppose une remise en cause des politiques en silos, un puissant engagement gouvernemental et l’émergence d’un leadership dans la gouvernance du système. En d’autres termes, comment une stratégie intégrée peut être mise en oeuvre , alors que les institutions en charge du secteur de l’eau sont distribuées entre différentes entités, soumises à différentes réglementations suivant l’usage final de l’eau. Ceci relève d’une cohérence que l’on  qualifierait d’« horizontale », qui assure une synergie entre les différents domaines d’action publique tout en minimisant les objectifs contradictoires, et de « verticale », car WASH suppose de fait un alignement des Objectifs de développement durables (ODD), dont l’objectif 6 (accès à l’eau et à un assainissement sécurisés) interagit avec d’autres ODD. Ceci suppose une cohérence en particulier des interventions des institutions internationales, qui peuvent être des « leviers » pour les politiques publiques nationales et qui s’impose avec d’autant plus de force du fait de la pandémie. Des marges de progression sont importantes d’après les rapports de Jeffrey Sachs, de l’ONU, de la Banque mondiale et de l’OCDE.

– Il existe un non-alignement entre des réponses de court terme, qui sont focalisées sur des mesures (y compris d’investissement) de sortie de crise  et des perspectives de moyen-long terme, qui sont focalisées sur le soutien à des investisements d’infrastructure, par nature coûteux. Comment assurer un continuum ? Une stratégie financière qui promeut  des solutions techniques innovantes économes du point de vue de leur coût, stabilise leur « modèle économique » et assure un certain continuum entre réponses d’urgence et perspectives à moyen terme.

– Le système WASH implique une compréhension globale de la nature d’ un tel réseau d’institutions, d’acteurs et d’incitations réglementaires, chacunes avec leur propre dynamique. Une fragmentation sectorielle du système WASH, qui renforce ces dynamiques « autocentrées », peut présenter de réelles difficultés dans la conduite de la politique publique. Par ailleurs, l’approche centrée sur les besoins d’infrastructure dans le secteur de l’assainissement, qui est le chemin quasi exclusif en Méditerranée, devrait être complétée par une approche centrée sur le service. Cette démarche requiert un effort concerté entre parties prenantes, un cadre cohérent pour la mobilisation des ressources et des approches, en particulier technologiques, innovantes. La prise en compte de l’interaction de l’ensemble des parties prenantes et du lien innovations-usagers détermineront la qualité et la fiabilité du système.

– De ce fait, s’il y a des recommandations de politique publique à promouvoir, celles-ci concernent quatre axes d’action.

– L’assainissement doit être reconnu comme un domaine d’action par nature multisectoriel et faire l’objet d’une réelle priorité financière. C’est la recommandation clé. Cela a un impact puissant sur la santé des populations. Les institutions qui en assurent le leadership doivent développer des mécanismes de coordination, de planification opérationnelle et de suivi/évaluation, comme cela se fait, par exemple, en matière de santé publique. Cela suppose de se centrer sur la qualité du service, qui intègre les besoins d’investissement, mais au-delà, les conditions d’accessibilité du service.

Par ailleurs, un défi majeur est ce qu’on appelle le « tracking » des sources de financement et l’identification des instruments financiers mobilisables. Le financement domestique ne peut être dans ces pays l’unique source de financements, qu’ils soient budgétaires, fiscaux ou même bancaires. Les bailleurs internationaux et ce qu’on appelle les banque de développement domestiques doivent être incités à rééquilibrer leurs engagements financiers en faveur de l’assainissement et du traitement des eaux usées. Aujourd’hui, selon l’ONU et le Conseil mondial de l’eau, le financement de l’assainissement est de moitié par rapport à celui de l’accès à l’eau potable, alors que les besoins sont plus importants. Ce rééquilibrage doit ne pas se focaliser exclusivement sur les investissements en tant que tels (même si l’on peut comprendre que la décision de financement d’un bailleur est en règle générale soumise à la qualité de la contrepartie, dans le cas d’un investissement ceci est facilement appréhendable), mais sur des stratégies qui intègrent l’ensemble des composantes du système WASH, en Opex (Operational expenditures) et Capex (Capital expenditures).

Le momentum actuel dans les organisations internationales constitue une réelle fenêtre d’opportunité, après qu’un certain nombre d’institutions financières internationales aient appelé à une action concertée en ce domaine au travers d’un appel pour une « Water Finance  Coalition » focalisée sur la question de l’eau, au Sommet de Paris en novembre 2020 (« Finance en Commun ») et que l’ONU (OMS et UNICEF) ait publié un appel pour transformer l’assainissement pour une meilleure santé, en novembre 2020, suivi pour la première fois d’un rapport conjoint de la BafD et de l’UNEP sur un atlas de l’assainissement en Afrique en février 2021. Convergence d’initiatives qui met en évidence la problématique de l’assainissement, comme question stratégique au niveau mondial.

– Il faut donner une perspective nouvelle au secteur de l’assainissement et du traitement des eaux usées. Ceci suppose de tester des modèles économiques innovants, de développer des innovations qui réduisent le risque climatique. Par exemple, penser un système non conventionnel d’eaux usées, moins coûteux, est une option qui s’impose dorénavant dans de nombreux pays du Sud au regard du coût des investissements classiques sous forme de tuyaux, même si les questions d’acceptabilité par la population sont un véritable déterminant.

– Une approche trans-sectorielle, basée sur une stratégie de coopération pro-active est également indispensable. Ceci renvoit à la nécessité d’une stratégie de cohérence verticale pré-citée, au développement d’une culture de responsabilité et à élargir le focus au-delà de la sphère des décideurs politiques nationaux, en particulier les collectivités locales et, dans le langage habituel des organisations internationales, les communautés. L’échange par les pairs est un moyen très efficace pour mettre en oeuvre ce type d’approche, pour diffuser les « bonnes pratiques », ce que recommande l’OMS.

– Dans la plupart des pays, les Autorités locales sont l’acteur clé du système. Mettre en oeuvre une stratégie trans-sectorielle necessite l’engagement des collectivités et de fait un processus de décentralisation/déconcentration, qui est à l’oeuvre dans de nombreux pays du Sud depuis ces dernières années, et qui offre l’opportunité de mettre en oeuvre des logiques territoriales adaptées. Ceci permet de s’assurer de la participation effective des communautés, considérée comme le meilleur mode d’action pour créer de l’inclusivité et de l’efficacité.

Quels sont les point clés d’une stratégie régionale ?

Une stratégie régionale en ligne avec les recommandations de politique publique doit démontrer son efficacité. Cela passe par l’existence d’un processus d’appropriation partagé qui peut être comparé à l’émergence d’un agenda politique commun au travers de la mise en oeuvre d’une coopération régionale.

Trois pré-requis :

– associer des initiatives « bottom up » à des incitations « top down », c’est une garantie d’efficience ;

– s’assurer de la tangibilité des actions pour les population concernée, c’est une garantie d’efficacité ;

– être sélectif dans le choix des « angles d’attaque », cela permet d’avoir une vraie valeur ajoutée pouvant légitimer le niveau régional, l’objectf n’étant pas de se substituer aux politiques nationales.

Trois angles d’attaque proposés.

Bâtir un dialogue régional sur les stratégies-pays WASH . L’idée est de promouvoir une cohérence « verticale » des stratégies-pays en visant une harmonisation de leur mise en oeuvre  sur certains points clés du système WASH, comme la création d’un mécanisme de suivi commun des mesures WASH,  la mobilisation du levier financier international pour booster les investissements dans l’assainissement, la mise en oeuvre de mesures d’alignement des stratégies liées aux ODD. Un tel dialogue donnerait une identité puissante , un sens prospectif et un objectif stratégique à une stratégie de coopération régionale. Cela suppose cependant un vrai «  co-ownership » entre parties prenantes, ou les défis sont similaires. Ce type d’approche doit s’appuyer sur un engagement volontaire des institutions prêtes à jouer le jeu.

Deux niveaux de dialogue politique.

– Des dialogues nationaux de pays volontaires sur ces questions. Un processus d’analyse par les paires et une stratégie de jumelage permettraient le développement de « policy guidelines » sur certains points clés, considérés comme des résultats possibles de ces dialogues.

– Une plate-forme régionale, qui viserait à supporter le fonctionnement et la demande des institutions nationales en charge, labeliser ces dialogues nationaux sur la base d’un cahier des charges, consolider les approches et résultats des dialogues nationaux, voire proposer des mécanismes de suivi des mesures et communiquer dans le cadre d’une future table ronde régionale les résultats et propositions issus de ces dialogues.

Cette approche suppose un réel consensus basé sur la volonté des pays participants qui sont conscients d’un défi commun et sont prêts à s’engager pour y faire face. Il existe une base pour aller dans cette direction, l’approche par l’innovation technologique et de gouvernance, qui concerne tous les pays et nécessite un véritable échange de « bonnes pratiques ».

Renforcer une stratégie de coopération, centrée sur les approches territoriales et innovantes.

L’OMS recommande que les stratégies WASH intègrent la dimension territoriale. Trois raisons à cela :

– Si l’on veut promouvoir des investissements « alternatifs » économiseurs de coûts par rapport à un investissement classique, ce qu’on appelle les smart grids, l’efficacité de leur mise en place dépend de la participation des communautés locales.

– Dans le même esprit, évoluer d’une approche infrastructurelle stricte vers une approche de service, proche des usagers suppose une participation active des partie prenantes locales.

– Les questions relatives à WASH sont complexes et évolutives, les politiques publiques doivent être réactives pour maintenir la qualité des interconnections entre les différents acteurs et composantes du système. Ceci est plus facilement réalisable ,dans une première étape, en s’adossant à des initiatives pilotes territoriales, qui peuvent être considérées comme des exemples de « bonne pratique » par la suite.

– Différentes initiatives pourraient renforcer la coopération régionale intégrant cette dimension locale. La question clé est, dans le cadre de la politique européenne de voisinage sud, mais également dans la stratégie des bailleurs internationaux, comment ceci peut être mis en oeuvre ? Comment peut on promouvoir, par exemple, la coopération décentralisée dans des projets d’investissement supportés par les bailleurs ?

– Promouvoir des expérimentations de « peer-to-peer » au niveau local avec les municipalités représente une approche de coopération particulièrement innovante. Les décideurs publics pourraient confronter leurs besoins, les actions et stratégies publiques, menant à des actions de dissémination d’approches réussies et enrichir de ce fait les politiques publiques.

– L’appui des réseaux de villes pour mettre en oeuvre des actions de renforcement des capacités et promouvoir des initiatives relatives au « peer learning », les institutions dites de plaidoyer mettant cette question à leur agenda politique sont autant de « booster » pour crédibiliser la coopération régionale.

Prendre en considération l’intérêt d’une facilité de financement, qui serait un appui pour les décisions d’investissement public en réponse à la COVID-19.

La crise sanitaire et ses conséquences risquent de perdurer encore un certain temps, compte tenu des mutations du virus et de l’incertitude quant à l’efficacité des traitements. L’objectif d’une telle facilité de financement est avant toute chose de permettre que les infrastructures liées à l’eau et l’assainissement remplissent pleinement leur fonction de lutte contre cette pandémie et de mettre à niveau le « maillon faible » du système, en l’occurrence l’assainissement. La phase critique devrait se concentrer sur l’appui aux OPEX urgentes, même si des CAPEX seraient également bénéficiaires. La phase structurante devrait se concentrer sur l’appui à la mise en oeuvre de stratégies d’investissement pro-actives dans toutes leurs composantes : création de mécanismes financiers dédiés, aide à la préparation de projets, identification et financement de cas d’investissement innovants considérés comme des « flagships », développement massif de programmes de renforcement des capacités, gestion du capital humain, appui à la digitalisation…, et aux mesures de gouvernance et de réglementation publiques qui crééent un environnement propice à la mise en oeuvre de cette startégie pro-active.

Le choix en matière d’arrangements institutionnels est ouvert. Une telle facilité de financement pourrait être établie à un niveau régional ou regrouper plusieurs facilités nationales. Des facilités nationales permettent une plus grande fléxibilité quant à la prise en compte des OPEX et une forte réactivité pour traiter des situations critiques. Par contre, une facilité régionale représente une économie de coûts de transaction pour les bailleurs et permet de creer un cadre assurant une plus grande soutenabilité de la stratégie à moyen terme, grâce à une diversité du « portefeuille », qui peut être procéduré de manière commune et donc partagé, et  à la définition d’un cadre d’action facilitant l’échange de « bonnes pratiques » en matière de politique publique.

Conclusion

Le niveau régional est par nature un sujet de questionnement. Ceci est renforcé par le contexte méditerranéen, où les institutions dites internationales agissent dans le cadre de contraintes politiques qui ne facilitent pas leur mode d’action et l’organisation d’une gouvernance efficiente.

Cependant, seul un agenda régional ciblé autour de quelques objectifs clés limités, mais ambitieux, peut éventuellement s’envisager. Il se justifie là où la prise en compte de la complexité est déterminante dans la conduite de politiques publiques et là où le choix de l’expérimentation territoriale et de l’innovation est promu dans une logique « bottom up » . C’est le cas du système WASH, et plus particulièrement de l’assainissement dit « alternatif », qui nécessite une démarche holistique du fait de son interaction avec différents domaines d’action publique, qui doit évoluer avec une nouvelle conception du rôle des investissements (on passe d’une logique infrastructurelle à une logique de service aux usagers associée à une  digitalisation accélérée) et qui doit organiser un continuum entre réponse de crise face à la pandémie et perspective à moyen-long terme, condition de la soutenabilité d’une telle politique publique.

Guy Fleuret
Expert senior international
Membre du comité scientifique de l’Institut méditerranéen de l’Eau

Photo par Nathan Dumlao sur Unsplash

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