Article paru dans Revue Politique et Parlementaire
On nous parle pratiquement tous les jours de la crise de l’euro. En fait il s’agit de la crise de la zone euro. Car l’euro lui se porte bien. Les traders ont essayé de parier sur l’euro entre mars et août 2010. Ils ne sont arrivés à rien car l’euro s’avère plus solide que prévu. Ils s’attaquent maintenant à la zone euro et aux acteurs plus faibles de cette zone. Notons au passage que c’est la même firme de notation qui a « aidé » la Grèce à fausser ses comptes afin de lui faciliter les relations avec Bruxelles et empêcher les contrôles intempestifs. Puis elle a fait un typique « délit d’initié » en vendant la situation réelle de la Grèce à des traders afin qu’ils parient sur la faillite de la Grèce.
La monnaie la plus en danger dans le monde est le dollar. La Banque fédérale imprime des billets sans contrepartie depuis des années. Et tout le monde les accepte puisque le dollar reste la monnaie officielle des échanges mondiaux depuis les accords de Bretton Woods. Que va-t-il se passer si et quand les puissances mondiales décideront de créer un panier de monnaies de référence avec ou sans le dollar US ? Personne ne sait quelle sera alors la valeur du dollar sur le marché. Elle pourrait être assez basse ! Et il ne semble pas qu’il y ait une voie de sortie honorable pour une restitution de la valeur du dollar. C’est du moins ce que démontre éloquemment Miret Zaki1 dans son dernier livre sur la fin du dollar.
Donc l’euro a des problèmes qui sont liés à l’absence de politique financière commune entre les États membres qui sont dans l’euro. La commission (Delors) avait averti ceux-ci en 1993 au moment de la rédaction du Traité de Maastricht : on ne peut pas avoir une monnaie commune sans politiques financières convergentes d’abord et communes ensuite. Mais elle n’a pas été suivie. Aujourd’hui les chefs d’État vont dans la bonne direction mais à reculons, avec peu de vision à long terme… Cependant en gros, les problèmes de l’euro sont solubles avec un peu plus de sens européen. Tandis que le dollar est en beaucoup plus mauvaise posture, car on ne voit pas comment le sauver. On comprend donc que le gouvernement économique des USA2 braque les projecteurs sur l’euro afin que personne ne pose de questions au sujet du dollar… tant que celui-ci tient…
Rappelons aussi que si le dollar venait à perdre plus de 20% de sa valeur en quelques semaines, ce serait automatiquement la fin des accords monétaires de Brettons Woods (1944).
L’Europe et l’Afrique un scénario « win-win » dans l’économie immatérielle de la connaissance
L’UE a investi des milliards d’euros pour prospérer dans la nouvelle économie immatérielle. C’est ce que l’on appelle la « Stratégie de Lisbonne 2000-2010 » qui s’est prolongée par la stratégie « Europe 2020 ». Ces stratégies visent à rendre l’UE compétitive dans cette nouvelle économie immatérielle et ceci de manière soutenable et socialement inclusive. Mais seule une poignée d’économistes3 semblent avoir compris que nous sommes ici face à une logique économique nouvelle. Pour faire simple disons que4 :
- La création de valeur dans cette nouvelle économie consiste à appliquer de la connaissance à de la connaissance pour créer de la nouvelle connaissance.
- Si bien que le nouvel outil de travail est la personne humaine avec son intelligence, son intuition, corps et âme, travaillant en réseaux ouverts avec d’autres créateurs(trices). C’est la seule manière de créer de la nouvelle connaissance, voire de la sagesse.
- Le Responsable (CEO) se doit donc de favoriser la création de connaissance en réseaux. C’est un nouveau type de management beaucoup plus Yin. Inversion de tendance à 180°.
- Les stratégies de marché de la connaissance sont des stratégies win-win. Contrairement aux stratégies win-loose de la société industrielle. On inverse la tendance à 180°.
- Et le marché de la connaissance se comporte aussi de manière totalement différente qu’un marché d’objets. Car la connaissance je ne peux pas la perdre. Pas moyen de l’effacer de mon cerveau. Je ne peux donc que l’échanger. Nous passons donc du commerce au partage. Inversion de tendance à 180°.
- On voit aussi que le capital humain qui est l’outil de travail principal et indispensable devient tout à coup plus important que le capital financier. C’est la raison pour laquelle Peter Drucker a parlé de société post capitaliste.5
- Mais il faut aussi ajouter que la connaissance finit toujours par « couler » et que nous assistons probablement à la fin des brevets et de certaines formes de propriété privée. Il y a donc aussi ici inversion de tendance à 180°.
- Ensuite les entreprises dans cette nouvelle économie, qui est en train d’envahir tout le système industriel lui-même, sont de plus en plus mesurées par les acquis immatériels qui sont qualitatifs et qui interviennent actuellement à la Bourse de New York pour 60 % ! Or ces acquis immatériels sont de plus en plus liés à la manière dont les entreprises travaillent réellement pour le bien commun. Notamment l’inclusion sociale et la transformation de la société vers un monde soutenable.
- De plus le concept même de croissance est en train de devenir qualitatif car sur le Web la quantité n’est absolument plus intéressante.
- Retour de l’éthique car toute connaissance a un sens positif ou négatif et donc voilà l’éthique qui entre par la fenêtre alors qu’elle avait été mise à la porte par la logique même de la méthode scientifique.
- À terme dans cette nouvelle logique les entreprises sont de plus en plus obligées de redéfinir leur relation au profit qui deviendrait la conséquence de leur engagement sérieux pour le bien commun.
Pourquoi, dans ce nouveau contexte, ne pas imaginer un scénario win-win avec l’Afrique ?
Car l’Afrique :
- Possède une jeunesse plus créative que la jeunesse européenne qui est passée par l’enseignement… et a donc perdu de la créativité ;
- A le sens profondément inné du partage en réseaux ouverts ;
- Est en recherche d’un projet et d’une vision qui puisse enthousiasmer la jeunesse de ce continent : « L’Afrique pôle mondial de créativité technologique et sociétaire ».
L’Europe d’autre part : - Possède des capitaux et de la technologie ;
- Mais sa jeunesse a perdu par l’« éducation nationale » le sens de la créativité et du réseau ;
- De plus en Europe toute la société pousse vers l’individualisme et le conformisme de la société de consommation.
On pourrait donc imaginer que l’UE donne la technologie (de plus en plus Open Source de toutes façons !) et les capitaux nécessaires pour permettre à l’Afrique d’entrer et de prospérer dans cette nouvelle logique économique qui lui correspond mieux qu’à nous sous certains aspects.
Les Africains pourraient arriver ainsi en quelques années à devenir vraiment compétitifs dans le travail créatif en réseaux ouverts. Et l’Afrique pourrait constituer un formidable réservoir de créativité technologique, scientifique, artistique et culturelle.
Est-ce impossible ? Mais l’Inde a fait des bonds en avant en quelques années. Elle est en train de constituer une classe moyenne de 300 millions d’habitants, grâce à son entrée massive dans l’économie immatérielle (Infosys, Tata Consulting, etc. à Bangalore et à Chennai, etc.).
Pourquoi pas les Africains ? Surtout en cette époque où ce qui compte ce n’est plus de créer une « Silicon Valley » de technologies innovantes, mais plutôt une « Vision Valley » où l’on apprend à la jeune génération à imaginer le futur en tenant compte de l’ampleur des difficiles mutations mondiales en cours vers une nouvelle civilisation soutenable et socialement inclusive.
Dans cette nouvelle logique économique, on peut donc imaginer que le couple Europe- Afrique, Afrique-Europe devienne gagnant au plan mondial.
Le contexte des révolutions en Afrique du Nord rend ce scénario encore plus intéressant
Pour le moment il ne semble pas y avoir d’innovation au plan économique au sein de la jeunesse « révolutionnaire », ni au sein des nouveaux dirigeants de ces pays. Comment va-t-on créer des millions d’emplois dans ces économies dévastées ? Si ce n’est dans l’économie immatérielle ?
Avec quel personnel ? On pourrait innover par rapport aux banlieues françaises. En inversant la tendance à 180° : car les banlieues disposent de milliers de jeunes garçons et filles qui sont bi-culturels, voire tri-culturels. C’est un avantage compétitif incontestable. Pourquoi la France ne pourrait-elle pas offrir aux jeunes des banlieues quelques milliers d’emplois d’ambassadeurs d’interculturalité, et de professeurs d’anglais et de technologies dans tous les villages du Maghreb. Après une rapide formation ils apprendraient en enseignant et en étant revalorisés par cette promotion inattendue… Ils seraient une partie des nouveaux ambassadeurs de ce nouveau scénario win-win EU- Afrique qui doit advenir à la base également… L’autre partie, il faudrait la former sur place… donc.
Des nouvelles écoles de nouveau management dans la société de la connaissance. Il est urgent de créer ces nouvelles « Business schools »6 qui ne ressembleront probablement pas beaucoup aux anciennes du monde industriel. Il faudra aller vite car il y a un besoin criant. Et on pourrait mettre les cours sur le web. On pourrait créer une onde de choc importante. À Zagreb en un an nous sommes passés de 9 élèves à 100 ! Car nous étions les seuls sur le marché à innover et préparer à demain.
Mais où trouver les capitaux ? Une piste serait d’utiliser les capitaux qui n’ont pas tous été dépensés pour les stratégies européennes de développement des années 2000 qui visaient à « faire entrer l’Afrique dans la société de la connaissance ». Ces stratégies n’ont pas bien réussi, et ont ensuite été abandonnées. Mais il doit y avoir encore des lignes budgétaires non épuisées, comme parfois dans les budgets européens… Il n’est pas non plus exclu d’imaginer et développer enfin des partenariats publics privés dans un nouvel ordre de gouvernance mondial.
Un nouveau départ ?
Le plus important aujourd’hui est la nouvelle vision, car nous sommes en train de changer de civilisation. Mais personne ne veut en parler.
Les modèles qui fondent l’organisation politique et économique du monde ont atteint leurs limites. La répartition inégale des richesses entre le Nord et le Sud devient insoutenable. La raréfaction des ressources naturelles et la pollution menacent notre avenir collectif. Il va nous falloir penser le monde autrement, en privilégiant les valeurs de responsabilité sociale et environnementale, mais aussi de coopération et de partage. Les nations du Sud et du Nord passeront ce cap ensemble… ou ne le passeront pas. Le dernier G20 à Cannes en a été la brillante illustration !
Le développement de l’Afrique passe impérativement par la diversification des économies au niveau national, afin de « rompre leur dépendance des produits de rente, et lier la croissance africaine aux secteurs dynamiques à haut contenu technologique, selon l’expérience des pays émergents »7, sans oublier l’obligation de la mise en place de nouvelles politiques de sécurité alimentaire et de politiques agricoles. Et enfin, la relance de grands programmes d’investissements dans les infrastructures, ainsi qu’un véritable « partenariat mondial en faveur du développement et la lutte contre la pauvreté ».
Plus régionalement, La Commission européenne doit interpréter la situation actuelle du Maghreb à la lumière des nouveaux enjeux géopolitiques et à travers une redéfinition des espaces économiques et sociaux. Les mutations en cours sont en fait les prémices à une réorganisation des relations euro- méditerranéennes. L’avenir de l’Europe et du Maghreb passera nécessairement par la création d’un nouveau lien Sud-Nord. Nous devrions aujourd’hui inscrire l’Union pour la Méditerranée dans un nouveau tempo et expérimenter ces nouveaux changements de paradigmes économiques sur un périmètre en pleine mutation, celui du Maghreb qui deviendra le Maghreb Central Uni en convergence avec l’Europe. Soyons à la hauteur d’appréhender cette nouvelle configuration géopolitique Sud-Nord.
Les progrès démocratiques, l’instauration d’un nouveau dialogue social, l’émergence d’un espace économique global en Afrique du Nord… vont créer un champ d’opportunités historiques. Des activités créatrices d’emplois doivent être déployées dans cette zone à travers des politiques d’investissement ciblées et massives, la création d’entreprises et des transferts de technologie… Tout cela avec, bien sûr, un objectif de développement durable.
J’imagine un Maghreb Central Uni, une sorte de « grande Cordoue contemporaine »8 dans un espace euro-méditerranéen prospère et pacifique. Je crois à la création rapide d’une vaste zone d’échanges économiques, mais aussi de dialogue culturel et religieux… facteurs de paix et de développement pour tous. Soyons optimistes….
Jean-Claude Fontanive
1 Miret Zaki : « La fin du dollar » éditions Favre, 2012. Suisse.
2 Rappelons que la Réserve fédérale US est une banque privée qui est aux mains de quelques familles très influentes.
3 Voir par exemple : Dr Maria Joao Rodrigues, editor : « The new Knowledge economy in Europe » Edward Elgar Cheltenham UK, 2002.
4 Pour de plus amples informations voir : Marc Luyckx Ghisi : « Surgissement d’un nouveau monde », éditions Alphee, Monaco, 2010, chapitres 8 & 9.
5 Peter Drucker : « Au delà du capitalisme » Traduction Paris Dunod 1993.
6 C’ est ce que nous avons crée dans la Cortugli Business School à Zagreb entre 2004 et 2008.
7 Le G20 et les défis de la gouvernance globale, Ben Hammouda et Sadni Jallab, éditions De Boeck.
8 Article Afrique-Asie du mois de juin 2011 Jean- Claude Fontanive « Maghreb : une mutation source d’opportunités majeures ».