La mémoire calédonienne est la mémoire de la France. Avec les premières lueurs que nous donne le recul de l’histoire, oui, il faut le dire sans détour, le combat des Kanaks pour retrouver leur dignité était juste, car c’est en reconnaissant les blessures de l’histoire qu’on peut mieux les cicatriser et la France se grandit toujours de reconnaître chacune des étapes de ce qui l’a faite. Je l’ai souvent dit sans déni, sans repentance, reconnaître pour regarder en face et faire rentrer dans la dignité ceux qu’elle avait parfois écartés ou diminués.
Les racines de la Nouvelle-Calédonie puisent aussi dans la mémoire du bagne, ces dizaines de milliers d’hommes et de femmes de l’Hexagone ou d’Algérie ont abreuvé cette terre de leur sueur et de leur sang sous l’autorité de l’administration pénitentiaire, transportée, reléguée, déportée, tous forçats condamnés à des travaux harassants et à un déracinement souvent définitif, ils ont connu un enfer de chaleur et de fatigue en Nouvelle-Calédonie, à La Foa, à Bourail, à Pouembout, à Nouville, à l’île des Pins et pourtant pendant des décennies, ils ont construit, édifié, aménagé cette terre qui devenait chaque jour davantage la leur, qu’ils ont aussi marquée de leur empreinte indélébile.
Ces racines, ce sont aussi les pionniers, colons libres ou bagnards libérés qui ont développé une agriculture nouvelle, pratiqué les cultures et l’élevage et se sont fondus dans les plaines et les collines en apportant leur ardeur, leur ténacité, leur courage qui ont façonné la Grande Terre.
Ces racines, ce sont aussi les missionnaires, les commerçants, les personnels militaires, les ouvriers des mines, les personnels de santé. Ces racines, ce sont aussi les Pieds-Noirs et les Harkis arrivés dans l’angoisse des événements en Algérie ; ce sont aussi les Européens de toutes origines venus chercher ici un avenir meilleur et une aventure humaine. Ce sont toutes les femmes et les hommes venus du reste du Pacifique ou d’Asie construire une part de leur avenir.
C’est cela la Nouvelle-Calédonie, une addition d’histoires, souvent tragiques, heureuses aussi, toutes marquées par le courage et la volonté de bâtir. Il y a des Kanaks, des Caldoches, des Z’Oreilles, des Wallisiens, des Futuniens, des Polynésiens, des Tonkinois, des Javanais, des Japonais et tous les autres qui tous ensemble ont construit la Calédonie d’aujourd’hui, Françaises et Français.
Mais à ces décennies passées à croiser les racines, à suturer les plaies, à construire ensemble, je n’oublie pas que s’est mêlée aussi la peur, la colère parce que cette histoire chahutée, cette addition dont je viens de parler qui s’est progressivement construite dans une communauté sur l’archipel a emmagasiné des ressentiments, a pu accumuler les rancœurs et ces colères ont eu à s’exprimer.
Il y a plus de 30 ans, cette peur a pris le dessus ; la violence s’est invitée dans la vie quotidienne et l’angoisse a étreint les familles. Je suis allé le 5 mai à Ouvéa pour honorer les morts et respecter le deuil des familles et pour honorer tous les morts : ce que nous avons fait, c’est aussi réconcilier toutes nos histoires à Iaai, toutes nos histoires et j’ai vu des Kanaks qui s’étaient battus pour attaquer une gendarmerie, être là avec leur famille, pour honorer la mémoire des gendarmes et j’ai vu toute l’île rassemblée pour honorer nos 19 disparus aussi, c’est pour ça que ma place était là et nous avons rendu un hommage à nos morts de l’année d’après.
Toutes ces victimes, ce sont celles de cette colère, de ce ressentiment, mais ce qui s’est passé le matin de ce 5 mai 2018, c’est précisément cette capacité à accepter toutes les mémoires pour ne pas s’enfermer dans les douleurs, cette capacité que nous avons décidée ensemble d’alliance des mémoires, de reconnaître chacune et chacun, de ne pas considérer qu’il y aurait les victimes des uns et les victimes des autres, ce sont toutes nos victimes et que la nation se reconnaît dans elles toutes, dans les colères d’un moment, dans les injustices aussi et qu’il ne s’agit pas de ressasser un passé qui ne veut pas passer mais bien de reconnaître la dignité de chacun, la place de chacun, la part de chacun.
Face à toutes ces souffrances il y a plus de trente ans, se sont levés deux hommes, Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, ils ont su, bien avant ce que nous avons fait ce matin du 5 mai, dans un moment où la colère était encore présente, décider d’avancer, ils se sont parlés, se sont compris ont échangé cette fameuse poignée de main qui a fondé les trente dernières années du destin de ce pays et je veux associer à leurs souvenirs, Michel Rocard et Lionel Jospin qui ont conçu et voulu avec eux le processus de paix et de réconciliation. Jean-Marie Tjibaou l’a payé de sa vie comme un martyr de la paix.
Tendre la main
Il est tellement difficile de tendre la main et il est tellement difficile d’accepter la main tendue, mais c’est bien ce qu’il fallait faire. Ce furent les accords de Matignon, puis l’accord de Nouméa le 5 mai 1998. Ces accords sont des gestes réciproques historiques. Les Kanaks, peuple premier ô combien meurtri, acceptèrent de reconnaître que les populations accueillies avaient vocation à participer à leurs côtés, sur un pied d’égalité, à la détermination du destin commun. En retour, les autres populations devenues calédoniennes avec le temps ont accepté de remplacer le rapport de force de la règle majoritaire par la pratique du consensus.
Cet accord des volontés fut un accord de sagesse et il permit que le cheminement continue. Les nouvelles institutions virent le jour, le Sénat coutumier notamment, création unique de la République qui cherche
à puiser dans la culture ancestrale des clés pour le monde d’aujourd’hui, le gouvernement collégial, bien entendu qui a désormais fait ses preuves pour représenter toutes les sensibilités de la Nouvelle-Calédonie et traverser les crises, des compétences inédites dans la République sont détenues par ce gouvernement.
En 2010, naquit la belle devise « Terre de parole, terre de partage ». En 2010, vint aussi la reconnaissance des deux drapeaux. Ce fut un premier pas vers un signe identitaire dans lequel pourraient un jour se retrouver tous les Calédoniens à chaque étape. Les Calédoniens furent moteurs et l’État les accompagna. À chaque fois, nous en sommes collectivement sortis grandis, c’est bien cela qui a été fait durant les trente dernières années, un cheminement avec des soubresauts mais qui était ce lent parcours de la reconnaissance.
On connaît tous les tiraillements, nous connaissons toutes les sensibilités. Je crois connaître maintenant à peu près clairement la « carte du Tendre », mais au-delà de celle-ci, il y a ce parcours lent, exigeant. C’est pourquoi j’ai souhaité marquer symboliquement cette nouvelle ère en me rendant le 5 mai à Ouvéa et en remettant aux Calédoniens l’acte original de prise de possession de cette terre par la France.
Pour marquer que nous poursuivons justement ce chemin de reconnaissance partagée, de respect réciproque et que le temps n’est plus celui de la possession unilatérale, mais bien celui d’une discussion continue, exigeante, constante, d’une responsabilité prise à chaque instant d’un lien réinventé chaque jour, de ce lien qui par l’alliance des mémoires par la reconnaissance poursuivie permettra de « déconflictualiser » pleinement et de pacifier totalement, y compris les âmes, y compris les morsures. Ce parcours, vous l’avait fait, mon rôle est de vous accompagner dans cette étape.
Les Calédoniens en racines diverses mêlées chaque jour davantage ont chacun une place dans cette grande histoire et donc sur ce passé, le message que je voulais partager, cette conviction profonde, c’est que nul ne doit s’enfermer dans une histoire qui ne dialoguerait plus avec les autres. Nous avons encore vu les plus jeunes qui ont su dire leur colère, qui était jusqu’alors rentrée, mais ils l’ont dit pour reconnaître, pour demander aux autres pour s’excuser parfois des propos tenus pour essayer d’avancer.
Une année cruciale
Ce parcours de la reconnaissance, cette alliance des mémoires, c’est le moment auquel nous en sommes et ce mouvement est irréversible et celui-ci intervient dans une année cruciale à quelques mois du référendum qui vient. Celui-ci s’inscrit dans le processus que je viens d’évoquer et dans le cadre des accords. Il vient comme un point qui avait été alors désigné par les signataires. Je ne prendrai pas parti dans ce référendum qui vient, pas pour me soustraire à une responsabilité, mais parce que ça n’est justement pas ma responsabilité – mais pour en donner le sens et dire, avec conviction, comment je vois l’avenir parce que c’est ainsi que je conçois mon rôle.
Ce n’est pas au chef de l’État de prendre position sur une question qui n’est posée qu’aux seuls Calédoniens et une telle position d’ailleurs ne ferait que perturber et biaiser le débat. En revanche, ce que je peux dire, ce que je veux dire du fond du cœur et en tant que Président de la République, c’est que la France ne serait pas la même sans la Nouvelle-Calédonie car la Nouvelle-Calédonie n’a jamais manqué à la France. Au fond, la France a toujours été là aussi avec la Nouvelle-Calédonie.
La Nouvelle-Calédonie n’a jamais manqué à la France parce que, dans les heures les plus difficiles de notre histoire, la Nouvelle-Calédonie était là, le retour des cendres du tirailleur Kalepo le 11 novembre dernier dans son île de Tiga nous a rappelé la place qu’avait prise le bataillon des tirailleurs kanaks durant la Première Guerre mondiale parce que, quand il a fallu se battre pour la liberté, tous et toutes étaient là parce que nous avons aussi gravé dans le cœur le ralliement de la Nouvelle-Calédonie à la France libre dès 1940 puis son engagement au sein du bataillon du Pacifique qui quitte « le caillou » un certain 5 mai 1941 et je le dis aussi en ce jour un peu particulier où Maurice Meunier, ce matin, a été enterré, lui qui était le dernier survivant de ce bataillon.
Le général de Gaulle vint saluer cet héroïsme en 1956 et en 1966 qui valut à la Nouvelle-Calédonie la médaille de la Résistance ; c’est aussi cela, le sang versé par la Nouvelle-Calédonie pour la République. Cela, nous ne pouvons pas l’oublier.
La France serait moins belle sans la Nouvelle-Calédonie, parce qu’elle est une part de cette France Monde, de cette France qui existe dans cette région du monde à des dizaines de milliers de kilomètres de Paris, mais au cœur de ce qui est la vocation même de la France de rayonner à travers tous les continents et sur toutes les mers.
La France serait moins belle sans la Nouvelle-Calédonie parce que la Nouvelle-Calédonie a apporté à toute la France des modèles pour les générations futures et ce premier modèle, c’est celui que nous sommes en train de construire, c’est celui d’accepter toute cette diversité dans le respect et la reconnaissance. Le modèle, ce sont les femmes et les hommes qui ont permis de faire ce cheminement.
Ce sont dans des domaines divers des modèles illustres qui ont marqué l’apport de la Nouvelle-Calédonie à l’histoire et la construction de notre pays, modèles illustres, modèles de méthode, modèles d’innovations institutionnelles qui ont tant apporté aux outre-mer. La Nouvelle-Calédonie a inventé le dispositif cadre à venir pour la formation des cadres au service du rééquilibrage ; trente ans après, le dispositif a fait des émules à Wallis-et-Futuna ou à Mayotte et certains départements d’outre-mer s’interrogent sur l’adaptation de ce modèle pour eux-mêmes.
Modèle de méthode par les compétences dont le gouvernement est doté et l’articulation tressée chaque jour avec les représentants du gouvernement. De façon générale, avec les deux accords de Matignon et de Nouméa avec les comités des signataires les institutions collégiales, le rééquilibrage, le consensus, les Calédoniens ont inventé un modèle exceptionnel d’intelligence collective qui suscite l’intérêt du monde entier.
Cette exemplarité a beaucoup apporté à la France. Alors sans la Nouvelle-Calédonie, décidément, la France ne serait pas la même, mais c’est aux Calédoniens qu’il appartient de le dire, de choisir de prendre position le 4 novembre prochain. Les Calédoniens sont appelés à choisir l’avenir institutionnel de leur territoire parce que c’est ce qui a été décidé par les accords ; c’est la parole donnée, je sais que plusieurs auraient voulu en quelque sorte qu’il en soit peut-être autrement, on arrive par ce consensus si cher à ne pas aller au vote parce que le vote toujours sépare le oui du non ; il prend le risque de diviser, mais il ne faut pas voir là une forme d’échec, c’est un cheminement qui était prévu, c’est un cheminement qui a été voulu et je crois que dans ce parcours que j’évoquais, le respect de la parole donnée et des engagements est essentiel, il est important, mais dans ce choix souverain à faire dans la souveraineté nationale, j’en appelle pour ma part à la responsabilité, à l’unité.
Il n’appartient qu’à nous tous de ne pas faire reculer l’histoire, d’accepter que le débat se fasse parce que le choix aura à s’exprimer, mais qu’il se fasse dans le calme en ne bégayant jamais, en gagnant chaque centimètre comme nous l’avons fait ensemble ces derniers jours de paix, de concorde et en acceptant que des opinions différentes auront à s’exprimer, mais que le jour d’après chacune et chacun aura à travailler ensemble, parce que chacune et chacun vit ensemble et que c’est comme ça depuis le début et ce que les accords ont permis d’acter.
Il ne faut pas dans cette période déjà penser aux étapes qui viendront ensuite et qui sont légitimes et qui appartiennent à la vie politique ; il faut le voir comme un cheminement prévu, une étape qui ne doit en rien, en rien diviser.
Le gouvernement, lui, est pleinement engagé dans la sincérité du scrutin et l’État fera tout pour que ce scrutin soit incontestable. C’était le sens du premier déplacement d’Annick Girardin, la ministre des Outre-mer, dans une collectivité d’Outre-mer, en juillet 2017, à Nouméa ; c’est le sens du déplacement que le Premier ministre Edouard Philippe a effectué en décembre dernier, accompagné de la ministre et du secrétaire d’État entre autres ; et c’est aussi celui du travail des deux comités de signataires qu’a présidés le Premier ministre le 2 novembre et le 27 mars dernier qui ont permis de stabiliser le corps électoral et la formulation de la question posée aux Calédoniens.
Et c’est l’engagement que j’ai pris à l’Elysée dès le mois de novembre 2017 ; c’est aussi le sens de la loi organique que j’ai promulguée le 20 avril et qui adapte également les règles de procuration et les bureaux de vote délocalisés.
Enfin, ce scrutin se fera sous le regard attentif des Nations Unies qui ont déjà largement participé d’ailleurs au processus de révision des listes depuis quelques années et des pays voisins que j’ai tenu à rencontrer au cours de mon déplacement.
Ce cadre-là, le gouvernement l’assure, mais l’unité et la sérénité, c’est nous tous qui aurons à l’assurer pour qu’ensemble nous parvenions à avancer parce que quel que soit le résultat de ce scrutin, dès le 5 novembre, les Néo-Calédoniens continueront à être les mêmes sur le même archipel avec les mêmes histoires, les mêmes imaginaires, les mêmes habitudes, les mêmes amis, les mêmes ennemis, mais à vivre ensemble et à faire l’avenir.
L’arbre de l’avenir
La meilleure façon d’aborder les mois qui viennent, c’est peut-être de changer de conjugaison, c’est de ne pas tout conjuguer à l’imparfait au passé simple ou au passé composé, mais c’est vouloir peut-être un peu davantage conjuguer au futur. Quel avenir voulons-nous construire ? Quel avenir existe en Nouvelle-Calédonie ? Quel avenir voulons-nous porter ?
Je crois, moi, dans le futur de ce territoire et je crois dans la place que ce territoire occupe dans une stratégie plus large que nous devons avoir dans toute la région.
La France est une grande puissance de l’Indopacifique, elle est une grande puissance de l’Indopacifique à travers tous ces territoires, la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, la Polynésie française mais aussi Mayotte et la Réunion et les terres australes et antarctiques françaises viennent soutenir ce projet, tous ces territoires de la France à travers les mers, c’est la France plus grande qu’elle-même, mais c’est plus d’un million et demi de nos concitoyens qui sont dans cette large région, ce sont plus de 8 000 de nos militaires qui portent notre défense nationale, nos intérêts, notre stratégie, c’est plus des trois quarts de notre présence maritime nous qui sommes la deuxième puissance maritime du monde.
L’Indopacifique est au cœur du projet français pour toutes ces raisons, parce que nous y sommes et parce que cette région du globe est en train de vivre un basculement profond et de saisir des opportunités nouvelles qui rendent notre avenir commun dans cette région encore plus fort, encore plus important et qui nous impose de le penser, de le travailler, de l’agir. Les États-Unis qui, il y a encore quelques années, se voyaient comme une puissance centrale de la région, continuent à l’être sur le plan sécuritaire et stratégique, mais lui ont plutôt tourné le dos ces derniers mois en dénonçant un accord commercial qu’ils avaient structuré, en sortant des accords de Paris et donc en tournant le dos à la lutte contre le réchauffement climatique dans cette région du globe qui comporte sans doute le plus d’États qui risquent de disparaître à cause des conséquences de ce réchauffement, là où, ici même, nous avons des terres vulnérables du fait de ce réchauffement et de ces dérèglements.
Dans cette région du globe, la Chine est en train de construire son hégémonie pas à pas, il ne s’agit pas de soulever les peurs, mais de regarder la réalité, elle est faite d’opportunités, la Chine doit être un partenaire pour cette région et plus largement. Sa stratégie des nouvelles routes de la soie et son ambition pacifique, nous devons travailler avec elle pour densifier les échanges et en tirer toutes les opportunités, mais si nous ne nous organisons pas, ce sera quand même bientôt une hégémonie qui réduira nos libertés, nos opportunités et que nous subirons.
Enfin avec le choix du peuple britannique de quitter l’Union européenne, la France devient le dernier pays européen pacifique, le dernier comme un pont jeté entre tant d’opportunités, comme un pont jeté entre tant de perspectives et donc pour toutes ces raisons, je crois à l’axe Indopacifique, je crois à cette stratégie nouvelle que nous devons porter et qui doit se trouver au cœur de notre ambition collective.
Et c’est d’abord une ambition géopolitique, c’est celle que j’ai exposée à Sydney, il y a un axe Paris – New Delhi – Canberra, mais cet axe-là se prolonge de Papeete à Nouméa et à travers tous nos territoires, c’est celui qui nous permettra de construire sur le plan géopolitique la neutralité de cet espace indopacifique ; c’est celui qui de la corne de l’Afrique aux Amériques nous permettra de participer avec nos alliés à ces grands équilibres et d’assurer la liberté de circulation dans les mers, la liberté de circulation dans les airs et les équilibres indispensables à cette région du globe. Nous avons un rôle à jouer et ce que nous avons acté avec l’Australie le 2 mai permet justement d’y contribuer, permet de l’ancrer dans notre projet collectif avec un niveau de coopération inédit, de gouvernement à gouvernement qui permettra d’articuler nos défenses, notre cybersécurité, nos engagements réciproques dans la lutte contre le terrorisme et l’organisation de nos armées pour préserver cette neutralité, pour exercer la liberté de notre souveraineté dans cet espace.
Nous avons des alliés, l’Inde où j’étais au mois de mars 2018, la Malaisie, Singapour et les Philippines participent de cet équilibre et le Japon bien évidemment se construit en regard avec cette initiative. Cette stratégie est essentielle si nous ne voulons pas que cette région du globe subisse, devienne en quelque sorte à nouveau sous une coupe à nouveau sous une hégémonie différente du XXIe siècle, mais enfin une hégémonie et j’ai constaté chez les uns et les autres un tempérament commun, celui de ne pas l’aimer et donc le projet que nous devons porter, ce projet indopacifique, c’est celui de cette liberté, de la souveraineté dans la région et c’est celui-ci que la France veut porter dans toute la région avec ses alliés.
Ensuite, cette stratégie indopacifique, c’est une stratégie économique indispensable et c’est celle de l’ambition pour ce territoire que nous voulons porter : ambition commerciale qui passera d’abord par une grande vigilance dans le cadre de la négociation des accords de libre-échange entre l’Union européenne et l’Australie, mais nous avons porté nos préoccupations et ils font partie du mandat de la négociation, mais surtout c’est une ambition commerciale pour faire davantage, davantage dans toute la région et de l’agriculture à la pêche, en passant par l’industrie, de faire de la Nouvelle-Calédonie un territoire exportateur dans cette région comme vers l’Europe ou d’autres régions du globe et de réussir à porter une ambition commerciale.
Ce projet économique et cette stratégie économique, c’est aussi un projet pour notre agriculture. Aujourd’hui, la souveraineté alimentaire de la Nouvelle-Calédonie n’est pas assurée, nous l’évoquions hier en étant dans la province Nord. Moins de 20 % des besoins alimentaires de l’archipel sont couverts par la production et l’espace ne manque pas ! Alors, nous avons un grand travail à conduire pour mieux mobiliser le foncier, échanger justement les règles avec une structuration juridique et financière qui permettra d’exploiter davantage les terres, qui permettra également de mieux exploiter les terres lorsqu’elles sont en possession privée, qui permettra de construire ici parce que nous le pouvons les voies et moyens d’une souveraineté alimentaire durable, c’est-à-dire de mieux exploiter le territoire pour le bien de tous, de permettre de nourrir la population, mais de le faire dans des règles avec des pratiques qui permettront là aussi d’être cohérent avec nos propres ambitions climatiques, de construire une vraie stratégie protéinique, de construire et de développer un élevage à la mesure de nos besoins et de structurer les filières agricoles.
Il y a l’ambition foncière, il y a le soutien indispensable que conduiront avec le gouvernement pour que ces filières se structurent mais l’objectif de cette souveraineté alimentaire et durable dans la région est, je crois, à portée de main si nous savons nous organiser pour les années et décennies à venir. C’est bien évidemment aussi l’ambition que nous devons porter pour le nickel, beaucoup nous regardent, nous envient, ils viennent nous voir. C’est une des parts de la souveraineté collective, c’est une filière qui s’est structurée, qui s’est développée de manière exemplaire qui a d’ailleurs participé ces dernières années aussi au rééquilibrage mais qu’il faut continuer à développer, à déployer parce qu’elle est un élément critique, stratégique dans la région.
C’est la possibilité de produire une matière première essentielle à de nombreux développements industriels et c’est un élément stratégique de notre développement comme de celui de nombreuses filières à travers le globe. Et il nous faut ainsi continuer à structurer des filières industrielles dans la transformation industrielle et dans la production, les filières de service dans les transformations finales mais pas uniquement, l’entreprenariat qui s’est beaucoup développé ces dernières années mais qui peut encore être encouragé dans les filières numériques comme dans de nombreuses autres.
Il y a des filières aussi comme le bois qui ont un avenir, sous-exploitées – je vous rassure, la Nouvelle-Calédonie n’a pas l’exclusivité de cette faiblesse c’est vrai pour toute la France mais ici aussi – que nous devons savoir inventer une ambition nouvelle pour celles-ci.
Penser la stratégie économique de la Nouvelle-Calédonie, c’est aussi penser le tourisme. Nous avons vu ces dernières années le tourisme à nouveau se développer et en particulier les croisiéristes faire escale et en Australie, on ne m’a parlé que de Nouvelle-Calédonie sur ce sujet, mais faisons-nous assez bien ? Pouvons-nous faire mieux ? Sans doute oui, et nous serons aux côtés du gouvernement pour aller en ce sens, pour développer davantage les commerces, les installations, les infrastructures qui permettent d’accueillir davantage, de tirer parti de cette manne touristique, de créer des emplois là aussi pour nos jeunes afin que ce tourisme soit une chance assumée et que ces perspectives s’ouvrent.
L’énergie fait partie également de cette stratégie que nous devons avoir. La biomasse est au cœur des ambitions à porter, les énergies marines également ; il y a là aussi une souveraineté énergétique à construire qui est à portée de main, compte tenu des ressources naturelles et de la localisation. Du solaire en passant par les énergies marines et la biomasse, il y a toutes les voies et moyens d’une souveraineté énergétique de la Nouvelle-Calédonie.
Et puis, il y a la mer. La mer est une chance qu’il faut pleinement reconnaître et qu’il faut pleinement transformer. La pêche est encore à développer bien davantage, la Nouvelle-Calédonie pourrait tirer bien davantage parti de ses ressources halieutiques qui sont nombreuses avec une capacité, et c’est ce que nous devons construire ensemble, à exporter jusqu’en Europe ce thon de qualité dont les pratiques de pêche ne sont pas comparables avec beaucoup d’autres puissances de la région.
Nous pouvons créer beaucoup plus d’emplois et là aussi développer beaucoup plus de potentiels, mais la mer, ça n’est pas simplement ça. Ce sont aussi des énergies marines renouvelables, ce sont aussi les algues, ce sont les innovations, c’est tout ce que nous pouvons tirer de cette croissance bleue qui est à portée de main et du tourisme à la valorisation économique, aux innovations, à la préservation des espaces. Il y a un continent de possible que nous devons réussir à inventer et qui fait partie de la stratégie économique indopacifique que nous voulons conduire.
Sur tous ces sujets, il y a une part de l’avenir de notre jeunesse qui se joue parce que, au-delà de la géopolitique et de l’économie, le troisième défi qui est le nôtre dans cette stratégie indopacifique, c’est le défi climatique.
Et d’ailleurs, la réussite économique ne peut pas se construire sans que nous n’ayons une réussite dans la lutte contre le réchauffement climatique et elle se joue dans cette région du globe.
Et nous avons sur ce sujet bien des initiatives à prendre, nous avons commencé à le faire avec nos partenaires. Nous avons acté de la participation de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande dans un fonds nous engageant collectivement pour la préservation de nos récifs et des récifs coralliens, avec un investissement qu’ont accepté et la Nouvelle-Calédonie et l’Australie.
Nous avons acté de la mise en place de ce fonds pour la biodiversité, qui dans la région permettra de mobiliser de nombreux bailleurs avec l’engagement de tous ; nous avons hier reçu les États de la Communauté du Pacifique à Nouméa – quelle fierté nous pouvons collectivement avoir ! – qui tous se sont engagés dans cette bataille et tous souhaitent pouvoir
mobiliser l’argent des bailleurs internationaux de manière simple, rapide et c’est ce que nous allons faire ensemble.
Ça fait partie des 12 initiatives que la France a portées au « One Planet Summit » le 12 décembre dernier. Cela, c’est ce que nous allons continuer à faire dans la région ; c’est le cadre de cette grande stratégie, mais pour la Nouvelle-Calédonie, le projet emblématique du parc marin de la mer de Corail illustre parfaitement cette stratégie et c’est celui que nous voulons pouvoir accompagner. L’Agence française pour la biodiversité s’engagera, mais avec elle aussi les investissements d’avenir pour que nous puissions aider la Nouvelle-Calédonie à cheminer, à pleinement investir, à pleinement valoriser et au-delà de ce projet, nous étions à Iaai où l’érosion côtière, là aussi, menace l’activité économique d’abord, l’habitat demain et angoisse chacune et chacun.
Nous investirons par l’Agence française de développement et par les différents projets que nous porterons pour là aussi protéger ces terres vulnérables en Nouvelle-Calédonie comme chez tous nos partenaires et nous avons acté de nouveaux investissements au Vanuatu et chez de nombreux autres amis de cette communauté du Pacifique.
Dans ce combat contre le réchauffement climatique et ses conséquences, il y a la réconciliation profonde de notre capacité à innover et à se rappeler d’où nous venons, les pratiques les plus ancestrales respectueuses des équilibres naturels parce qu’elle les connaissent, parce qu’elles s’en sont nourries et les pratiques les plus contemporaines et de l’innovation la plus contemporaine à travers le solaire, l’éolien, les énergies marines, la protection des côtes, la protection de la biodiversité. C’est dans cette réconciliation et ce mariage des compétences qui est au cœur de la culture pacifique que nous pourrons gagner cette bataille et que la France soit pleinement s’engagée.
L’avenir que je vois, que je veux porter, c’est celui d’une stratégie indopacifique qui passe par la géopolitique, par l’économie, par la lutte contre le réchauffement climatique.
Alors pour y parvenir, il nous faudra le porter ensemble. Le gouvernement sera toujours aux côtés du gouvernement de Nouvelle-Calédonie sur chacune de ces initiatives, mais il nous faudra aussi permettre à toute la société et en particulier à notre jeunesse d’en saisir les opportunités.
Cette stratégie n’est possible que si nous savons aussi pleinement reconstruire la sécurité, reconstruire les règles indispensables et la protection de chacun. Et j’ai souhaité que nous nous y engagions pleinement, c’est aussi pour cela que la police de sécurité du quotidien se déploie en Nouvelle-Calédonie parmi les territoires expérimentaux ; c’est aussi pour cela que parmi les territoires de reconquête républicaine, il y a certains quartiers où nous étions que nous avons fléchés. C’est une stratégie plus large de sécurité, de prévention, de travail avec les bailleurs, les associations qu’il nous faut faire pour que là aussi, rien ne déborde et que l’insécurité, le doute, les craintes n’empêchent pas de saisir ces opportunités que j’évoquais. Mais la bataille première pour y parvenir, c’est celle de l’éducation ; nous avons confirmé les financements en soutien du travail du gouvernent de Nouvelle-Calédonie et nous serons toujours au rendez-vous.
Nous avons visité un lycée formidable, le lycée Michel Rocard, exemplaire, j’y ai vu toute la richesse de l’archipel et je souhaite que nous puissions continuer cette stratégie éducative qui est le pilier indispensable pour que chacune et chacun y trouve sa place, pour que toute la jeunesse puisse avoir accès à la meilleure éducation et à la meilleure formation, pour qu’on puisse dans l’école enseigner les savoirs fondamentaux, les meilleurs enseignements, mais aussi les cultures, les langues qui font la tradition et la richesse de l’archipel et pour qu’on puisse par ce travail aussi construire ce qui est l’un des défis de cette stratégie qui est devant nous, c’est celle d’une société et d’un archipel plus équilibré sur le plan territorial et de son économie, et c’est l’un des grands acquis des vingt dernières années, sans doute accéléré ces dernières années et sur lequel nous devons aller plus loin, équilibré en donnant une place à chacun et en étant sûr que chaque enfant aura les mêmes opportunités où qu’il soit né, dans quelque endroit et dans quelque famille ; plus équilibré en s’assurant que les femmes auront autant d’opportunités que les hommes et seront autant respectées que les hommes.
C’est cette société-là que nous devons dessiner parce qu’elle sera exemplaire dans tout le Pacifique, exemplaire par sa vision, exemplaire par ses équilibres, exemplaire parce qu’elle aura tout à la fois le meilleur de l’histoire ancestrale de la Nouvelle-Calédonie et de ce que doit produire l’histoire et l’actualité de la République française. Et donc, c’est dans cette ambition qui inclut la Nouvelle-Calédonie dans cet espace immense, mais essentiel de l’Indopacifique que je veux que nous construisions ensemble notre avenir et ces prochaines années.
C’est cette vision d’avenir que je voulais partager, plutôt que de dire quoi choisir. Ce sera la conscience qui le dictera ; ce sera la liberté qui s’exprimera. Je crois que j’ai un peu appris à connaître les Neo-Calédoniens. Il y a une chose que j’ai comprise, c’est que beaucoup est affaire de regard. Quand on demande qui va parler, quel que soit le parti, quels que soient les désaccords, on se cherche du regard. Quand on est ému, on ne parle pas trop, mais les mêmes regards qui se cherchaient se remplissent de larmes, c’est une terre de regard, j’aimerais que ce regard se
tourne vers l’avenir. J’aimerais que ce regard continue à se considérer, mais ne se perde pas trop à regarder de côté ou à chercher le regard de l’autre, il est indispensable, mais je suis sûr d’une chose, c’est que ces regards se conjugueront mieux s’ils essaient de voir ensemble le même point.
Le matin du 5 mai à Ouvéa, j’ai planté un cocotier. Certains ont commencé à dire : est-ce l’arbre de la colère ? D’autres disaient : non, c’est l’arbre du pardon, c’est l’arbre de la reconnaissance. Alors on a décidé que ce serait l’arbre de l’avenir. Il a été planté avec plusieurs des enfants et une petite fille, une petite Ginette, qui était là et je lui ai donné une mission très particulière – c’est qu’elle va s’assurer que l’arbre pousse bien, elle le surveillera et nous, nous lui devons une chose à cette petite Ginette, c’est de s’assurer qu’elle puisse grandir comme elle le mérite, en Nouvelle-Calédonie, qu’elle puisse grandir en ayant la meilleure formation, en ayant l’avenir le plus conquérant possible, en ayant toutes les chances avec elle parce que ses parents, ses grands-parents, ses frères, ses sœurs, ses oncles auront aussi décidé ensemble de regarder l’avenir…
Cette publication reprend l’essentiel des déclarations faites par Emmanuel Macron à Nouméa le 5 mai 2018