La Côte d’Ivoire a été le théâtre, en 2010-2011, d’une grave crise politique qui a coupé le pays en deux, à la suite d’une élection présidentielle dont les résultats ont été contestés par le président en place. Cette nation d’Afrique de l’Ouest a connu un nouveau départ avec l’arrestation du président Laurent Gbagbo et la prise de fonction d’Alassane Ouattara considéré par l’opinion internationale comme le vainqueur légitime de l’élection de 2010.
Chanter à tue-tête l’Abidjanaise
Ancien Premier ministre de Félix Houphouët-Boigny (le père de l’indépendance) et ancien économiste au Fonds monétaire international, Alassane Ouattara a stabilisé le pays (il a été réélu en 2015) et lui a permis de connaitre un rebond économique spectaculaire. En 2017, le taux de croissance du PNB de la Côte d’Ivoire a été de 7,6 %, après avoir déjà connu une croissance annuelle moyenne de 9,3 % sur la période 2012-2015. Non seulement la Cote d’Ivoire a réalisé en 2017 la plus forte croissance de tous les pays africains (avec la Libye et l’Éthiopie), mais elle l’a aussi atteinte pour sa croissance moyenne durant les cinq dernières années ! La performance réalisée par la Côte d’Ivoire, un pays de 24 millions d’habitants et de 322 000 km2 (légèrement plus grand que l’Italie), est particulièrement remarquable compte tenu de son niveau de développement (1 400 dollars de revenu par habitant en 2015).
Le processus de croissance s’est amorcé dès la fin de la crise politique de 2010-2011, avec l’engagement de la Côte d’Ivoire dans de profondes réformes économiques visant à moderniser l’agriculture (notamment la filière café/cacao), à mettre en place un environnement favorable à l’investissement, à lutter contre le délabrement du réseau routier et des universités.
De nombreuses mesures ont été prises afin de faciliter, sécuriser et mieux encadrer les investissements qu’ils soient étrangers ou locaux, comme la mise en place d’un nouveau Code des investissements, d’un guichet unique de création d’entreprises et d’une plateforme d’échanges pour centraliser les appuis des partenaires au développement de l’environnement des affaires, tout en maintenant une faible pression fiscale, de l’ordre de 16 % du PIB actuellement. Aussi la Côte d’Ivoire a été désignée comme étant l’économie subsaharienne la plus attractive pour les investissements directs étrangers (devant le Kenya et la Tanzanie), par le rapport 2015 du Nielsen Africa Prospects Indicators (API Report). L’ancienne colonie française en proie dans le passé à une guerre civile larvée, apparait plus aujourd’hui sûre que des pays de plus grande dimension comme l’Afrique du Sud, le Nigeria ou l’Angola. De quoi aller à Yamoussoukro pour entonner à tue-tête l’Abidjanaise (l’hymne national) !
Les réformes accomplies par le pays, son économie plus diversifiée que dans le passé (production de coton, de fruits exotiques et de bois), les inquiétudes concernant un certain nombre de pays fortement dépendants de leurs ressources naturelles minières (chute des recettes des pays exportateurs de pétrole) et sa monnaie particulièrement stable (le franc CFA) expliquent ce regain manifeste d’attractivité. De plus, le pays investit massivement dans l’éducation et la formation dont le budget a augmenté de plus de 20 % en 2016.
Le retour de l’Afrique francophone
L’Afrique francophone, prise globalement, connaît une très forte croissance, la Côte d’Ivoire n’est donc pas un cas isolé. Les pays francophones d’Afrique – les nouveaux « dragons » – ont réalisé six des dix meilleures performances continentales pour l’année 2017. Ces pays ont été pour l’instant peu affectés par la menace terroriste (Boko Haram) et ils ont profité de la baisse du prix des hydrocarbures, contrairement aux pays exportateurs de pétrole d’Afrique (Algérie, Angola, Nigeria…). Une classe d’entrepreneurs est en train de naître en Afrique autour de petites entreprises et de PME.1
Avec un taux de croissance de 7 %, la République de Djibouti se classe quatrième, après la Côte d’Ivoire (7,6 %), devançant quatre autres pays francophones, le Sénégal (6.8 %), la Guinée-Conakry (6.7 %), le Burkina Faso (6,4 %) et le Rwanda (6,2 %). C’est un résultat d’autant plus remarquable que la Côte d’Ivoire (PIB par habitant : 1 616 dollars) et Djibouti (1,988 dollars) ont déjà un niveau de développement plus élevé que celui de la majorité de pays subsahariens.
L’Afrique subsaharienne francophone est à nouveau arrivé en tête de la croissance africaine pour la cinquième fois en six ans avec une croissance globale annuelle de 3,2 % en moyenne, dépassant celle de l’Afrique subsaharienne anglophone. Les performances des pays francophones d’Afrique subsaharienne contrastent avec l’essoufflement de la croissance en Afrique du Sud, pays qui a souvent été présenté comme la locomotive du continent, mais dont le dynamisme est miné par des tensions sociales, des problèmes climatiques (sécheresse) et des dysfonctionnements touchant son réseau de distribution d’électricité. On le voit, il faut penser l’Afrique autrement en s’affranchissante des schémas préconçus.
Face à cette Afrique francophone, amie et en forte croissance, regroupant 370 millions d’habitants et s’étendant sur 14 millions de km2, soit plus de trois fois l’Union européenne, quel rôle joue la France ? Elle n’y a réalisé que 3,7 % de son commerce extérieur en 2014, Maghreb compris, et seulement 1,1 % avec sa partie subsaharienne. Pour cette dernière, la Chine est désormais le premier fournisseur, devant la France avec une part de marché de 13,6 % contre 9,7 %.
La France brille notamment par son absence dans le plus grand pays francophone du monde, la République démocratique du Congo (RDC) et ses 74 millions d’habitants, dans lequel la France n’a que 3 % de part de marché. Elle vient même d’être dépassée par le Maroc en tant que premier investisseur étranger en Côte d’Ivoire en 2015. Bravo pour le Maroc, mais quid de la stratégie économique française ?
Voici des pays ayant une croissance supérieure à la Chine, francophones, amis et voisins, avec lequel nous avons des relations linguistiques, démographiques, historiques et culturelles profondes. La France ne devrait-elle pas leur accorder une priorité absolue pour ses investissements, ses partenariats universitaires et ses échanges économiques ?
André Boyer*
Frédéric Teulon**
* André Boyer est l’auteur de nombreuses publications dans les domaines du management et de la géopolitique et il a enseigné dans plusieurs universités africaines. Par ailleurs, André Boyer anime un blog dans lequel il commente régulièrement l’actualité nationale et internationale.
** Ancien élève de l’IEP de Paris et de l’ENS Paris-Saclay, agrégé de l’Université, Frédéric Teulon est le Directeur de la recherche à l’IPAG Business School. Il a été le proche collaborateur du Premier ministre Raymond Barre, il a également travaillé avec Alain Peyrefitte et Charles Pasqua. Frédéric Teulon est le coordinateur de plusieurs colloques internationaux qui se tiennent chaque année en France, notamment l’International Symposium on Environment and Energy Finance Issues (ISEFI) qui réunit chaque année les meilleurs spécialistes de l’énergie.
Note
1 Voir sur ce point : J. Hadjenberg et J.-M. Severinao, Entreprenante Afrique, Odile Jacob, 2016.