1 – Transition énergétique et politiques régionales
La transition énergétique se trouve confrontée à la nécessité de répondre à une croissance continue de la demande en énergie au niveau mondial, en raison de l’évolution démographique et de l’amélioration du niveau de vie, tout en réduisant fortement le contenu carbone de l’énergie consommée, ce qui réclame des investissements importants. Le niveau des investissements dans le domaine de l’énergie à bas niveau carbone reste largement insuffisant pour mener à bien la transition énergétique. Dans un rapport de mai 2020 ; l’AIE prévoit, après une stagnation au niveau de 1850 G$, une chute historique des investissements de l’ordre de 20% en 2020, en raison de la crise du covid-19.1
Fig. 1 – Evolution des investissements mondiaux dans le secteur de l’énergie
La substitution des énergies fossiles par des énergies renouvelables va demander des investissements très élevés et va prendre du temps. Il en est de même dans le secteur de la mobilité, en ce qui concerne les véhicules électriques ou à l’hydrogène et les infrastructures qu’ils nécessitent.
Au niveau mondial, la part d’énergie primaire non fossile devrait donc se situer entre 30 et 40% en 2050, avec de grandes incertitudes au-delà. (Fig. 2)
Fig. 2 – Évolution tendancielle de la part d’énergie primaire non fossile dans le Monde
Par ailleurs, une baisse importante de la consommation d’énergie fossile va entraîner une chute des cours en rendant ces sources d’énergie particulièrement attrayantes pour des pays dont le développement est la priorité.
L’Union Européenne prévoit d’atteindre la neutralité carbone en 2050. C’est un objectif très ambitieux, qui sera difficile à tenir. Il est vraisemblable qu’à cet horizon, au niveau mondial, la part d’énergie non fossile restera inférieure à 50%, ce qui pose la question de l’impact politique et économique d’une transition énergétique menée à des rythmes différents selon les pays.L’avenir dépendra largement des politiques suivies par les deux grandes puissances économiques mondiales, la Chine et les États-Unis, qui représentent à elles seules 43 % des émissions mondiales de CO2. D’importantes incertitudes subsistent concernant la politique suivie par les pays qui sont déjà ou qui vont devenir les principaux émetteurs de gaz à effet de serre.
2 – Localisation des ressources
La géopolitique des énergies renouvelables diffère fondamentalement de la géopolitique des hydrocarbures. Dans le cas des hydrocarbures, elle est liée aux échanges très importants de pétrole et de gaz naturel entre pays producteurs et pays consommateurs. Au contraire, dans le cas des énergies renouvelables, l’énergie est produite et consommée localement pour l’essentiel. Les énergies renouvelables servent en grande partie à produire de l’électricité. Or l’électricité est difficile et coûteuse à transporter sur de longues distances. On peut la transporter d’un pays à un autre, lorsqu’il existe un réseau interconnecté, comme c’est le cas pour les pays de l’Union Européenne, mais beaucoup plus difficilement sur de très longues distances ou d’un continent à un autre.
Pour cette raison, les énergies renouvelables sont en général produites et consommées localement.
L’énergie hydroélectrique dépend des ressources hydrauliques du pays. Elle est abondante dans des régions comme la Norvège, qui disposent de ressources en eau importantes et qui sont très montagneuses. Des installations hydroélectriques de grande puissance peuvent être installées sur de grands fleuves (barrage des Trois Gorges, barrages sur le Nil, barrage d’Inga au Congo, potentiellement de 40 GW). La disponibilité en ressources hydroélectriques reste limitée et la part relative de l’hydroélectricité dans la fourniture d’électricité au niveau mondial a baissé d’environ 20% il y a une trentaine d’années à 16% aujourd’hui…
De même, la biomasse est une ressource locale, surtout abondante dans des régions qui disposent de forêts étendues, mais là encore la ressource est limitée et il existe un risque important de déforestation en cas de demande excessive. La géothermie ne peut jouer un rôle important que dans des zones volcaniques où le gradient géothermique est élevé, comme en Islande, Californie, Indonésie, Philippines, Nouvelle-Zélande, Italie (en Toscane) ou Guadeloupe.
Les énergies renouvelables les mieux réparties à la surface de la Terre sont le solaire et l’éolien, mais avec néanmoins de larges variations, suivant les durées d’ensoleillement et la régularité du vent. Ainsi, les pays du nord de l’Europe, où la durée d’ensoleillement est très réduite en hiver, peuvent difficilement faire appel à l’énergie solaire. Dans le monde, l’énergie fournie par irradiation solaire varie entre 500 et 2500 kWh/m2x an, soit un facteur 5; en France, elle se situe entre 1200 et 1800 kWh/m2x an, du nord au sud. La puissance éolienne disponible en moyenne varie entre 50 et 400 W/m2, selon les régions.
En Europe, le fait que les énergies renouvelables sont produites et consommées localement est en général considéré comme un élément très favorable, mais cet avantage est en grande partie compensé par une forte dépendance vis-à-vis des équipements et matériaux de base qui doivent être importés de l’extérieur.
3 – Localisation des matériaux et des produits techniques
Le solaire et l’éolien sont les seules sources d’énergie renouvelable qui se développent très rapidement à l’heure actuelle. Une grande partie des équipements est produite en Chine.2 C’est le cas notamment des capteurs photovoltaïques, produits en Chine pour plus de 75%. En 2019, pour une production de panneaux représentant une de puissance d’environ 130 GW, une part équivalente à 100 GW a été produite en Chine. Sur les 10 premiers fabricants mondiaux, 9 sont chinois.
Fig.3 – Production de cellules photovoltaïques de 2010 à 2019
En Europe, les importations d’hydrocarbures risquent donc d’être remplacées par des importations de capteurs photovoltaïques et de batteries, d’un montant au moins équivalent.
Cette situation pourrait évoluer si l’Union Européenne affiche une volonté forte de relocalisation pour la production de tels équipements. Une taxe carbone aux frontières pénaliserait fortement les capteurs chinois produits avec une électricité fortement carbonée. Il n’est pas évident toutefois que l’Union Européenne aura la volonté ou même la possibilité d’appliquer de telles mesures, qui déclencheraient une guerre commerciale entre l’Union Européenne et la plupart de ses partenaires commerciaux (Chine, mais aussi Russie et États-Unis).
En outre, les équipements utilisés pour assurer la transitions énergétiques font appel à des matériaux critiques qui doivent être importés. Les terres rares qui sont utilisées notamment pour fabriquer les aimants permanents (néodyme, praséodyme, dysprosium, terbium) des générateurs d’éoliennes sont détenues de manière prédominante par la Chine, qui produit 80% des terres rares. Une éolienne de 7 MW peut contenir 1 tonne de terres rares.3 Les terres rares deviennent un enjeu stratégique et il a même été évoqué une « guerre des métaux rares ».4
D’autres métaux critiques comme le cobalt ou le platine utilisés pour les batteries ou les piles à combustibles doivent être également importés. Le cobalt est produit principalement au Congo, dans des conditions qui posent de graves problèmes sociaux et humains (travail des enfants). La production en grandes séries de voitures électriques va nécessiter un fort développement de la production de lithium, dont les ressources les plus abondantes se trouvent en Bolivie (désert de sel : salar de Uyuni). Les conséquences politiques, économiques et environnementaux sont évidemment importantes.
Au-delà de la simple dépendance, se pose la question de la disponibilité future des matériaux critiques. D’après une étude effectuée par l’AIE,5 les matériaux les plus impactés seraient l’indium, le manganèse, le tantale, le molybdène, le palladium, l’or et l’argent pour lesquels la demande ferait plus que doubler.6
La dépendance vis-à-vis des importations d’hydrocarbures risque ainsi d’être remplacée par une dépendance vis-à-vis des importations d’équipements finis ou dans le meilleur des cas par des importations de matières premières. Par ailleurs, de la même façon que l’on se trouvait confronté à une limitation des ressources en hydrocarbures, on risque de se trouver confronté à une limitation des ressources en matières premières, spécialement dans le cas des terres rares ou des métaux dits critiques.
Alexandre Rojey
1 IEA, World Energy Investment 2020 May 2020.
2 Arnulf Jäger Waldau, European Commission, Joint Research Center, European Commision, Snapshot of Photovoltaics, February 2020.
3 Alexia Eychenne, Socialalter, n°28, Avril-mai 2018.
4 Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares – La face cachée de la transition énergétique et numérique, ISBN, 2018.
5 IEA, Energy Technology Perspectives, 2017.
6 Clément Bonnet, Samuel Carcanague, Emmanuel Hache, Gandia Sonkha Seck, Marine Sinoën, Vers une géopolitique de l’énergie plus complexe, Policy Research Working Paper, IFPEN, IRIS, ANR, Dec. 2018.