Article co-écrit par Jamel Eddine Chichti
Les activités illicites, frauduleuses et criminelles, sources d’argent sale, ont beaucoup évolué dans l’espace et dans le temps, et ce en parallèle avec le développement de la technologie et des nouveaux moyens d’information et de communication. Elles représentent au niveau mondial un chiffre d’affaires stratosphérique, estimé par les instances averties comme l’ONU à plusieurs milliers de milliards de dollars chaque année.
L’une des premières lois qui définit le délit de blanchiment d’argent est la loi française du 31 décembre 1987 qui a été modifiée par la loi du 13 mai 1996. Cette définition, telle qu’elle a été introduite au Code pénal français, considère le délit de blanchiment d’argent comme une activité qui vise à « faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit ». Il s’agit, plus précisément, de « l’introduction, l’intégration, la dissimulation et la protection des bénéfices d’activités illicites, frauduleuses, illégales et criminelles, émanant de circuits économiques, légaux et licites pris en compte par la comptabilité nationale, et pouvant donner lieu à un réinvestissement dans un domaine économique réel et légal ».
L’argent illégalement et illicitement gagné provient de différentes origines mafieuses et dépend de la nature des actes criminels commis par les malfrats. Les experts divisent l’argent sale et délictueux en deux catégories : l’« argent noir » provenant du crime proprement dit, d’une part, et l’« argent gris » provenant des « délits en col blanc », de l’autre.
Pour ce qui est de l’argent noir, il s’agit bien des organisations criminelles transfrontalières, transnationales ou des djihado-terroristes qui pratiquent une diversité de trafics comme celui de la drogue, des armes, de la contrebande, des produits hors commerce, des médicaments subventionnés ou non, ainsi que l’immigration clandestine et le trafic d’êtres humains pour entretenir les réseaux d’« esclavage moderne », de prostitution et de pédophilie. Omniprésent dans les économies et les rouages financiers à travers le monde, cet argent noir représente jusqu’à 8 à 9 % du PIB mondial. Il est identifiable grâce à la traçabilité des actes criminels par les forces de l’ordre (enquêtes et saisies), mais demeure difficile à neutraliser tant les réseaux mafieux sont complexes et ramifiés.
L’argent gris, quant à lui, représente – à notre avis – la partie cachée de l’iceberg de l’argent sale. En effet, cet argent gris émane d’activités illégales avec une partie légale minoritaire. Il relève d’activités délictueuses, voir même dangereuses, qui paraissent sans gravité aux yeux de leurs auteurs, mais qui sont déstabilisatrices et ravageuses pour les sociétés, les économies, l’environnement et la nature. En effet, tout ce qui relève de fraude fiscale, de détournement de marchés publics, des subventions avec corruption et malversations de part et d’autre, tout ce qui est lié aux délits d’initiés au trafic d’influence et abus de biens sociaux, usurpation de la propriété intellectuelle et artistique, voir même du financement occulte des partis politiques… est lié à l’argent gris qui représente un pourcentage du PIB mondial presque similaire à celui de l’argent noir. Rares sont les pays qui sont épargnés par ce phénomène, devenu une gangrène au cœur de l’économie mondiale.
Si la cartographie de la mafia qui draine l’argent sale privilégie les pays d’Amérique latine comme le Mexique, la Colombie et le Pérou, les pays d’Europe comme la Russie, l’Italie et l’Albanie, les pays asiatiques comme la Chine et le Japon, le crime est omniprésent au niveau planétaire avec ses « centres névralgiques » et ramifications internationales. La mondialisation et la déréglementation aidant, les flux d’argent sale n’ont épargné, ou presque, aucun pays, tant le fléau de cette criminalité est chronique et diffus. Aussi, les régions les plus criminogènes ne seraient-elles pas les plus pauvres et les moins développées ? Et à ce titre, l’Afrique représente-t-elle un terrain fertile et opportun pour un bon nombre de délits financiers multiples ?
C’est ainsi que la large suppression des barrières commerciales en Afrique et le dumping des surplus céréaliers européens et américains sur les marchés locaux ont entraîné la chute dramatique des productions agricoles de base. L’autosuffisance alimentaire a été hypothéquée, donnant lieu à des subventions et compensations, à la production et à la consommation.
Ainsi sous le poids de la dette extérieure et de la corruption, des subventions et compensations, les producteurs agricoles se sont tournés, par exemple, vers la culture du cannabis et le trafic de la drogue ; au Maghreb et surtout au Maroc des milliers de paysans se sont livrés à la culture du cannabis et à la fabrication du haschich. Cette culture a ouvert la porte aux échanges extérieurs avec les pays voisins et avec le reste du monde, à travers des circuits mafieux et parallèles. Certains trafics ont même dépassé en chiffres le total des exportations agricoles légales et formelles.
Ce qui caractérise davantage les économies africaines, c’est le poids de l’économie parallèle et informelle illicite dont une grande partie alimente dorénavant, directement ou indirectement, le terrorisme. De même, ce qui caractérise l’Afrique dans le délitement et l’accumulation immorale et amorale de l’argent, c’est le système mafieux et caché, soutenu et entretenu par la société civile et les organes officiels de l’État, et ce par le biais de canaux administratifs et financiers formels et reconnus par les autorités de tutelle. Il s’agit, notamment, des organismes et caisses de compensation des produits alimentaires de base et des caisses nationales d’assurance maladie… Une fraude patente, dans son sens le plus large, qui met en péril les équilibres macroéconomiques et financiers des États africains.
Les malversations et le recyclage de l’argent sale relatifs aux subventions des produits de base et des soins médicaux ne sont qu’une des multiples facettes de la pyramide du blanchiment d’argent. Pourtant, c’est un sujet essentiel et extrêmement sensible pour la plupart des États africains – surtout les plus pauvres – qui sont obligés à consacrer des budgets très importants pour garantir les minima sociaux au détriment des secteurs porteurs du développement et de la création de l’emploi. Pire, l’augmentation constante de ces dépenses et la fraude au niveau des caisses de compensation et d’assurance maladie aggravent les déséquilibres budgétaires et pèsent sur la croissance, le développement, le progrès social ainsi que sur la stabilité.
Le détournement de l’argent, provenant du secteur formel et faisant partie de la comptabilité nationale, découle directement des dysfonctionnements des organismes et caisses de compensation des produits alimentaires de base (huile, sucre, farine, riz, médicaments, carburant…). Il est évalué pour les pays Africains à plusieurs milliards de dollars, représentant jusqu’à plus 25 % des budgets de certains États. Ce détournement prend sa source dans les agissements illicites et délictueux des professionnels de l’industrie agroalimentaire, l’industrie chimique, les corps de métiers comme les boulangers, les pâtissiers, les restaurateurs, les pizzerias, les hôteliers… Ces actes délictueux sont soutenus et consolidés par la connivence de certains agents de l’administration et de caisses payantes, sous couvert de l’omerta des autorités de tutelle.
Pour les caisses nationales d’assurance maladie et les assurances, par exemple, l’argent frauduleux provient de malversations organisées et structurées par une organisation occulte entraînant des individus, voire des familles entières, amoreaux, immoraux, de mauvaise foi (malades imaginaires) et certains professionnels de santé (chirurgiens, médecins, pharmaciens, laborantins véreux), ainsi que des agents administratifs. Tous les intervenants malintentionnés issus de cette organisation mafieuse tirent profit et encaissent d’une manière directe ou indirecte, tout ou partie de l’argent détourné. Ces intervenants ne font que profiter d’un système formel et officiel défaillant, incapable d’assurer un contrôle efficace et une bonne gouvernance des deniers publics. Les pertes cumulées des caisses d’assurance maladie et des assurances sociales représentent un fardeau lourd pour le budget de l’État et entrave toute autre forme de financement nécessaire à la croissance et au développement des pays, hypothéquant ainsi l’avenir des générations futures en Afrique.
Les techniques de blanchiment : souplesse et mimétisme
Le blanchiment consiste à dissimuler la provenance d’argent acquis de manière illégale (détournements de fonds publics, spéculations illégales, activités mafieuses, trafic de drogue, d’armes, extorsion, corruption, fraude fiscale…) pour le réinvestir dans des activités légales. Pour arriver à leur fin, les fraudeurs ont recours à des techniques qui se développent et s’adaptent aux innovations dans les domaines des produits financiers, des activités des intermédiaires et des marchés de capitaux. Ces techniques peuvent être divisées en deux volets : les techniques « artisanales », classiques, et les techniques modernes intégrant les instruments et les montages financiers innovants.
Les techniques artisanales ne demandent pas beaucoup de technologies et de savoir-faire très élaboré. Pour l’essentiel, il s’agit d’achat de pierres précieuses, d’immeubles, de tableaux d’art, de pièces d’antiquités, de fausses factures, de fausses ventes et achats, de faux procès, de prêts adossés ou autofinancés, de cession conventionnelle de prêt, de faux gains au casino…
Les techniques financières modernes exigent, pour leur part, beaucoup plus de savoir-faire, de veille financière et de stratégies. En effet, avec l’évolution de l’environnement économique légal, la mondialisation et la déréglementation financière, la dollarisation de l’économie mondiale, l’avènement de la monnaie unique européenne, les nouvelles technologies de paiement et de virement électroniques, les moyens de blanchiment d’argent sont pléthores et rivalisent d’ingéniosité. Tout l’art est de ne pas se faire repérer. Les organismes et individus qui pratiquent ce type de délit se trouvent devant une grande diversité de choix et de techniques qui facilitent et simplifient leurs tâches. Les nouveaux moyens de paiement et de virement, par le biais des réseaux bancaires et financiers, ont donné une envergure internationale en termes d’opérations bancaires et financières simples et sophistiquées.
Les opérations de vente et de rachats de sociétés par les techniques de leveraged buy-out (LBO) ou leveraged buy-in (LBI), donnent lieu également à un levier financier important aux dépens de la stabilité et de la paix sociale. De même, le développement de nouveaux instruments financiers et boursiers à travers les marchés de capitaux internationaux a offert une véritable occasion aux escrocs de blanchir l’argent sale. En effet, prendre des positions opposées d’achat et de vente d’un put1 ou d’un call2 pour les produits dérivés sur le marché des options négociables donne lieu à un blanchiment en bonne et due forme de l’argent sale. Des stratégies permettant des opérations, parfois sophistiquées, avec deux put et deux call, donnent la possibilité de blanchir d’une seule opération des quantités non négligeables d’argent sale. Ce type de blanchiment peut se réaliser d’une manière simultanée et organisée à travers plusieurs places financières dans le monde. Il y a lieu de préciser que toutes les techniques développées précédemment restent liées à la criminalité internationale et classique, touchant la drogue, le trafic en tout genre et la corruption…
Toutes les lois internationales se focalisent sur une solidarité internationale pour lutter contre le blanchiment d’argent, la corruption, la criminalité à caractère régional ou transnational et le terrorisme.
Cependant, il y a une autre forme de blanchiment des opérations criminelles – nationale cette fois-ci – au travers des circuits officiels et formels de l’État. Il s’agit là de corruption et de la criminalité émanant de l’administration, des consommateurs, des organes du contrôle, des sociétés industrielles et commer-ciales et de tout autre intervenant ayant un profit matériel à réaliser par son implication directe ou indirecte dans de multiples opérations. Ce type de blanchiment est propre aux pays d’Afrique qui ont des organismes et des caisses de compensation de produits alimentaires de base (farine, huile végétale, sucre, riz, café, lait, et autres produits alimentaires), du carburant pour l’agriculture et la pêche ainsi que pour les classes déshéritées de la population… Ces caisses viennent compenser les prix à la production et à la consommation pour que les producteurs maintiennent leur production face aux prix et coûts internationaux qui sont beaucoup plus compétitifs par rapport aux coûts de production locaux (comme les céréales et autres produits agricoles), d’une part, et pour permettre à certaines activités artisanales et agricoles de continuer à exister, d’autre part, – sans lesquelles la paysannerie disparaîtrait et l’exode rural, avec des citées et ceintures immobilières anarchiques et déjà saturées autour des villes, se propagerait. Le rôle de la compensation, à travers ces organismes et caisses, est inéluctable et permet, par ailleurs, aux consommateurs de supporter des prix adaptés à leur pouvoir d’achat. En effet, les consommateurs citoyens ne peuvent en aucun cas consommer et vivre dignement sans la compensation assurée par ces caisses.
De même, la plupart des États africains ont mis en place un système d’assurance maladie qui assume les dépenses de santé (consultations, traitement, interventions chirurgicales) dans les établissements publics et privés. Or, les caisses d’assurances maladie sont largement déficitaires et représentent un poids économique de plus en plus lourd pour les budgets africains, tandis que ces déficits chroniques sont de plus en plus aggravés par la fraude et la corruption. Ces délits récurrents représentent un grand danger pour les économies africaines, puisque ces caisses « mettent à disposition » un excellent outil de blanchiment pour tous les acteurs fraudeurs et corrupteurs/corrompus du système de compensations et de subventions assuré par l’État. Ces actes illicites et frauduleux, perpétrés dans un climat de silence total par leurs auteurs formels et informels, officiels et officieux, font partie des « grandes escroqueries » dont souffrent aujourd’hui les nations africaines. Rares sont les responsables gouvernementaux qui dénoncent ouvertement ces faits et révèlent les statistiques précises (quand elles existent) sur la question.
Afin de combattre ce fléau, il faut des politiques plus déterminées et plus volontaristes, au niveau national en coordination avec les efforts régionaux et internationaux, avec, notamment, l’appui des cellules nationales de lutte contre le blanchiment et des organismes régionaux comme le GIABA.3
La lutte contre le blanchiment : acteurs, stratégies et difficultés
La lutte contre le blanchiment se résume essentiellement à l’opposition de deux adversaires inégaux qui évoluent, chacun, de manière asymétrique et disproportionnée : des organismes nationaux et internationaux de lutte contre le blanchiment, d’une part, et des organisations criminelles transnationales, d’autre part. face à un jeu inéquitable où les fraudeurs disposent d’énormes moyens financiers et ont souvent un temps d’avance, il est difficile pour les organismes publics d’anticiper les menaces.
Les organisations criminelles saisissent très rapidement toute nouvelle possibilité et technique de blanchiment à travers une stratégie de veille sans frontières ou contraintes juridiques. Tels des prédateurs, maintenir de l’avance par rapport aux organismes nationaux ou internationaux de lutte contre le blanchiment est un gage de réussite. Les structures officielles évoluent, pour leur part, dans un cadre juridique et institutionnel trop souvent rigide, sans véritables dispositifs de veille précoce, presque tout le temps dépassées par de nouveaux délits, souvent minées par des complicités internes. Ce constat révèle le caractère fort et ravageur d’un phénomène qui ronge et détruit la stabilité économique et sociale des pays, provoque l’insécurité, met en cause la continuité des États et la paix nationale.
Cependant, partant de son caractère transnational et des menaces graves qui en découlent pour le système économique, financier et le tissu social, le phénomène du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme a donné lieu à une prise de conscience et une mobilisation sans précédent de la communauté internationale en faveur de la mise en place d’une véritable stratégie collective moderne et globalisée. Conscients du danger omniprésent de ce phénomène, presque tous les États ont modifié leur législation et signé des accords internationaux relatifs à la lutte contre le blanchiment d’argent, le détournement, la corruption et le terrorisme. Les actes terroristes vécus tout au long de l’année 2015 à travers l’Afrique, l’Europe, et l’Asie n’ont fait que précipiter et consolider cette prise de conscience collective.
Puisque les lois nationales et les normes internationales, soutenues par la Convention des Nations Unis et le développement du réseau institutionnel, ont été mises au point assez tardivement, ce qui rend plus difficile la tâche de combler le fossé entre criminels et justiciers, le chemin à parcourir dans cette lutte ne fait que commencer et semble être difficile, lourd et long à mettre en œuvre. Les difficultés relèvent aussi de la complexité de l’organisation des synergies nationales et internationales, de la sensibilité de certains dossiers judiciaires impliquant les politiciens locaux, et surtout du facteur de la souveraineté nationale qui tend à bloquer toute tentative de régulation et d’intervention supranationale. De même, l’évolution accélérée des nouvelles technologies de l’information et de la communication rend très rapidement obsolètes les tactiques et les moyens de lutte contre le blanchiment d’argent et le terrorisme.
Toutefois, plusieurs actions nationales et transnationales depuis les années 1980 ont permis d’adopter et de lancer la mise en œuvre des textes relatifs à la lutte anti-blanchiment comme les directives européennes sur la vérification, le suivi des déclarations de soupçon et d’alerte relatives aux établissements financiers et non financiers, suivies de l’adaptation, de la transposition en droit interne (France, Allemagne, Espagne…) et de l’adoption des mesures concrètes sur le contrôle dans les domaines financier aussi bien que non financier. De ce fait les professionnels de l’économie, de la finance, du droit et de la comptabilité sont de plus en plus astreints à prendre toutes les mesures de prévention et de soupçon envers certaines opérations qui paraissent douteuses et criminelles ; celles-ci s’étendent aujourd’hui au continent africain.
La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (Convention de Palerme), ouverte à la signature lors de la Conférence de Palerme en décembre 2000, a consolidé cette prise de conscience internationale de la menace du crime organisé et des groupes terroristes à l’échelle internationale. Depuis les événements de septembre 2001, le monde est marqué par une série ininterrompue de crimes et actes terroristes accompagnés de financements occultes relevant des trafics illicites et de l’argent blanchi. Il s’agit d’une menace permanente contre l’humanité toute entière, donnant lieu à une nécessité absolue de lutter contre toutes les formes de blanchiment et sources de financement du terrorisme.
Dès lors, des organismes nationaux et supranationaux, comme le GAFI4 , mettent au point des recommandations contre le blanchiment et se chargent d’observer les comportements des États-nations vis-à-vis de ce fléau. Certains pays non coopératifs ou récalcitrants sont mis sur la « liste noire ». À ce titre le GAFI est l’exemple par excellence.
Dans un contexte similaire, la quatrième directive européenne de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) constitue un enjeu important et un nouveau défi pour les établissements financiers, s’agissant de la mise à niveau de la veille en matière de risques. En introduisant l’obligation de modéliser les risques de blanchiment, cette nouvelle directive impose une prise en considération dynamique de changements sur les facteurs indicatifs de risque. Il est, par conséquent, essentiel de construire des dispositifs appropriés et efficaces pouvant s’adapter en permanence à l’évolution des textes et au renforcement des exigences de conformité. Ces exigences (LCB-FT) consistent à décrypter les obligations réglementaires et surtout à bénéficier des meilleures pratiques entre les banques en matière d’informations et de renseignements.
Pour le continent africain, devenu l’une des destinations privilégiées de la corruption, du blanchiment d’argent et du terrorisme, des groupes d’action se sont organisés pour engager un véritable processus de lutte contre ce dangereux fléau. Nous n’examinerons que deux exemples de ces efforts : ceux entrepris en Afrique centrale et dans le Maghreb. Le Groupe d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique centrale (GABAC, membre associé et reconnu par le GAFI), qui réunit le Cameroun, la République du Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine et le Tchad, couvre la zone de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) pour évaluer, coordonner et dynamiser la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. L’union monétaire au sein du CEMAC a mis au point un règlement portant prévention et répression du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme. Ce règlement a repris à la lettre et adapté les textes des différentes conventions des Nations Unies depuis 1988 relatifs aux définitions et à l’interprétation du blanchiment d’argent, au financement du terrorisme, d’une part, et à l’identification de l’objet et des personnes physiques ou morales tenues de prévenir, détecter, empêcher, voir réprimer des opérations de financement des actes de terrorisme associés au blanchiment des capitaux ou non, d’autre part.
Dans le Maghreb arabe, malgré l’existence de l’Union du Maghreb arabe (UMA), il ne semble y avoir aucune coordination transfrontalière et chaque État a essayé de transposer individuellement les conventions internationales. Le différend entre le Maroc et l’Algérie, d’une part, et l’attitude asymétrique envers la Mauritanie et la Lybie, d’autre part, ne facilitent guère la coopération dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Pourtant, une véritable prise de conscience semble émerger grâce aux printemps arabes et surtout sous l’impulsion des attaques terroristes récentes. La Tunisie, à titre d’exemple, a publié la loi relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent.
Cette loi de 2003 révisée en 2015 reste dans le sillon des conventions internationales et dans l’esprit, la forme et le fond des différentes conventions des Nations Unies. Il faut aussi souligner que la Commission tunisienne des analyses financières (CTAF) n’a jamais réellement fonctionné que depuis 2011 avec les poursuites financières lancées contre l’ancienne famille régnante. Depuis cette période, les déclarations de soupçon ont donné lieu à la transmission au parquet d’un nombre important d’affaires de blanchiment de capitaux, de détournement et de crimes financiers. Devenue membre à part entière du Groupe Egmont (réseau mondial des cellules de renseignements financiers) dont l’objet principal est de développer la coopération internationale dans ce domaine, la CTAF participe activement aux réunions des instances régionales et internationales.
Cependant, l’aggravation de la situation dans le Maghreb, notamment avec la guerre civile en Lybie, ne facilite guère la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. L’instabilité dans la région ne fait que renforcer les fraudes et la criminalité de toute sorte.
Face à ces nouvelles menaces, les pays d’Afrique doivent donc redoubler d’efforts contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. L’expertise reconnue et confirmée d’organisations privées, indépendantes de toute pression politique en matière de lutte contre cette forme de criminalité, doit être respectée et prise en considération par certains États africains qui hésitent encore à prendre des mesures réelles dans ce domaine.
Il n’y a pas de recette magique pour améliorer et accélérer la lutte contre la criminalité, le blanchiment d’argent et le terrorisme en Afrique. Les efforts dans ce domaine ne pourront pas être efficaces sans le renforcement de la démocratie, de l’État de droit et de la bonne gouvernance, ainsi que sans la mise en œuvre des politiques économiques multisectorielles et sociales fortes avec un accent particulier sur les domaines structurants du développement industriel, artisanal et agricole, de la santé et de l’éducation.
Il est essentiel, dans le contexte africain, de promouvoir l’émergence du secteur privé national, surtout des PMI/PME et des microentreprises qui ont un énorme potentiel de création de l’emploi et des activités diverses pour absorber le secteur informel et créer une alternative à la corruption et aux activités criminelles. Enfin, l’État providence généreux n’existe plus et rien ne peut se construire sans une authentique démarche citoyenne plus solidaires dans le respect de la morale, de la loi, du droit financier, économique, fiscal et social, et plus responsables face aux dérives de gains faciles. Les populations africaines sauront préparer un terrain fertile aux générations futures, créant ainsi la cohésion sociale nécessaire pour une Afrique forte et responsable.
Jean-Claude Fontanive et Jamel Eddine Chichti
1 Le put (droit de vendre) est une option contractuelle de vente dont le prix et la date sont fixés à l’avance. Il porte sur des actifs ou sur des titres appelés sous-jacents (actions, obligations, matières premières…). Il est l’opposé du call (option d’achat fonctionnant sur des principes identiques). Dans la pratique, il existe trois types de put. Si le souscripteur ne peut acquérir le sous-jacent qu’à la date fixée par avance (ou date de maturité du put), on parle de put européen. Si, en revanche, il peut en prendre possession entre la date d’émission et la date de maturité, on parlera alors de put américain. Enfin, au cours d’un put « bermudien », le souscripteur peut acquérir le sous-jacent à plusieurs dates fixées entre le début et la fin du put. Le put permet à son émetteur de se prémunir contre d’éventuelles pertes financières. Ainsi, si le put concerne une action d’une valeur initiale de 100 Euros et que cette dernière vaut 150 Euros au moment de la date de maturité, l’émetteur à tout intérêt à se rétracter. Il devra toutefois verser une prime d’assurance au souscripteur.
2 Le call représente un droit (et non une obligation) d’acheter un actif sous-jacent (actions, obligations, indices boursiers…). Le call dispose de plusieurs paramètres : il se caractérise par un prix d’exercice ; il s’agit du prix auquel l’acheteur d’un call peut acheter l’élément sous-jacent ; l’échéance correspond à la date limite d’exécution du droit.
3 Le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (GIABA) a été établi en 2000 par la Conférence des chefs d’état et de gouvernement de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en tant qu’instrument régional chargé du renforcement des capacités dans la prévention et la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Outre les états membres, le GIABA octroie le statut d’observateur, à leur demande, à des états africains et non-africains et à des organisations intergouvernementales qui soutiennent ses objectifs et ses actions.
4 Le Groupe d’action financière (GAFI) est un organisme intergouvernemental créé en 1989 par les ministres de ses états membres. Les objectifs du GAFI comprennent l’élaboration des normes et la promotion de l’application efficace de mesures législatives, réglementaires et opérationnelles en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et les autres menaces à l’intégrité du système financier international. Le Groupe est donc un organisme d’élaboration des politiques qui s’efforce de susciter la volonté politique nécessaire pour effectuer les réformes législatives et réglementaires dans ces domaines. Le GAFI a élaboré une série de recommandations reconnues comme étant la norme internationale en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massives. Celles-ci constituent le fondement d’une réponse coordonnée à ces menaces pour l’intégrité du système financier et contribuent à l’harmonisation des règles au niveau mondial. Publiées en 1990, les recommandations du GAFI ont été révisées en 1996, 2001, 2003 et plus récemment en 2012 afin d’assurer qu’elles restent pertinentes et d’actualité. Elles ont vocation à être appliquées par tous les pays du monde. Le GAFI surveille les progrès réalisés par ses membres dans la mise en œuvre des mesures requises, examine les techniques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme ainsi que les mesures permettant de lutter contre ces phénomènes, et encourage l’adoption et la mise en œuvre des mesures adéquates au niveau mondial. En collaboration avec d’autres acteurs internationaux, le GAFI identifie également les vulnérabilités au niveau national afin d’alerter et de protéger le secteur financier international.