Le récent XIXe congrès du Parti communiste chinois, qui s’est tenu du 18 au 24 octobre 2017 à Pékin, ne laisse désormais planer aucun doute : Xi Jinping contrôle dorénavant tous les leviers du pouvoir, rompant avec la tradition de collégialité héritée des successeurs de Mao. Le secrétaire général, désormais seul maître à bord (chef du Parti, président de la République et chef des armées), entend accentuer sa politique de reprise en main de la société chinoise initiée depuis 2012.
Son second mandat s’inscrit dans une nouvelle ère (ou « nouvelle normalité ») qui succède au « rêve chinois », mais si la terminologie change, l’idéologie et le pragmatisme qui caractérisent sa politique restent inchangés. Xi Jinping développe une vision assez claire de ce qu’il veut : ses discours successifs et la politique qu’il a conduite depuis le XVIIIe congrès, qui a consacré son accession aux responsabilités suprême, laissent entrevoir une vision du monde assez cohérente (Adam Taylor, 2017). Si le dirigeant chinois partage avec son homologue russe, Vladimir Poutine, un « style de leadership très personnalisé dans le but de laisser penser qu’il n’y a pas d’autre alternative que lui pour faire avancer le pays », pour reprendre les propos du Professeur Rana Mitter de l’Université de Cambridge, le parallèle ne s’arrête pas là.
On est, en effet, face à deux dirigeants qui veulent intégrer le nouveau cours de leur politique dans l’histoire globale de leur pays respectif. Xi Jinping évoque très fréquemment les 5000 ans d’histoire de la Chine et Poutine, l’époque impériale. Dans les deux cas, ce passé n’efface pas la période révolutionnaire, mais l’accent est mis davantage sur les facteurs de continuité que de rupture. Xi Jinping réussit même le tour de force d’intégrer l’héritage maoïste à la tradition politique chinoise, ce qui n’est pas un mince exploit eu égard à la politique d’éradication culturelle menée par le Grand Timonier ! Ultime consécration au nom de cet héritage revendiqué : le titre de « noyau dur » du PCC accordé à Xi Jinping, un titre honorifique auquel seul Mao Zedong et Deng Xiaoping (président chinois entre 1978 et 1992) ont eu droit avant lui. Quant à Vladimir Poutine, s’il n’est pas le thuriféraire de Staline que prétend une certaine presse, il ne souhaite pas pour autant que cette période soit bannie de la mémoire collective ou évaluée sous le seul versant négatif, car elle a débouché sur la Victoire de 1945. On se méprend sur la pensée de Poutine, et partant sur son action politique, si l’on ne prend pas en compte cette réalité.
La politique de ces dirigeants de deux grandes puissances du XXIe siècle est souvent jugée conservatrice, et l’on sait qu’en Europe, voire même aux États-Unis, ce vocable est rarement employé dans un sens flatteur. Si l’on prend la définition que donnait à ce terme le philosophe et politologue anglais Michael Oakeshott (1901-1990),1 les deux dirigeants sont certainement des conservateurs, car ils veulent conserver ce qui a marché et surtout ce qui peut contribuer à la bonne marche actuelle de leur société. Ils intègrent le passé à leur politique, mais ne s’y arrêtent pas. Ni Vladimir Poutine ni Xi Jinping ne sont des nostalgiques « passéistes » de l’époque impériale, mais ils savent tous deux qu’elle a façonné les sociétés russe et chinoise. De la même façon, leur conservatisme sociétal doit être replacé dans une perspective plus large : celle de la lutte contre des influences étrangères et occidentales le plus souvent (des « périls » pour Xi) jugées délétères et dissolvantes, car non conformes avec les traditions russe et chinoise.
Mais Poutine et Xi sont des hommes réalistes et leur volonté de puissance est inséparable d’une politique non moins réaliste en matière économique. Xi a beaucoup insisté dans son discours prononcé au XIXe congrès sur le fait qu’il ne reviendrait pas sur l’ouverture économique, mieux qu’il souhaitait l’approfondir. Le pragmatisme chinois est souvent cité en exemple, alors qu’on lui préfère le qualificatif de cynisme dans le cas de la Russie, et pourtant c’est bien la même vision pragmatique qui dicte la politique économique et monétaire des deux puissances.
Mais lorsque l’on dit cela il faut ajouter une précision importante : ce sont des hommes de leur temps qui connaissent parfaitement l’histoire de leur pays, sa culture, mais aussi celle des autres pays. Il a fallu beaucoup de temps à la presse occidentale pour admettre que Poutine était certainement un des leaders européens les plus cultivés et il en va de même pour Xi en Asie, ainsi que l’atteste la profusion de références à des auteurs, souvent étrangers, dont il émaille ses discours. Autant de références bibliographiques laissent pantois. Qui parmi nos dirigeants pourrait en faire autant ?
Pour Xi, la volonté de puissance s’inscrit dans une histoire tragique et récente : celle du « siècle des humiliations » débutée avec la première guerre de l’opium (1839-1842). Les puissances étrangères, dans la vision chinoise, ont profité de la faiblesse de la Chine pour la dépecer. Et pire, ils l’ont fait à un moment où la politique chinoise s’infléchissait dans un sens réformiste. La Chine a été dépecée parce qu’elle était faible, une leçon retenue tant par les nationalistes dans les années qui ont suivi la Première Guerre mondiale que par les communistes par la suite. Le souvenir de ce passé cuisant est toujours présent, ainsi que l’atteste le contenu des manuels scolaires chinois d’histoire (Bislev et Li, 2014).
Pour autant, Xi doit aussi composer avec une société profondément marquée par la politique du « enrichissez-vous » menée par Deng Xiaoping. S’il ne remet pas en cause la politique de libéralisation économique, rebaptisée politique de modernisation, il veut en éradiquer les effets pervers, dont la corruption, l’état d’esprit hédoniste et la mentalité individualiste qui gangrènent la société chinoise. Pour Xi, ces effets pervers ne font pas partie de la culture chinoise, d’où l’importance du volet culturel de sa politique aux forts accents patriotiques. La ligne socialiste est certes réaffirmée avec force, mais on ne parle plus (sinon moins) de socialisme de marché et davantage de socialisme aux caractéristiques chinoises, et on comprendra que ce n’est évidemment pas la même chose !
Dans cette perspective, il nous est apparu que cette ligne politique était, dans son essence, très catonienne. En effet, Caton l’Ancien (234-149 av. J.-C.), comme on le verra, souhaitait stabiliser la société romaine, traumatisée par les guerres puniques et l’enrichissement qui s’en était suivi, en faisant appel aux traditions ancestrales et en s’opposant aux innovations politiques grecques. Le parallèle avec Xi nous parait pertinent car le « moralisme » mis en avant tant par Caton dans l’antiquité que par Xi aujourd’hui visait et vise à affronter une situation objective donnée : celle de sociétés où le système de valeurs n’a pas su résister à un enrichissement rapide et sans précédent dans leur histoire respective. Un bref rappel historique s’impose ici.
Le retour de Caton dans l’Empire du Milieu
On a trop souvent retenu de Caton l’Ancien que l’image d’un conservateur borné obsédé par la destruction de Carthage. Il fût bien plus que cela. En effet, Caton fut d’abord et avant tout un homme politique lucide et réaliste. Il avait compris que l’afflux massif des richesses à Rome suite à la fin de la seconde guerre punique aurait des conséquences sociales désastreuses et que, couplé à l’adoption de mœurs politiques et philosophiques grecs (dont le culte de la personnalité), il déboucherait à terme sur la fragilisation de la République romaine et le basculement dans un régime où les intérêts privés prendraient inévitablement le dessus. La cupidité (avaricia) dont il ne cessa de dénoncer les effets délétères était pour lui incompatible avec la recherche du bien commun et la rigueur morale qui avaient toujours été des attributs valorisés dans le cursus politique romain. Ses efforts pour limiter l’ostentation des richesses, sa lutte contre la corruption des hommes politiques ne connurent dès lors plus de répits.
Caton, pensons-nous, n’était pas le conservateur borné que trop d’historiens se plaisent à décrire. En premier lieu, c’était sûrement un des hommes politiques romains les plus cultivés de sa génération. Il lisait le grec ancien et connaissait parfaitement la civilisation grecque et ce dans toutes ses manifestations. Sa critique portait sur l’inadaptation du modèle politique grec à la société romaine. Plus concrètement, pour Caton, les mœurs romaines différaient profondément des mœurs grecques notamment dans le rapport à la richesse. L’homme idéal romain pour Caton était bien sûr le paysan aux goûts frugaux, dur au travail et légionnaire infatigable. On remarquera que pour Xi les paysans sont aussi souvent valorisés et il ne cesse de remémorer son expérience lors de la révolution culturelle (1966-1976) dans une communauté paysanne de la terre jaune. C’est un moment qui l’a assurément marqué et où il a « rencontré » le peuple.
Le néo-puritanisme de Caton était une réalité très incrustée dans la vie sociale de la République romaine et la répression impitoyable des Bacchanales en témoigne (voir Tite-Live, Histoire de Rome depuis sa fondation). Ce scandale qui éclate en 146 av. J.-C. n’est pas seulement politique, il atteint le cœur même des valeurs qui fonde la République romaine : les règles culturelles des Bacchanales (fonction sacerdotale occupée par des femmes, rite initiatique des membres, prestation de serment imposée, promesse de la survie après la mort, éloge du bonheur individuel, etc.) s’opposent à la « religion » publique qui à Rome ne vise que l’intérêt de la collectivité. Le système de valeurs au cœur de la société romaine valorise en effet le bien commun, une idéologie qui imprègne tout le discours politique, tant chez les patriciens que chez leurs opposants plébéiens.
Or, ce « ciment » culturel de la République romaine n’a pas pu résister à l’afflux de richesses provoqué par les victoires romaines, mais aussi par la volonté de la société romaine tout entière de jouir de la paix revenue suite à des décennies de guerre. Le culte ostentatoire des seules richesses va devenir un phénomène de société et la mise en avant personnelle aussi. Ces deux tendances sont pour Caton porteuses d’un danger d’autant plus mortel que, dans le même temps, les élites romaines adoptent les concepts philosophiques grecs dans leur réflexion politique et leur vie personnelle. Pour Caton, cela ne pouvait qu’entrainer la corruption morale et la subversion de tout le système politique romain. Il y a dans le discours de l’homme politique romain des similitudes étonnantes avec le débat intérieur auquel se livre Xi Jinping.
Autre parallèle, la lutte contre la corruption des élites. Caton, on le sait peut-être moins, fût ainsi à l’origine de la destitution de nombres d’hommes politiques romain, dont Scipion l’Africain, qui mettaient en avant leur prestige personnel pour affirmer leur pouvoir. Comme le note Giovanni Brizzi (2000) « contre l’ambition des particuliers au nom de leurs mérites ou de leurs qualités personnelles, Caton faisait valoir la traditionnelle supériorité des institutions et proclamait l’égalité au moins théorique entre les magistrats, leur caractère absolument interchangeable dans les postes de gouvernement ». D’une certaine manière, c’est bien le même combat que mène aujourd’hui Xi Jiping. On aurait tort en effet de ne voir dans sa lutte implacable contre la corruption qu’un épisode de plus des luttes de pouvoir au sein de la nomenklatura communiste. Par son ampleur2 et ses justifications idéologiques, elle est bien plus que cela. Au fond Xi établit le même constat que Caton. La société chinoise a subi, suite aux réformes économiques de Deng, des bouleversements tels qu’ils menacent aujourd’hui sa cohésion. La richesse oui, l’ostentation non ! De surcroît, cet enrichissement, lorsqu’il s’accompagne comme cela fût le cas à Rome de l’adoption de mœurs qualifiées d’« occidentales », telles que l’individualisme, le matérialisme et l’hédonisme, déroge à la tradition et à la culture chinoise et fait l’objet d’une répression sévère.
L’occidentalisme n’est plus nécessairement tendance en Chine
Depuis l’accession de Xi au pouvoir, « l’occidentalisme » n’est plus nécessairement tendance en Chine et le terme forme une critique forte d’un comportement dévoyé. On notera d’ailleurs que la publication du fameux document n°93 a révélé jusqu’à quel point cet occidentalisme était assimilé à toute une série de « périls » soigneusement énumérés et décrits. Mais la force de Xi Jinping est d’avoir compris que l’on ne combattrait pas ces nouvelles tendances avec les « vestiges » de l’idéologie communiste. D’une part, parce que la réalité capitaliste du pays est un fait, et, d’autre part, parce que ce retour à l’idéologie serait parfaitement inaudible surtout parmi les jeunes générations.
Pour autant, Xi s’oppose à tout révisionnisme historique et même s’il a personnellement souffert de la révolution culturelle,4 sa référence au maoïsme est constante, même s’il choisit soigneusement les éléments fondateurs de la « geste » maoïste. L’évènement fondateur reste pour lui la Longue Marche, car c’est en ce moment que se sont révélées les vertus révolutionnaires et que s’est opérée la rencontre du parti avec le peuple. C’était une époque héroïque comme l’était les débuts de la République romaine pour Caton. Elle l’était aussi de par les vertus morales des révolutionnaires impliqués dans celle-ci, des personnes désintéressées, animées par un seul but le relèvement de leur pays dans la justice sociale. Dans l’esprit populaire, le grand timonier a certes commis des erreurs, mais celles-ci doivent plus à sa personnalité qu’à son système et la dissociation opérée entre les deux permet de sauvegarder son héritage. Ajoutons que le traumatisme de l’effondrement de l’URSS incite encore aujourd’hui tous les dirigeants chinois à la prudence. Un des grands responsables pointés du doigt par ces mêmes dirigeants n’est pas seulement Gorbatchev, mais plus encore Khrouchtchev, qui, en instituant le procès de la période stalinienne, a ouvert la boîte de Pandore.
Les valeurs chinoises comme supports du nouveau récit national
Xi est toutefois trop réaliste pour ne pas savoir que l’héritage de Mao fait débat dans la Chine contemporaine et qu’il ne pourra recréer un nouveau récit national autour de cette seule période. Comme Caton l’Ancien, Xi Jinping en appelle donc aux valeurs traditionnelles chinoises. Ce n’est pas nouveau chez lui et bien avant 2012 les allusions à Confucius étaient légion dans ses discours. Notons que ce renouveau confucéen n’est pas seulement le fait d’une politique culturelle volontariste de la part des autorités. Il est aussi, comme l’ont montré Sébastien Billioud et Joël Thoraval (2014), l’expression de la société civile et est très riche au niveau de ses formes d’expression. D’une certaine manière le régime accompagne plus un mouvement qu’il ne l’a véritablement créé. Mais on serait tenté de dire qu’il l’accompagne bien ! C’est ainsi que l’on ne se contente plus désormais d’allusions, mais d’une réhabilitation officielle : on a ainsi fêté en grandes pompes en 2014 le 2 565e anniversaire de sa naissance.
Confucius, mais pas seulement lui, revient en force et ce n’est pas un hasard. Les occidentaux voient dans ce qu’ils qualifient volontiers de « récupération » un tournant conservateur visant à promouvoir les valeurs de hiérarchie et d’harmonie du corps social afin de limiter les effets de la contestation sociale. Vision trop limitée car reposant sur un postulat instrumentaliste. Xi, comme Poutine en Russie, seraient de parfaits cyniques qui instrumentaliseraient les valeurs à des fins personnelles. Peut-être. Mais peut-être pas seulement car dans les deux cas cités, rien interdit de penser qu’ils soient convaincus de la justesse de ces valeurs. Xi, comme Poutine, connait ses classiques !5 Pour Xi, l’héritage de Confucius est d’abord moral : c’est la rectitude morale, le respect dû aux anciens, le désintéressement qui doivent être aujourd’hui réappropriés par les Chinois. La lutte contre la corruption, souvent vu comme un simple règlement de comptes politiques, est aussi sinon avant tout un problème moral, et la société chinoise doit renouer avec ses valeurs traditionnelles pour « corriger » ses excès ou ses dérives. Le président chinois souligne toujours le fait que les communistes chinois ne sont ni des « nihilistes historiques ni des nihilistes culturels ». La rupture avec le maoïsme de la révolution culturelle est, de ce point de vue, ainsi totale. De même, Xi souligne aussi le fait que politiquement et depuis 5000 ans la Chine a toujours suivi des voies politiques différentes de celles de l’Occident. C’est une façon de signifier à nombre d’interlocuteurs occidentaux que la Chine dissocie développement économique et adoption d’un régime politique libéral et que le libéralisme politique ne fait pas partie de son ADN ! Comme le note très justement François Bougon (2017), Xi est le seul dirigeant chinois capable d’associer Karl Marx et Confucius dans un même discours – on admirera ici le raccourci historique – et il peut ainsi affirmer en 2013 qu’en ce début de XXIe siècle « l’harmonie sociale » doit être autant que l’énergie communiste » mise au service d’un socialisme aux caractéristiques chinoises.
Confucius n’est pas soluble dans la démocratie libérale
Dans un article intéressant, intitulé « La philosophie politique confucéenne face à la globalisation », Chen Ming (2008) montre que l’héritage confucéen comporte de multiples interprétations et supporte des visions politiques très contrastées. Pour autant, il reconnaît la portée des arguments de penseurs qui, tels Jiang Qing et Kang Xiaoguang, révèlent l’incompatibilité de la philosophie confucéenne avec l’héritage des lumières et son aboutissement institutionnel et politique : la démocratie libérale. Pour les deux auteurs, l’Occident ne peut servir de modèle politique à la Chine et encore moins la démocratie de type libéral. Jian Qing (2003) est de ce point de vue très explicite lorsqu’il écrit « en faisant de la liberté le premier élément de la définition de la condition humaine, on supprime totalement la moralité et l’éthique (…) Dans la perspective du confucianisme, être un homme ne signifie pas réaliser sa liberté, mais manifester sa conscience, rétablir sa qualité originale ou naturelle ».
Wang Huning, l’intellectuel du régime, nouvellement promu au comité permanent du bureau politique ne dit pas autre chose. Dans sa présentation de Wang Huning, François Danjou (2017) souligne que l’une des caractéristiques du socialisme chinois, sur laquelle Wang insiste particulièrement, est justement de rejeter formellement les valeurs de la démocratie et de la séparation des pouvoirs dont le régime nie l’universalité. Wang, qui a étudié 6 mois aux États-Unis et qui a tiré de son expérience américaine un ouvrage au titre évocateur L’Amérique contre l’Amérique, s’il reconnaît certains mérites à la démocratie américaine et à la société américaine en général, n’en souligne pas moins toutes ses faiblesses dont le fait, qu’à l’instar des actionnaires dans les grandes entreprises privées, elle est gouvernée par des minorités et des minorités d’argent.
Le confucianisme revendiqué est donc inséparable d’un discours anti-occidental qui s’est depuis l’arrivée de Xi aux commandes de la Chine communiste beaucoup développé. Jean-Pierre Cabestan (2017) souligne avec justesse les dangers potentiels de cette montée en puissance du discours anti-occidental de la part du PC chinois. Jusque-là réservé à un entre-soi partisan il s’exprime désormais dans les discours officiels et Xi ne cesse de souligner que les valeurs occidentales n’ont aucune résonance dans la société chinoise, qu’elles ne pas sont compatibles avec une civilisation dont il se plaît à souligner la supériorité, s’appuyant sur l’ancienneté de son histoire et la rectitude de ses valeurs. L’individualisme, l’hédonisme, le matérialisme, sont vus comme des valeurs étrangères et de surcroît des valeurs dissolvantes qu’il ne faut plus simplement combattre mais éradiquer. Comme l’écrit un autre intellectuel en vogue dans la Chine de Xi, Gan Yang, « la République populaire de Chine est une république socialiste confucéenne », comprendre qu’elle a ses propres valeurs, son propre héritage historique et que son histoire politique ne commence pas avec le Siècle des Lumières. Jiang Qing6 va encore plus loin et plaide, lui, pour une constitution confucéenne qui se structurerait autour d’un système parlementaire composé de trois chambres, la chambre des Personnalités exemplaires, celle de la Nation et celle du Peuple.
En conclusion, là où les Occidentaux ne voient que les bénéfices de la démocratie, les Chinois en soulignent les effets pervers : culte du chacun pour soi, de l’argent, dissolution des liens sociaux et émergence des valeurs nihilistes. Des ouvrages sont même publiés pour montrer comment l’imposition de la démocratie occidentale a généré dans de nombreux pays des « désastres » politiques et sociaux. Plus grave, pour les nouveaux idéologues chinois, l’universalisme des valeurs démocratiques n’est qu’un leurre qui permet aux occidentaux de partout imposer leur loi. Au fond cette démocratie que l’on met en avant n’est que le paravent de politiques de puissances qui ne visent qu’à étouffer la voix des peuples. Au final, seul un pouvoir centralisé et fort, argumente Wang Huning, peut lutter contre les forces dissolvantes, « les périls » dans le langage de Xi, qui menacent l’intégrité du peuple et celle des nations, voire des civilisations (une rhétorique très usitée par les dirigeants chinois). Présentée ainsi, la démocratie libérale et tous ceux qui la promeuvent (ONG) sont désignés comme des ennemis de l’intérieur dont l’objectif est de détruire la société chinoise pour ensuite l’asservir. La conclusion du document n°9 est de ce point de vue sans ambigüité : « face à des menaces, nous ne devons pas baisser la garde ni diminuer notre vigilance ». On ne parle plus de modèle inadéquat mais de périls !
La démocratie libérale, cheval de Troie de l’occidentalisme
Au fond, la démocratie libérale, dans la vision des dirigeants chinois et de nombre d’intellectuels, est vue comme le cheval de Troie de l’Occident. C’est un corps étranger qui ne vise qu’à faire vaciller un système et provoquer le chaos. La chute de l’ex-URSS en est une parfaite illustration empirique. Car si les dirigeants chinois s’intéressent à la chute de l’ex-URSS, ils s’intéressent aussi de près aux « affres » politiques et sociales qui l’ont précédée et suivie. Et ils n’ont dès lors guère de mal à démontrer que les premières victimes de cet écroulement ont été les peuples ! Et les principaux bénéficiaires, les profiteurs de toute sorte dont les fameux oligarques.
Pour Kang Xiaoguang, un des meilleurs avocats chinois du confucianisme, la démocratie occidentale est consubstantiellement entachée de valeurs décadentes et elle ne fait qu’accentuer les divisions nationales. Vu sous cet angle, le modèle occidental de la démocratie apparaît comme un modèle maléfique qui se donne les apparences du bien pour mieux propager le chaos. Ce n’est donc pas seulement un modèle inadapté, du fait de sa naissance dans un espace géographique circonscrit, l’Occident, et dans une période datée, le siècle des Lumières. C’est un modèle politique et institutionnel pernicieux qui n’apporte que des déconvenues et qui, sous prétexte de libertés, favorisent les désirs égoïstes. Comme l’écrit Jiang Qing, « un intérêt égoïste ne deviendra pas juste simplement parce qu’il englobe et sert un grand nombre de personnes ».
Zhang Weiwei, dans son ouvrage au titre évocateur (tout un programme !), The China Wave : Rise of a Civilization State (La vague chinoise : essor d’un État-civilisation), développe ce thème du chaos et de l’éclatement qu’engendrerait l’adoption du modèle occidental. Car pour Weiwei, la Chine n’est pas seulement un État-nation, elle est bien plus que cela : un État-civilisation, reprenant une hiérarchie des États initialement établie par Lucian Pye (1990). Mais son propos a une portée différente. En parlant d’État-civilisation, il entend démontrer que la civilisation chinoise se suffit à elle-même et il finit même par affirmer que « Confucius n’a pas besoin de la reconnaissance de Platon ». Cette rhétorique civilisationnelle n’est pas neutre et vise à souligner que la Chine n’est pas seulement une construction politique, un État-nation dirions-nous aujourd’hui, mais un espace civilisationnel façonné par 5000 ans d’histoire. Thématique que Xi reprend dans de très nombreux discours où la singularité chinoise est à chaque fois soulignée.
Confucius n’est effectivement ni Platon ni Aristote, bien que l’analogie soit frappante. C’est en définitive bien Confucius, dans ses postures qui ne sont pas sans rappeler celles de Platon, qui incarne le mieux la singularité chinoise et c’est lui qui a permis à la civilisation chinoise de prospérer. Qu’aurait à gagner la Chine de l’adoption de modèles qui, du point de vue des élites politiques chinoises, n’ont rien prouvé et qui dans la vision chinoise n’apportent que des désagréments. La réponse s’impose d’elle-même : rien ! La Chine produit, selon ses dirigeants, une expérience historique et politique unique : le socialisme aux caractéristiques chinoises, rencontre improbable du marxisme et des traditions culturelles ancestrales. Cette œuvre unique et historique ne saurait être entravée par des modes étrangères qui n’ont à peine que deux siècles d’existence et qui sont vues comme des constructions intellectuelles abstraites. Il n’est pas loin le temps où Xi citera Edmund Burke, « la sagesse seule doit être notre ancêtre » !
Le culte civilisationnel s’oppose au seul bien-être individualiste
Xi peut jouer ainsi sur plusieurs registres : s’agissant de la période révolutionnaire, il insiste sur les vertus personnelles des dirigeants et des combattants de l’époque. Ils ont réalisé de grandes choses voire à l’échelle humaine des choses impossibles parce qu’ils ne raisonnaient jamais à un simple niveau individuel. Sans ascétisme il ne peut y avoir de réalisation d’un grand destin collectif. Ces révolutionnaires des temps héroïques ont renoué avec la grande tradition chinoise et ont mis fin à un siècle d’humiliation. De la période impériale et de sa forte imprégnation confucéenne, Xi en tire une rhétorique civilisationnelle qui est constante dans ses discours. La Chine n’est pas seulement un État, c’est une civilisation, et à ce titre elle doit être respectée. Cette référence à un espace civilisationnel commun permet aussi à Xi de spécifier ce qui est licite et ce qu’il ne l’est pas. Quelques exemples permettront d’illustrer l’opposition qui peut exister entre une référence constante à un grand destin collectif et la poursuite d’un bien-être matériel et individualiste.
Si les cadeaux sont un élément constitutif de la culture chinoise, en relation avec le Guanxi, « une orientation d’esprit qui vise à mobiliser son réseau relationnel dès lors que l’on se trouve face à un problème décisionnel et ce à tous les niveaux de la vie sociale » (Pei Liu, Eric Boutin, 2012), l’ostentation des richesses et la cupidité ne l’ont jamais été et dès lors détourner une coutume traditionnelle à des fins égoïstes constitue un crime.
Les arguments de Xi même s’ils se fondent sur des référents culturels forcément différents de ceux de Caton sont au fond les mêmes. : la cupidité, l’individualisme sont des valeurs dissolvantes qui ne peuvent être érigées en modèles et qui à terme détruisent le corps social. Il ne s’agit donc pas de les combattre seulement dans leurs effets mais aussi à leur racine. Et ce combat ne peut être que culturel. À la différence de Mao, Xi Jinping ne rêve pas d’un homme nouveau construit sur la table rase. Son objectif est inverse : c’est en réenracinant les Chinois dans leur histoire qu’on sera le mieux à même d’éradiquer les effets indésirables de la modernisation économique.
Derrière ce retour aux racines et aux valeurs ancestrales, l’une domine : le refus de l’ostentation, à ne pas confondre avec le rejet de l’enrichissement. Le slogan du rêve chinois tel que formulé en 2012 par Xi pourrait être celui-ci – « Enrichissez-vous, mais ne le montrez pas ! » –, et nous sommes ici très proches du message adressé en son temps par Caton aux sénateurs romains, dans la forme sinon dans l’esprit. Il faut, bien sûr, y voir un raisonnement opportuniste – Xi, en homme politique avisé, mesure bien à quel point l’enrichissement des élites porte en soi les germes de la facture sociale – mais pas uniquement. Il émane d’une conviction beaucoup plus profonde.
Car ce qui se déroule actuellement en Chine ne relève pas d’un mouvement conjoncturel initié par des dirigeants effrayés par les conséquences des transformations économiques et sociales de la modernisation économique. C’est un mouvement de fond et c’est toute l’habileté de Xi d’avoir su l’accompagner. Plutôt que de ne s’intéresser qu’à la seule lutte contre la corruption il faut essayer de saisir le mouvement d’ensemble dans laquelle elle s’inscrit et prendre au sérieux les justifications qui sont mises en avant par le régime. Aujourd’hui, et c’est peut-être une nouveauté, tout un mouvement intellectuel soutient l’action de Xi parce qu’il incarne pour lui cette synthèse qui seule pourra sauver la Chine, synthèse entre un présent qui s’ancre dans la modernité et un passé qui définit les caractéristiques essentielles de la société chinoise, son « gène » selon l’expression de Xi.
Tirer les leçons du passé pour mieux se tourner vers l’avenir
Celui que l’on présente volontiers comme l’idéologue du régime, Wang Huning, conseiller le plus écouté de trois présidents successifs, Jiang Zemin, Hu Jintao et Xi Jinping, a beaucoup écrit sur la souveraineté et sur la nécessité d’un pouvoir central fort pour l’assurer et la défendre face aux périls intérieurs mais aussi extérieurs. Toute sa pensée est dominée par une interrogation : pourquoi la Chine, une civilisation plusieurs fois millénaire, a-t-elle si longtemps sombré dans le déclin et comment les États-Unis, un pays jeune de 200 ans, a-t-il réussi à devenir la première puissance mondiale ? Or, de la réponse à cette interrogation, Wang Huning a tiré un enseignement essentiel : en tant qu’espace civilisationnel, la Chine se doit de pouvoir défendre ses intérêts fondamentaux.
Cette rhétorique des intérêts ou droits fondamentaux que Xi utilise beaucoup a également pour but de signifier aux autres puissances que la Chine ne transigera pas sur ce qu’elle estime faire partie de son espace civilisationnel et Taïwan est prévenu. La revendication sur la mer de Chine méridionale, qui n’est plus seulement verbale tant se sont multipliés les incidents d’intimidation entre la Chine et les autres puissances maritimes régionales, relève bien de la défense des intérêts fondamentaux de la Chine, mais trouve aussi sa justification dans l’histoire. Dans une dialectique parfaitement maîtrisé, les Chinois se réclament de l’histoire ancienne pour justifier que cette mer faisait partie intégrante de l’Empire du Milieu et de l’histoire récente pour parer aux manœuvres américaines et de ses alliés, et dans cette perspective le Japon et les Philippines sont clairement visées.
La Chine ne tolérera plus à ses frontières la présence de pays qui jouent la carte d’un autre empire rival, et on pense au premier chef aux États-Unis. Lorsque Xi affirme que « la Chine ne cherche pas les ennuis, mais elle ne les craint pas », il signifie clairement que la Chine est prête à la confrontation avec tous ceux qui menaceront ses intérêts fondamentaux. Et lorsqu’il ajoute que l’armée doit être capable de vaincre, le message est encore plus clair, rompant avec un passé pas si lointain où l’armée chinoise n’avait fait qu’accumuler les défaites.
Xi connait son histoire et il sait que les puissances étrangères se sont imposées dans son pays que par la politique de la canonnière et que durant le fameux siècle des humiliations, la Chine avait été dans l’incapacité de défendre son espace maritime. La reconstitution d’une flotte militaire digne de ce nom et la mise en chantier d’un second porte-avions doivent être replacées dans cette perspective.
Pour la Chine, il n’y a pas de souveraineté sans puissance
Il n’y a pas de souveraineté sans puissance et si la Chine met plutôt en avant une posture défensive, elle ne se prive pas de distiller de temps à autres des menaces jugées expansionnistes par les Occidentaux. Les revendications territoriales, bien que contestées par la communauté internationale, sont on ne peut plus claires : selon les différentes interprétations du tracé en « neuf traits »,7 la Chine revendique entre 80 et 90 % de la mer de Chine méridionale. Ces menaces se traduisent même en actes d’occupation militaire, de créations de terre-pleins et de récifs artificiels sur l’archipel des Paracels et les îles Spratleys, un vaste plan de construction d’îlots artificiels et d’installations militaires plus connu sous le nom de la « grande muraille de sable » et dénoncé comme une occupation illégale par les voisins régionaux.
Sauf que pour la Chine, cette occupation n’est pas illégale, car les espaces revendiqués qu’ils soient maritimes ou terrestres ont toujours été parties intégrantes de l’espace civilisationnel chinois, l’Empire du Milieu. De ce point de vue le recours commode au concept de civilisation permet de masquer une volonté impériale qui dans la vision chinoise ne peut être que celle des pays capitalistes !
Car selon le titre célèbre d’un pamphlet ultra-nationaliste publié en mai 1996 à Pékin, la Chine peut désormais dire « non » ! Et ajoutent les mêmes auteurs, elle n’est pas contente ! On a souvent dit que ce type de littérature était de facture ultra-nationaliste, et il est vrai qu’à l’époque où le premier ouvrage de ce type a été édité (1996), l’endossement de la part des dirigeants Chinois restaient très discrets, mais les choses ont commencé à changer bien avant l’accession de Xi au pouvoir et même sous l’ère Hu Jintao les idées exprimées dans ces différents ouvrages commençaient à poindre dans les discours officiels. Xi comme souvent n’innove pas à ce niveau, il prend le mouvement en marche mais l’incruste dans une dynamique qui est celle de son projet global. Car Pour Xi, comme pour les autres auteurs cités, la politique d’endiguement des Etats-Unis n’est pas un mythe, mais une réalité et la Chine se doit de casser les ressorts de cette politique. Toute l’habileté des dirigeants chinois est de faire comprendre aux Occidentaux, aux Etats-Unis et à leurs alliés dans la région que la Chine ne cherche pas la guerre, mais que si ces pays vont trop loin, elle défendra ses intérêts légitimes parce que jugés fondamentaux. Si Xi ne se projette pas dans le messianisme qui imprègne ces ouvrages, il reprend souvent à son compte le discours anti-occidental qui y est contenu et la nécessité pour la Chine de ne pas être tributaire du système de valeurs qui est celui de l’Occident et ce dans tous les domaines.
Pour Xi Jinping et Wang Huning, la volonté hégémonique des États-Unis est globale et comporte un volet culturel qui s’exprime dans la volonté d’imposer un modèle politique que les dirigeants chinois jugent parfaitement inapproprié. D’où l’affirmation d’une politique de soft power qui a fait l’objet de beaucoup d’analyses ces derniers temps (Courmont, 2012). Mais dans l’esprit des dirigeants chinois, le hard power n’est jamais loin et la Chine ne tolérera plus aucune hégémonie qu’elle soit économique, culturelle ou militaire. Les projections dont Xi émaille ses discours sont dans ce contexte sans ambigüité. Dans la perspective chinoise, la mer méridionale de Chine n’est pas l’équivalent romain de la « mare nostrum », mais un « mare meum » et cela n’est pas négociable quelles que puissent être les décisions des institutions de la justice internationale en la matière.
Dans la vision politique chinoise très marquée par leur histoire récente – on ne le soulignera jamais assez – l’agresseur c’est toujours l’autre ! Et la réorientation de la puissance militaire américaine dans cette partie du monde est clairement perçue comme le signal d’une volonté de ce dernier pays de rétablir ou d’affirmer son hégémonie. Certes, les deux pays sont trop interdépendants pour se risquer à une confrontation directe, mais comme l’affirme un récent rapport de la Rand Corporation « si la guerre est improbable, elle n’est pas impossible », ce qui constitue un avertissement nouveau par rapport aux années antérieures. Xi d’ailleurs n’a cessé d’affirmer son pouvoir sur l’armée populaire de libération et lors du XIXe Congrès, il a encore accentué sa mainmise sur la Commission militaire centrale (CMC) : l’armée est clairement placée sous l’autorité du Parti, car comme l’affirme Xi « l’évaluation et la nomination des officiers se feront à la mesure de leurs convictions politiques afin que nos forces armées restent entre les mains de ceux qui sont fidèles au Parti ».
Pour Xi, la renaissance chinoise dont il se veut l’artisan est indissociable de sa volonté de faire de la Chine la première puissance mondiale, puissance qui rayonnera grâce à un nœud de communications qui lui permettront, selon l’expression de Xi, d’occuper une place centrale et de faire rayonner sa civilisation. Les projets de routes de la soie ont donc une visée globale, ils sont les moyens de cette politique clairement affirmée. Si on n’est pas encore au « delenda est America », la position des dirigeants chinois vis- à-vis de l’Amérique n’est pas loin de celle de Caton vis-à-vis de Carthage : il n’y a qu’une seule puissance régionale et c’est la Chine. Xi rappelle opportunément que la Chine a eu au XVe siècle des navigateurs célèbres, une manière de rappeler à ses interlocuteurs que, contrairement à une idée reçue, la Chine a aussi été une puissance maritime ! Et après tout une puissance terrestre comme Rome a su vaincre une puissance maritime comme Carthage ! Les dirigeants chinois sont convaincus que les États-Unis, comme les autres pays occidentaux, agiront sans répit pour contrecarrer la montée en puissance de la Chine et les thèses complotistes ne sont jamais loin. Xi peut ainsi déclarer « plus puissante sera la Chine, plus grandes seront les résistances et les pressions qu’elle rencontrera ». Toute l’action politique, diplomatique et militaire de la Chine doit dissuader les Occidentaux de mener leurs manœuvres d’encerclement et, au cas où cela ne suffirait pas, l’option militaire n’est pas nécessairement écartée. Elle l’est d’autant moins que pour Xi, la Chine n’est pas le pays agresseur, car, répétons-le, de son point de vue elle ne fait que défendre ses intérêts fondamentaux légitimes. Mais les dirigeants Chinois font aussi un pari bien résumé par le langage fleuri du président philippin Rodrigo Duterte s’adressant à ses concitoyens et aux autres puissances régionales : « les boys ne viendront jamais mourir pour vous et pour la mer de Chine. Ils en gardent un mauvais souvenir depuis la guerre du Vietnam. Les Américains feront des ronds dans l’eau avec leurs navires de guerre, mais ça n’ira pas plus loin ». Jusqu’où la Chine poussera-t-elle ses pions, seul l’avenir nous le dira…
Jean-Claude Pacitto
Philippe Jourdan
Bibliographie
Ouvrages consultés
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Notes
1 « Être conservateur alors, c’est préférer le familier à l’inconnu, l’éprouvé à l’inexpérimenté, le fait au mystère, l’actuel au possible, le limité à l’illimité, le proche au lointain, le suffisant au surabondant, le commode au parfait, le rire présent au bonheur utopique » (Michael Oakeshott dans Rationalism in Politics and Other Essays).
2 La lutte contre les « mouches » et les « tigres », pour reprendre la phraséologie de Xi, c’est-à-dire contre les petits et les grands responsables corrompus à laquelle s’ajoute le combat contre les « renards » (les responsables poursuivis et réfugiés à l’étranger), entamée depuis 2012, a puni près de 1,5 millions de cadres du PCC et selon le président Xi lui- même, l’opération doit se poursuivre : « notre courage de nous débarrasser de ce poison qui ronge nos os ne fléchira pas », a ainsi lancé le président Xi Jinping devant l’assemblée de la Commission de discipline, tout en demandant aux cadres du Parti de faire preuve d’une « loyauté absolue ».
3 Le « kit anti-subversion » développé par Pékin pour lutter contre l’idéologie occidentale et divulgué en 2013 était annonciateur de la répression contre les milieux dissidents et contre la corruption (Le Monde, 2014).
4 Xi Jinping est le fils de Xi Zhongxun, ancien vice-président de l’Assemblée populaire et vice-premier ministre, écarté du pouvoir par Mao Zedong lors d’une « purge » radicale en 1962 avant d’être réhabilité lors de la prise du pouvoir de Deng Xiaoping. Présenté souvent comme un apparatchik en raison du réseau de relations tissé en particulier par son père, il a démarré une carrière dans l’ombre, exilé dans les campagnes lors de la révolution culturelle en 1969 et n’a intégré le PCC qu’en 1974 au terme de neuf refus successifs.
5 Lire à ce propos l’étonnant échange entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine lors de la visite de ce dernier à Versailles en mai 2017 autour des personnalités de Pierre le Grand et d’Anne de Kiev : « Macron-Poutine, duel de références à fleurets mouchetés » (Huffington Post, mai 2017).
6 Homonyme à ne pas confondre avec la veuve de Mao Zedong.
7 Cette revendication présentée par Pékin et plus connue sous le nom du « tracé en neuf traits » n’a jamais fait l’objet d’une reconnaissance officielle de la part des pays limitrophes et des associations régionales (ASEAN) : il est vrai que, comme le soulignent Courmont et Mottet (2017), « ces derniers n’ont jamais précisé la méthode retenue pour le tracé de la revendication sur l’espace de Chine méridionale, ni la position exacte par des coordonnées, ni la nature de l’espace ainsi défini, ni même la légitimité légale d’un tel tracé ».