Le diagnostic de l’état actuel de l’Europe unie par Hubert Védrine•1 est sévère, mais rationnel et honnête : « décrochage manifeste des peuples », « grave déréliction ou tout au moins d’hébétude », « état d’urgence »… Une « construction admirable, idéaliste, mais aussi péremptoire et en partie artificielle… rattrapée par le monde réel », « un organisme affaibli, miné de l’intérieur », une « entité européenne bien-pensante, gorgée de bonnes intentions, assurée de son irréversibilité », qui « se réveille aujourd’hui douloureusement, comme dans une sorte de Jurassic Park ».
Cette situation, pour l’auteur, est avant tout causée par de multiples et de profondes fragilités de l’Union, internes et externes, qui provoquent, depuis plus de vingt ans, une résis-tance croissante au processus de construction européenne. Le problème numéro un – et le plus dangereux – est le fossé entre élites européistes et populations qui s’est creusé au fil des années, suivi par l’« ingénuité extérieure de l’Union ». Or, les réponses qui sont proposées ne font qu’aggraver la situation… Comment sauver le « projet Europe » ? La première priorité est de rétablir le lien entre élites et populations, ne pas essayer de « relancer » l’Europe sur des bases inchangées, mais, au préalable, libérer le projet européen du dogme européiste et le repenser. Hubert Védrine propose un véritable plan de « sauvetage de l’Europe » articulé autour de trois volets : pause pour écouter les peuples, conférence réfondatrice, refondation.
L’objectif politique du premier volet est de renouer le contact avec les sceptiques et de les détacher des anti-européens, « de parler à la grande majorité en train de décrocher pour la convaincre à nouveau », d’enrayer la désaffection croissante des peuples.
Ensuite, ce sera aux « gouverne-ments les plus déterminés » de convoquer une « conférence refondatrice » pour fixer les contours d’une nouvelle subsidiarité et repenser l’ensemble du « système ». La conférence fera le bilan politique de la construction européenne, clarifiera le rôle de la Commission, définira les nouveaux domaines clefs, « là où… la valeur ajoutée du niveau européen serait évidente aux yeux des peuples ». Par la « nouvelle subsidiarité », il s’agit surtout de mieux circonscrire le pouvoir des institutions européennes. L’auteur souhaite une harmonisation budgétaire, mais aussi fiscale, ainsi qu’une meilleure coordination et un plus grand pragmatisme des politiques économiques.
La conférence de refondation adopterait un « texte politique de conclusions qui recentre rait l’Union sur l’essentiel et qui, après une intense campagne d’explications, pourrait être soumis à référendum le même jour dans chaque État membre y ayant participé et ayant endossé ses résultats ». L’ensemble de ce processus de refondation permettra de revenir à la formule de « fédération d’États-nations » de Jacques Delors, de préserver le mode de vie européen et l’idéal de l’Europe sociale, « redonnerait à l’Europe une assise parmi les peuples et une respiration démocratique ».
Hubert Védrine plaide pour la construction d’une « Europe-puissance », avec une défense européenne (budgets de défense à 2 % du PIB, équipements modernes, armées entraînées, commandement unifié, hiérarchie de décisions acceptées à l’avance, constitution d’un pôle européen au sein de l’OTAN) et une « Union de la sécurité » (« un Schengen qui fonctionne », contrôle des frontières extérieures, asile et immigration « gérés dans un cadre clarifié » et harmonisé).
Le « plan Védrine » est magistral et ambitieux. Il pourrait servir de base, après l’élection triomphale d’Emmanuel Macron, à une initiative franco-allemande pour donner une nouvelle accélération au locomotif Paris-Berlin et refonder la construction européenne.