Mondialisation et trafics illicites du Nord au Sud de l’Afrique

Trafics illicites en Afrique et mondialisation
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Le raccourcissement du temps et des distances et la multiplication des communications qui, entre autres, caractérisent la globalisation, sont sources de rapprochement des hommes. Mais, cette interdépendance n’est nullement uniforme. Tout au contraire, à côté de l’idée qu’elle engendre une société monde – développée par l’école anglaise des relations internationales – il y a surtout le fait que ce rapprochement est aussi synonyme de promiscuité ; sous la pression de la croissance démographique et des déplacements de population, de l’augmentation des besoins et de la raréfaction des ressources, de la concurrence commerciale, ou, tout simplement, de la propagation des crises…

L’Afrique de nos jours se trouve être au centre d’un nombre important d’activités illicites.

Ces chocs qui hérissent la planète, débouchent sur des antagonismes à la marge des formes de régulation ou d’intégration mises en place par les États ou les institutions internationales, et déstabilisent un nombre croissant de communautés nationales, au moyen de l’économie du crime qu’ils véhiculent ; traduisant de fait, dans le domaine des sciences sociales, la théorie du chaos ou des catastrophes, formalisée par le mathématicien René Thom et induisant le risque de voir s’enchaîner à l’échelle mondiale et de manière imprévisible, une série de crises incontrôlables. Appréhendée dans sa globalité, l’Afrique contemporaine semble de plus en plus se rapprocher de ce schéma catastrophe. En effet, située à la lisière des continents américain, européen et asiatique, l’Afrique de nos jours se trouve être au centre d’un nombre important d’activités illicites, simultanément com – me zone de départ, de transit, ou même de chute. Même s’il faut admettre que l’étendue du continent est concernée à des degrés divers par ces trafics criminels, on constate néanmoins que l’espace sahélien en constitue la plaque tournante avec des trafics de drogues, d’armes à feu, des migrants, de la faune, voire des flux financiers illicites.

Le trafic des drogues

L’Afrique, notamment dans sa partie occidentale, excelle comme zone de transit d’une variété de drogues constituées de cocaïne, d’héroïne et d’amphétamine. Divers facteurs expliquent le rôle de l’Afrique de l’Ouest dans le développement de ce trafic, à l’instar du renforcement des contrôles dans les ports et aéroports européens sur les navires et avions arrivant d’Amérique du Sud ; le contexte « post-conflit » de plusieurs États ; la faible rentabilité des activités économiques légales ; la situation géographique de la sous-région ouest-africaine, face au continent sud-américain et à moins de deux mille kilomètres du sud de l’Europe, où le nombre de « cocaïnomanes » ne cesse d’augmenter ; le faible contrôle étatique de la zone sahélienne ; la faible gouvernance politique des États de la région et la corruption par les groupes criminels de la certains fonctionnaires de l’État.1

La réception de la drogue s’effectue principalement à partir de trois plaques tournantes : un pôle au Nord, d’où sont desservis la Guinée-Bissau, la Guinée, la Gambie et le Sénégal ; un pôle au Sud, principalement le Nigeria, ainsi que le Bénin, le Togo et le Ghana ; un pôle oriental couvrant le Mali et des régions de Mauritanie. Les trafiquants latinoaméricains, qui acheminent la drogue en Afrique de l’Ouest utilisent deux voies de transit : le transit en conteneurs2 et le transit en avion privé.3 Une fois en Afrique de l’Ouest, la cocaïne est expédiée vers l’Europe en utilisant plusieurs modes d’action. Les trafiquants n’ont donc plus qu’une seule possibilité : traverser le Sahara par voie terrestre ou aérienne pour ensuite traverser la Méditerranée par voie maritime, terrestre ou aérienne.4

Contrairement à la cocaïne et à l’héroïne, l’amphétamine est produite sur le continent, notamment au Liberia et au Nigeria. Selon le schéma classique, elle résulte de l’éphédrine qui est principalement produite en Asie de l’Est et du Sud-Est, puis exportée vers l’Afrique occi dentale, où elle est transformée en amphétamine avant d’être réexpédiée vers l’Asie de l’Est et parfois l’Europe.

Les routes de la drogue en Afrique

Le trafic d’armes à feu

Au regard de la circulation des armes en Afrique, cinq sources peuvent être évoquées. On rencontre ainsi : les armes héritées des conflits survenus sur le continent, à l’instar du Liberia, de la Sierra Leone, du Soudan, du Tchad, etc.; celles vendues ou louées par des membres corrompus des forces de sécurité5 ; les armes acheminées par des gouvernements sympathisants et celles importées de pays hors Afrique.6 Plusieurs acteurs interviennent dans le trafic d’armes à feu, notamment les membres des forces de sécurité, les militants et mercenaires désengagés ou toujours d’active, des agents de transport spécialisés et les groupes nomades qui dominent les mouvements hors route de la contrebande.

Itinéraire du trafic d’armes en Afrique de l’ouest

Le trafic des migrants

Le trafic illicite de migrants depuis l’Afrique vers l’Europe est un phénomène qui semble avoir gagné en ampleur depuis les années 1990, période pendant laquelle l’Espagne et l’Italie ont mis en place des régimes de visa plus stricts. Les acteurs de ce trafic empruntent traditionnellement l’une ou l’autre des cinq grandes voies de passage suivantes : la voie maritime jusqu’aux îles Canaries (Espagne) ; la voie terrestre jusqu’aux enclaves espagnoles d’Afrique du Nord (Espagne) ; la voie terrestre et maritime par le détroit de Gibraltar (Espagne) ; la voie terrestre et maritime, en traversant la Méditerranée jusqu’à Malte ou l’île de Lampedusa (Italie) ; la voie terrestre et maritime, en traversant la Méditerranée jusqu’aux côtes grecques.

Le trafic de la faune

Le trafic des espèces fauniques fait partie aujourd’hui des activités criminelles les plus lucratives et dangereuses. Selon le Secrétariat de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), ce trafic engendre des revenus annuels de près de 17 milliards d’euros. L’organisation TRAFFIC, programme conjoint UICN/ WWF7 de surveillance du commerce des espèces sauvages, estime que le commerce illicite concerne chaque année 500 à 600 millions de poissons tropicaux, 15 millions d’animaux à fourrures, 5 millions d’oiseaux, 2 millions de reptiles et 30 000 primates.8

Seulement, c’est le braconnage transfrontalier des éléphants et rhinocéros qui a le plus alarmé le continent ces dernières années. En effet, l’UICN a déclaré que la population d’éléphants d’Afrique était passée de 550000 en 2006 à 470000 aujourd’hui, soit une diminution de près de 15 % en seulement 9 ans, avec un abattage de près de 50 000 éléphants en 2014. Dans le même ordre d’idées, le nombre de rhinocéros abattu par les braconniers a connu une augmentation de 21 % entre 2013 (1 004 tués) et 2014 (1 215 tués) en Afrique du Sud. C’est une donnée effrayante quand on sait que la population des rhinocéros sud africains est estimée à seulement 20 000 individus et qu’ils représentent 80 % de la population totale des rhinocéros dans le monde.

Flux des migrants irréguliers en direction de l’Europe

Les flux financiers illicites

Les flux financiers illicites9 ont engendré des pertes de plus de 1000 milliards de dollars au cours des 50 dernières années. Actuellement, on estime que l’Afrique perd plus de 50 milliards de dollars par an du fait des flux financiers illicites.10 Ils se répartissent entre trois composantes : activités commerciales (65 %), activités criminelles (30 %) et corruption (5 %). Les flux financiers illicites résultant d’activités commerciales répondent à plusieurs finalités telles que la volonté de dissimuler des richesses, d’éviter l’impôt de façon agressive, et de contourner les droits de douane et les taxes intérieures. Certaines de ces activités, en particulier celles liées à la fiscalité, sont décrites dans les travaux de l’OCDE par l’expression « Érosion de l’assiette fiscale et déplacement des profits».11 Les divers moyens d’engendrer des flux financiers illicites en Afrique sont la falsification des prix de transfert12, des prix commerciaux13, des factures correspondant à des services et des biens immatériels et la passation de contrats léonins, tout cela à des fins de fraude fiscale, d’évasion fiscale agressive et d’exportation illégale de devises.

Menées dans le but de dissimuler les transactions aux autorités de police ou aux autorités fiscales, les activités criminelles sont accentuées par le blanchiment d’argent qui alimente le financement du terrorisme. S’il est reconnu que les actes de corruption active et d’abus de pouvoir d’agents publics représentent environ 5 % des flux financiers illicites dans le monde, il ressort que la situation en Afrique est supérieure aux statistiques mondiales. Selon la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), les pays africains ont perdu, entre 2001 et 2010, 407 milliards de dollars du simple fait de la falsification des prix dans les transactions commerciales. Il résulte ainsi que l’Afrique est créancière nette du reste du monde, et non pas débitrice comme on le soutient souvent. Le continent africain se présente comme un terreau de trafics illicites qui ont un impact négatif sur ses capacités de développement. Ces trafics recouvrent une composante criminelle constituée de la drogue, des armes, des personnes, des espèces fauniques, voire de braconnage ; une composante commerciale renfermant les falsifications des tarifs des biens et services du commerce, de transfert et d’érosion de l’assiette fiscale, de déplacements des profits et d’une composante corruption. Finalement donc, la gouvernance mondiale contemporaine se décline également en une interdépendance élargie d’acteurs non étatiques. Ces réseaux criminels se structurent sous le parapluie de la mondialisation, qui par ailleurs les nourrit, dans son versant de fin des frontières, de montée en puissance du libéralisme, voire de retournement du monde.

La destination des produits de braconnage

Joseph Vincent Ntuda Ebode

1 On peut relever qu’en mars 2010, onze hauts fonctionnaires gambiens avaient été arrêtés pour trafic de drogues.

2 On a enregistré un nombre croissant de saisies de drogue dissimulée dans des conteneurs maritimes, des deux côtés de l’Atlantique. Pas moins de 27 saisies ont été réalisées depuis 2013, dont 12 pendant la seule année 2011, pour un total de près de six tonnes de cocaïne.

3 En novembre 2009, le Nord-Est du Mali a été le théâtre d’une opération encore exceptionnelle, mais spectaculaire : l’atterrissage clandestin d’un Bœing 727, appelé « Air Cocaïne » en provenance du Venezuela, transportant une dizaine de tonnes de cocaïne, disparues ensuite dans la nature.

4 Joseph Vincent Ntuda Ebode, « Géopolitique de la criminalité transfrontalière organisée et de l’insécurité maritime, enjeux pour l’Afrique de l’Ouest», thème présenté à Abidjan le 3 juin 2014 à l’occasion du séminaire de formation et de la conférence « Les enjeux géopolitiques et stratégiques en Afrique de l’Ouest », p. 5.

5 Au Nigeria par exemple, la police a arrêté trois officiers qui avaient loué des armes de type Kalachnikov, et vendu 1 200 munitions à des criminels locaux. D’après une enquête de 2008 de la Commission nationale de lutte contre la prolifération des armes légères du Burkina Faso, les armes saisies dans le pays venaient, pour la moitié environ, des forces de sécurité nationales.

6 Les meilleurs exemples viennent du Nigeria. Le 26 octobre 2010, les autorités nigérianes ont découvert 240 tonnes de munitions en provenance d’Iran dans 13 conteneurs maritimes. Une saisie moins connue est intervenue le 17 juin 2009, quand les autorités nigérianes de Kano ont arrêté un avion qui transportait des armes de la Croatie jusqu’en Guinée-Bissau.

7 Union internationale pour la conservation de la nature (UICN)/Fonds mondial pour la vie sauvage (WWF, World Wildlife Fund).

8 Le commerce illicite des espèces fauniques concerne deux catégories : les spécimens/trophées (poils, ivoire, os, peau, écailles, griffes, sabots, etc.) et les animaux vivants (les gorilles, les bonobos, les chimpanzés, les perroquets, les pangolins, les tortues terrestres, les tortues d’eau douce, etc.).

9 Ce sont les capitaux acquis, transférés ou utilisés illégalement. Ils résultent essentiellement d’opérations commerciales, de l’évasion fiscale et d’activités délictueuses (blanchiment d’argent, trafic de drogues et d’armes, et traite des êtres humains), de la corruption et de l’abus de fonction.

10 Commission économique de l’Afrique, Flux financiers illicites, Rapport du Groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites en provenance d’Afrique, Addis-Abeba, p. 14.

11 Idem, p. 26.

12 La falsification des prix des transferts a lieu quand une société multinationale tire parti de ses structures complexes pour déplacer les bénéfices entre différents pays.

13 Il s’agit de la falsification du prix, de la qualité et de la quantité des marchandises échangées, pour diverses raisons. Il peut s’agir du désir d’éviter les droits de douane et les taxes intérieures, ou encore de l’intention d’exporter des devises.

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