NordStream 2 ou un courant de division en Europe

Nordstream 2 Christine Dugoin-Clément Russie UE Allemagne
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Malgré une actualité européenne perturbée par de nombreuses crises, le projet NordStream 2 a récemment défrayé la chronique. S’il est de notoriété publique que ce gazoduc achevé à 95% a pour objet de relier la Russie à l’Allemagne, les raisons des rebondissements de ce dossier ainsi que ses implications au sein de l’Union Européenne (UE) restent parfois obscures.

Nord Stream 2, un projet motivé par la recherche de sécurité énergétique européenne

L’objectif de NordStream 2 est de doubler l’approvisionnement du gazoduc NordStream qui,  en traversant la Baltique, achemine le gaz russe vers l’UE via l’Allemagne. Outre sa capacité de 55 milliards de m3, NordStream 2 réduirait les itinéraires  de transit, notamment ceux passant par l’Ukraine. Ce projet s’accordait avec une approche alors focalisée sur le gaz naturel au point de faire redouter que cette polarisation n’entrave le développement de projets utilisant d’autres énergies. Pour y remédier, l’UE a pris en 2015 un ensemble d’initiatives pour faire de son secteur énergétique un projet global : «l’Union de l’énergie». Ce faisant, l’UE entendait opposer une approche unie et cohérente à un marché devenu particulièrement volatile, notamment depuis la hausse des exportations américaines. Cette approche, qui visait à garantir un approvisionnement en énergie abordable, sûr, durable et diversifié pour l’UE, excluait tout soutien à la construction de NordStream 2 qui augmenterait  la dépendance au gaz russe. 

De plus, le gazoduc porté par la société russe Gazprom, qui y avait rallié le français Engie, l’anglo-néerlandais Shell, l’autrichien OMV et les allemands E.ON et BASF, a multiplié les controverses depuis que fin 2013,  la révolution du Maïdan a éclaté en Ukraine. Outre les divisions entre  des États-membres de l’UE fondées sur des intérêts économiques divergents, une crise géopolitique est venue compliquer le dossier, la situation ukrainienne perturbant la sécurité du voisinage de l’UE, et mettant à l’épreuve les valeurs prônées par une Europe de moins en moins unie devant le projet Nord Stream 2.

Une crise géopolitique majeure qui relativise la sécurité de l’approvisionnement

La révolution du Maïdan a renversé le président Ianoukovitch alors qu’il refusait de signer l’accord d’association avec l’UE très attendu par une population qui a payé d’un lourd tribu humain ses aspirations européennes. L’Ukraine fut alors soutenue par l’UE qui a décidé de sanctions contre la Russie accusée d’avoir annexé la Crimée , et de soutenir les séparatistes à l’origine de la guerre encore en cours dans l’est du pays. A la suite de ces sanctions la Russie a été privée de son droit de vote à l’assemblée du Conseil de l’Europe (droit rétabli en juin 2019). Dans ce conflit, l’enjeu gazier est énorme tant pour l’Ukraine, qui importait 60% de son gaz de Russie, que pour l’UE dont 60% du gaz importé de Russie transite par l’Ukraine laquelle en tire profit au titre du droit de passage. Dans ce contexte le maintien du projet NordStream 2 était un signal fort car il supposait de poursuivre des relations économiques avec la Russie et à terme de priver l’Ukraine de rentrées financières. En filigrane l’UE, qui se veut porte étendard de valeurs morales, n’est pas allée au bout de sa logique : les sanctions économiques qu’elle a prononcée ne sont pas allées jusqu’à annuler le gazoduc. Enfin, un des buts de l’Union de l’Energie est de sécuriser l’approvisionnement, or l’attitude de la Russie ne participe pas à créer un climat de confiance.

Des acteurs aux intérêts économiques et sécuritaires divers

La pluralité des approches des européens du dossier ukrainien est sans surprise : craignant le voisin russe, les baltes et la Pologne soutiennent la politique de sanctions ; d’autres, comme la Hongrie, soutiennent la Russie. L’Allemagne est dans une position plus délicate. Avec NordStream 2 elle deviendrait le point central de distribution de gaz pour l’Europe, bénéficiant de droits de passage substantiels. En outre, deux des cinq sociétés impliquées dans le projet sont allemandes et assurent un lobbying efficace pour le gazoduc. En déclarant qu’il s’agissait d’un projet commercial dans lequel l’État n’avait pas à intervenir, la chancelière Merkel tentait d’éviter l’écueil. La position allemande est d’autant plus délicate qu’elle fait partie des réunions réunissant la Russie et l’Ukraine, Lougansk, Donetsk et la France pour tenter de mettre fin au conflit. La France affiche depuis début 2019 une position moins favorable au gazoduc, avec le soutien d’une directive européenne qui demande une séparation des activités entre fournisseurs de gaz et gestionnaires d’infrastructures, activités pilotées  par Gazprom pour ce dossier. Enfin, après que le Danemark aie autorisé le passage du gazoduc par son territoire, les États-Unis ont pris des sanctions contre les entrepreneurs liés au gazoduc. Ces mesures ont été présentées comme un soutien à l’Ukraine mais, intervenant après la signature du protocole d’accord régulant le transit du gaz russe en Ukraine à partir de 2020, l’argument parait faible. Il semble plus probable, bien que moins louable, que Washington cherche surtout à renforcer ses exportations de gaz naturel liquéfié (GNL), notamment issu de gaz de schiste, vers l’Europe.

Les derniers événements

La tentative d’empoisonnement d’Alexeï Navalny, l’opposant du Président Poutine, rapatrié en Allemagne pour y être soigné, a impacté NordStream 2. Si la France a confirmé son avis défavorable, l’Allemagne, pour qui les enjeux économiques et énergétiques du projet sont majeurs car ils impliquent de nombreuses entreprises, subit des pressions pour revenir sur son soutien. Au-delà de la scène internationale à Berlin ce sujet fait l’objet de débats au sein du camp conservateur entre les prétendants à la chancellerie. 

Enfin, la prise de conscience des enjeux environnementaux rappelle que le gaz naturel est une énergie fossile peu compatible avec les engagements de l’accord de Paris sur le climat. Néanmoins, il est probable que l’état d’avancement de NordStream 2 et les enjeux économiques qui y sont liés ne cèdent pas si facilement devant les tenants de l’écologie et de la morale qui souhaitent l’abandon du projet. Que ces arguments soient probablement soutenus et repris par Washington fait de NordStream 2 un dossier dont il sera intéressant de suivre les développements.

Christine Dugoin-Clément

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