[Editorial] La finalité des entreprises : contribuer à l’intérêt général ou accumuler les profits ?

Richesse ou intérêt général
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Le nouveau Président, lors de ses voeux aux Français, a proposé de repenser la place de l’entreprise dans la société pour corriger la myopie du capitalisme contemporain centré, il faut bien le dire, sur le seul intérêt des actionnaires ! Le dialogue tolérant qui s’imposerait dans un régime de « grosse coalition à l’allemande » (Große Koalition) qui serait « et de droite, et de gauche » n’a pas véritablement de raison d’être. Selon Loïc Blondiaux, professeur de sciences politiques à la Sorbonne, « Dans le macronisme, la délibération n’est pas une valeur, c’est une perte de temps ». Selon lui, deux maîtres-mots caractérisent le nouveau régime : l’autoritarisme et le néolibéralisme. Bien qu’il en parle sans cesse, Emmanuel Macron est à mille lieues d’intégrer l’idée même de concertation et de dialogue. La fragilisation des corps intermédiaires que les réseaux sociaux sont encore loin de remplacer en est le plus marquant symptôme. Il est bien loin de l’enseignement de son maître Paul Ricoeur qui préférait l’esprit délibératif aux décisions hiérarchisées et autoritaires prises à grands traits de plume ou des écrits du jeune homme qu’il était en 2011, dans la revue Esprit : « On ne peut ni ne doit tout attendre d’un homme, et 2012 n’apportera pas plus qu’auparavant le démiurge » ! Mais, quand vous voulez enterrer un problème, il faut, c’est bien connu… créer une commission. Eh bien, ce fut le cas et Nicole Notat, ancienne Secrétaire générale de la CFDT, et Jean-Dominique Senard, président du groupe Michelin, s’y se sont attelés même s’il est peu probable que les bonnes intentions ne soient pas une fois de plus sacrifiées sur l’autel des réalités ! En France, depuis le Code Napoléon, chacun sait bien que « toute société doit (…) être constituée dans l’intérêt commun des associés ». Cette conception est même un des piliers constants de la pensée économique classique. Elle a résisté à la crise de 1929 et à la montée du mouvement ouvrier et même si par la suite, elle a dû progressivement prendre en compte l’intérêt de l’État et des salariés (augmentations de salaire, améliorations des conditions de travail) ; bien vite l’idée de la nécessité de revenir à la poursuite du seul profit est revenue sur le devant de la scène : financiarisation, libéralisation des marchés, accroissement de la concurrence. On a cherché à justifier cette conception par la théorie rocambolesque du ruissellement qui considère que la redistribution des richesses s’effectue par le haut et on se souvient d’Helmut Schmidt abandonnant les grandes lignes de la doctrine sociale-démocrate qui clamait: « Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain. » !

Or, à l’ère de la financiarisation de l’économie, l’obsession de la maximisation du profit a créé de nombreux et graves déséquilibres : explosion des inégalités de richesses, dégradation de la situation environnementale, instabilité financière croissante, scandales économiques ou sanitaires… Aussi a-t-on parallèlement assisté à une remise en cause de la primauté de l’intérêt des actionnaires (qui restent néanmoins des parties prenantes), au profit d’une communauté plus large intégrant les salariés, les fournisseurs, les clients enfin toutes les parties prenantes liées à l’environnement de l’entreprise. Cette vision élargie n’exclut pas l’actionnaire, mais le contraint à prendre en compte d’autres éléments que sa seule rémunération. Elle ne rejette pas le capitalisme, elle estime simplement que le profit n’est pas que la poursuite de l’intérêt égoïste des associés, et que l’entreprise doit prendre en compte les intérêts de la société pour être plus efficace et économiquement plus viable. Mais même si les initiatives visant à intégrer l’entreprise dans un réseau plus large d’intérêts ont été nombreuses, force est de constater que ce mouvement n’a guère freiné les effets négatifs de la crise sur les inégalités, la précarité ou l’environnement par exemple.

Cette vision élargie n’exclut pas l’actionnaire, mais le contraint à prendre en compte d’autres éléments que sa seule rémunération. Elle ne rejette pas le capitalisme, elle estime simplement que le profit n’est pas que la poursuite de l’intérêt égoïste des associés, et que l’entreprise doit prendre en compte les intérêts de la société pour être plus efficace et économiquement plus viable.

Le gouvernement français, à son tour, semble avoir pris conscience de cette évolution, mais lorsque Nicolas Hulot affirma récemment qu’il fallait « faire en sorte que les principes et valeurs de l’économie sociale et solidaire deviennent désormais la norme et non plus l’exception », le MEDEF a violemment réagi en rejetant l’idée d’une modification du Code civil qui mettrait « en difficulté l’ensemble des entreprises françaises », et génèrerait des « conflits d’intérêts » entre actionnaires et activistes. Cette réaction prouve à quel point le patronat français refuse catégoriquement de revoir la gestion de l’entreprise dans un sens plus soucieux de l’intérêt général et non plus des seuls actionnaires. Emmanuel Macron, en apparence, plus ouvert aux idées nouvelles, à l’alliance capital-travail, recherche de compromis, au souci des impératifs sociaux et environnementaux, cherche sans doute à envoyer un message à la partie gauche de son électorat, mais son « réalisme économique » se mariera mal avec une vision qui bousculerait forcément la marche du capitalisme. Comme son prédécesseur Georges Pompidou, issu lui aussi de la Banque Rothschild, ne finira-t-il pas par dire : « La participation : un projet irréalisable qu’il faut torpiller » ! Et la loi PACTE ? Le projet de loi sur le « plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises » (PACTE) a été enfin présenté, après dix mois de travail, par le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, en Conseil des ministres lundi, 18 juin 2018. C’est une loi-gigogne – une sorte de Loi Macron II – qui prévoit pas moins de 70 mesures, dont la redéfinition de l’objet social de l’entreprise, l’allègement des obligations applicables aux différents seuils d’effectifs, l’augmentation du nombre d’administrateurs salariés dans les conseils d’administration, l’encouragement de l’épargne salariale. Pour le ministre, c’est un vrai texte de « transformation de l’économie » du quinquennat, visant à « donner une nouvelle armature » aux entreprises tricolores. Dans cette complexité croissante, cette transformation de l’économie voulue par l’État ne pourra réussir sans une nouvelle méthode consistant à organiser un vrai dialogue afin de transformer le management pour instaurer une culture de responsabilité et de solidarité. Donner sa place à chacun suppose d’installer des processus transparents. C’est pourquoi il convient de mettre en débat tous les grands enjeux de l’entreprise pour comprendre les racines de la performance globale et durable. Enfin, c’est comprendre et développer les personnes, les entreprises, la société et conjuguer les débats internes et les débats publics pour impliquer tous les acteurs dans la recherche de l’intérêt général et réconcilier entreprise et société. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la Transition écologique et solidaire, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des finances, et Muriel Pénicaud, ministre du Travail, ont reçu, le 9 mars 2018, au ministère de l’Économie et des Finances à Bercy Jean-Dominique Senard, président du groupe Michelin, et Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la CFDT et présidente de Vigeo-Eiris, pour la remise de leur rapport faisant part des résultats de la mission « Entreprise et intérêt général » lancée le 5 janvier dernier. Leurs propositions venaient d’alimenter l’élaboration du projet de loi du Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) qui doit être adoptée cette année.

Jean-Claude Fontanive

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