Rien dans l’Univers ne saurait résister à l’ardeur convergente d’un nombre suffisamment grand d’intelligences groupées et organisées.
RP Teilhard de Chardin (synthèses, nov. 57)
À la différence de la discussion et du débat, la parole qui traverse (c’est l’étymologie du mot « dia-logos »), comporte nécessairement raison, discernement, exactitude et sagesse, pour que des arguments convaincants se déploient progressivement parmi les interlocuteurs.
Le but n’est pas d’avoir raison coûte que coûte, ni d’imposer un point de vue à son vis-à-vis, mais d’échanger de part et d’autre quelque chose qui a du sens pour qu’en toute liberté, l’écoute active, l’humilité sincère et le respect mutuel évitent cet écueil que nous constatons si souvent dans les débats télévisés où les débatteurs succombent presque toujours à la tentation d’opposer des a priori à d’autres a priori: ils croient dialoguer alors qu’en fait ils ne prennent même pas le temps d’examiner les sujets dont on parle et vont, aidés en cela par leurs communicants respectifs, à la chasse à la contradiction, émaillée de petites phrases assassines destinées à mettre les rieurs de leur côté !
Au contraire, un dialogue réussi intègre tous les points de vue des participants et apporte une conclusion dans laquelle ceux-ci se retrouvent tous. Mais cela n’est vraiment possible que si l’on accorde à la notion de fraternité toute l’importance qu’elle mérite. Or, être capables de dialoguer aujourd’hui, ce n’est pas seulement une vertu, c’est devenu une nécessité !
C’est aussi vrai dans le domaine politique, économique ou social, que dans les questions sociétales. Aujourd’hui, même si des différences notables existent d’une nation à l’autre, nous pouvons tout de même relever que dans de nombreux pays la démocratie est en panne, voire en danger. Sauf quand le vote est obligatoire, l’abstention progresse et même galope. Par ailleurs, le vote blanc ou nul est rarement comptabilisé. Dans nombre de systèmes représentatifs, certains partis minoritaires sont tellement sous-représentés que leurs électeurs sont dangereusement isolés.
Le rejet de la politique atteint presque partout un niveau sans précédent et les oppositions Droite-Gauche ont été tellement « bétonnées » par 50 ans de bipolarisation de la vie politique que les esprits doivent véritablement se rééduquer avant de pouvoir à nouveau communiquer. Les valeurs humanistes et républicaines ne sont même plus énoncées, qu’il s’agisse de :
- Promouvoir une société de liberté et de responsabilité, juste et solidaire ;
- Réaffirmer notre attachement aux racines gréco-latines et judéo-chrétiennes de notre civilisation, laquelle en 20 siècles a forgé nos nations, ainsi qu’aux droits et devoirs qu’elle a apportés au monde ;
- Intégrer dans le respect de la laïcité, celles et ceux qui veulent vivre avec nous sous la protection de la loi tout en respectant notre culture, tout comme nous nous devons de respecter la leur si elle n’est pas contraire aux valeurs humanistes universelles définies, par exemple, dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;
- Réformer notre pays pour lui permettre de s’épanouir au sein d’une confédération européenne mieux définie, unie et protectrice tout en restant ouverte sur le monde.
Pour cela, il faut qu’un dialogue permanent, respectueux des positions initiales de chacun, s’instaure entre tous ceux qui, à des degrés divers, souhaitent éclairer les Hommes. Cela n’empêche aucunement un langage de vérité et de lucidité, que ni le « politiquement correct », ni un discours décliniste ne doivent émousser.
Ce dialogue doit rassembler, pour que, de l’infinie variété des projets partisans, naisse un projet collectif fondé sur l’intérêt général. Il n’autorise pas cependant toutes les prises de position et notamment les plus extrémistes car il ne saurait donner lieu à des propos en contradiction avec les principes juridiques et philosophiques qui fondent notre humanité.
Pour qu’un tel dialogue s’instaure, il faut une méthode qui consiste à :
- Prendre conscience que personne ne détient de vérité absolue ;
- Apprendre à écouter l’interlocuteur pour s’enrichir de ses bonnes propositions ;
- S’ouvrir à toutes les Écoles de sagesse pour que s’entendent les voix des initiés ;
- Accepter de mettre en œuvre les solutions consensuelles qui se dégageront des débats.
Il faut ensuite se fixer un objectif, un cap à tenir : - S’attaquer aux problèmes de notre temps (chômage, économie, questions sociétales) ;
- Revivifier nos institutions et assainir le fonctionnement de l’État ;
- Bâtir une société solidaire redonnant l’espoir aux jeunes et respectant les anciens ;
- Retrouver au sein de l’Europe une place enviée dans le monde.
Or, comment bâtir sur la diversité des opinions si on ne dialogue pas ? Comment susciter l’adhésion d’un peuple à une politique économique et sociale sans un minimum de consensus ? Le rôle des partis est certes de proposer des choix, mais aussi de négocier des terrains d’entente acceptables par les uns et par les autres.
Or, « Ils soulèvent la poussière et se plaignent de ne pas voir » comme disait Berkeley. En effet, si les Hommes et les Femmes de bonne volonté acceptaient de se retrouver momentanément en oubliant les pancartes qu’ils portaient hier, celles de ces partis qui étymologiquement « séparent », on pourrait sûrement, autour des valeurs humanistes, réunir l’adhésion du plus grand nombre de nos concitoyens pour choisir parmi eux les représentants les plus dignes de conduire les affaires du pays.
Pour conclure posons-nous cette question: serons-nous capables par le dialogue de restaurer notre société pour redonner toute leur place aux valeurs républicaines pour lesquelles nos Pères se sont sacrifiés ?
Nous avons d’immenses atouts et un avenir à la hauteur de nos espérances, et notre nation, dans ses heures les plus sombres, a toujours su faire jaillir en elle-même le sursaut salvateur capable de la sauver. Il suffit pour cela que les hommes et les femmes de bonne volonté se retrouvent sans ces étiquettes partisanes qui dressent entre eux des cloisons mentales, et décident de s’organiser en recherchant, par le dialogue, l’indispensable compromis entre une « Liberté qui permet d’entreprendre » et une « Solidarité qui maintient la volonté de vivre ensemble ». C’est à cette humble tâche que doivent s’atteler celles et ceux qui veulent suivre des « Voies de sagesse ».
Pierre Chastanier