Entretien avec Patrick Bernasconi, Président du Conseil Économique, Social et Environnemental

Conseil Economique Social et Environnemental
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Le CESE, lieu du débat public et d’échange avec la société civile

Patrick Bernasconi
Patrick Bernasconi,
Président du CESE

La Réforme du Conseil Économique, Social et Environnemental est entrée en vigueur le 1er avril 2021 (article 15 de la loi organique), Le Président du Conseil Économique, Social et Environnemental, Patrick Bernasconi, qui en est l’artisan, en présente l’objet : en faire le lieu du débat public, un espace ouvert d’échange avec la société civile dans toutes ses composantes. Il inscrit son rôle dans la période de très grandes transformations que nous traversons, dans la perspective de la relance que l’on espère profondément stratégique en France.

La réforme du CESE

Tout d’abord la réforme du CESE ! Vous en avez été le porteur, l’artisan. Pourquoi cette réforme ?

Cette idée de réforme du CESE est venue dès la fin de la mandature précédente, en 2015 : comment rendre le CESE plus utile ? Trois idées nous ont guidé : que le CESE soit plus utilisé par l’exécutif, plus connecté à la vie de tous les jours ; développer les liens avec de nombreux partenaires et travailler ensemble sur de nouveaux sujets (par exemple avec France Stratégie, la Cour des Comptes…) ; ouvrir le CESE : celui-ci rassemblait à l’époque 233 conseillers, 80 organisations, mais les citoyens non engagés ne sont pas touchés, de nombreuses associations ou organisations de la société civile ne sont pas entendues.
Le CESE doit être un espace d’échanges, de dialogues et de débats avec la société civile, permettant de mieux traiter des pétitions citoyennes, sur tous types de sujets ; de faciliter la tenue de Grands Débats : nous avons lancé la première expérience de débat entre citoyens tirés au sort, et en particulier la Convention citoyenne sur le Climat.
Cette idée de réforme a rencontré la volonté du Président de la République de faire du CESE le lieu du débat public, d’être le trait d’union entre les citoyens, l’exécutif et le pays. Et une réforme ambitieuse a vu le jour, demandant beaucoup de travail puisqu’il a fallu avoir l’adhésion des 80 organisations composant le CESE et des instances politiques de la nation. Une loi organique a permis de mettre en place cette réforme, d’instituer ce lieu du débat public sans que cela ne fasse concurrence aux deux Chambres du Parlement et de permettre au Premier Ministre de saisir le CESE.
Le 18 mai, lors de la plénière d’installation du Conseil pour la mise en place de de la prochaine mandature, seront mises en place officiellement les dispositions de la Réforme.

Comment le nouveau pouvoir de cette Assemblée va-t-il se mettre en place ?

Cette réforme va permettre au CESE d’avoir un rôle mieux défini, plus efficace. Elle lui confiera un rôle de porte-voix des citoyens auprès des autres institutions, et donc de mieux faire fonctionner la participation des citoyens, et, plus largement, la démocratie participative. Le grand débat, à l’issu du mouvement des gilets jaunes, a montré l’appétit des français à participer. La réforme concrétise ce désir et il a été plébiscité par l’ensemble des organisations du CESE, ce qui mérite d’être souligné !
Le challenge est maintenant de jouer la partition.

La réforme a-t-elle transformé les CESER, c’est-à-dire des Conseils Économique, Social, Environnemental régionaux ?

À ce stade, la réforme a très peu touché à ces instances régionales : par un article de la Loi organique, il est indiqué que le CESE peut solliciter les CESER sur divers sujets. Mais, de fait, ils dépendent des Régions, et d’une autre loi. Mais ils ont la même composition, ils vont travailler sur les mêmes sujets, Le CESE doit pouvoir s’appuyer sur ces organismes qui ne sont pas assez utilisés, pas assez saisis. Il y a là une voie de progrès à saisir.
Comment, par exemple, évoquer les déserts médicaux, la réforme de l’hôpital, sans que les CESER ne soient saisis ? Tous les CESER ont d’ailleurs contribué au grand débat. Il y a un pont à construire avec la participation citoyenne régionale, une histoire à écrire entre les CESER et le CESE, pour donner une grande dimension territorialisée à la démocratie. L’exécutif et les Régions doivent réfléchir pour ouvrir ce champ important.
Il en est de même avec le CESE Européen : des liens ont été ouverts avec la Délégation française auprès de l’Union européenne. Mais aussi avec les 16 structures du même type que le Conseil dans le monde, notamment dans la francophonie. À l’ouverture territoriale doit s’adjoindre une ouverture vers l’international.

Les grandes transformations

Face aux grandes mutations, la société civile joue d’ores et déjà un rôle important, poussant à de grandes transformations. Quel est et pourra être le rôle du CESE dans ce travail de profondes transformations ?

Le nom du CESE, Conseil Économique, Social et Environnemental, illustre parfaitement la transversalité qui préside à nos travaux, notamment sur des sujets comme le Changement climatique : l’ensemble des mutations climatiques, écologiques, énergétiques… sont prises sous ces trois dimensions. En effet, si le CESE aborde des questions qui ne se prêtent pas à cette approche globale comme la fin de vie par exemple, de façon générale et ce de plus en plus, nous avons besoin de raisonner de manière globale. Pour des raisons pratiques, nous travaillons en Commission, comme à l’Assemblée Nationale, mais nous cherchons à dépasser leurs limites grâce à la création de commissions temporaires, ou en reliant deux, voire trois, commissions.
Pour pouvoir aborder les sujets dans leur globalité, nous avons voté en début de mandat, les axes stratégiques sur la base desquels nous voulions orienter nos débats : 1) réduire les diverses fractures de notre société (fractures digitales, climatiques, territoriales, sociales, …), et 2) maintenir la cohésion sociale. C’est essentiel et constitue le nuancier sur lequel nous avançons.
Cette interdépendance des sujets se retrouvent aussi au niveau d’une entreprise (je suis moi-même chef d’entreprise dans le domaine du BTP), où toutes les dimensions se retrouvent par exemple dans la RSE.
Ne peut-on pas aider à cette grande transformation en construisant un Observatoire de la Résilience qui rassemble les divers indicateurs et diverses données nécessaire pour guider ces changements ?

Dans les divers travaux du CESE, nous nous sommes presque toujours heurtés au manque de données et d’indicateurs. Ils sont indispensables pour construire des propositions et apporter une solide expertise aux décideurs publics. Le CESE est un spécialiste de l’expertise des usages et a besoin de ce type d’Observatoire, de s’appuyer dans la durée sur des choses pratiques, qui mesurent les évolutions. Nous déplorons le manque de matériaux concrets pour évaluer nos divers sujets.

La notion de performance globale, de l’entreprise comme du territoire, qui mesurerait ou prendrait en compte les externalités que toute action crée, serait-elle utile ? En quelque sorte une comptabilité élargie, non financière ?

La comptabilité est une notion très factuelle qui traduit la santé économique de l’entreprise, sa viabilité et sa capacité à prospérer. La comptabilité ne traduit pas tout de la santé de l’entreprise, de la situation sociale en son sein. Le chef d’entreprise a besoin d’avoir une vision stratégique de son entreprise, intégrant sa situation en matière de RSE, de marchés publics, d’image… Il existe déjà beaucoup de choses sur le sujet, des normes, des modèles…, mais le mot Comptabilité n’est sans doute pas le bon mot. C’est un sujet (quels indicateurs, quelle mesure des externalités…), mais il faut que cela soit cohérent, et ne pas perdre de vue ce qui fait le propre de l’entreprise qui est d’apporter des biens et des services et non des mesures.
Néanmoins, constatons que le CESE a été très anticipateurs sur bien des sujets : la notion de développement durable en 1966 ; le bitcoin, en 2010… Le CESE capte souvent les idées un peu novatrices et les mets dans le débat.

Quel lien doit prévaloir entre économie, social et environnement, dans la situation d’aujourd’hui ? Que pensez-vous des propositions de Karl Polanyi qui proposait de « réinsérer l’économie dans la société et dans la biosphère » ?

Ces liens changent dans l’histoire : au sortir de la guerre, il fallait reconstruire, et les choses étaient plus simples que maintenant. De nos jours, nous ne pouvons plus fonctionner en silos, mais introduire de la transversalité. La vision ne peut plus être essentiellement économique. C’est vrai pour l’entreprise, qui doit séduire les jeunes et donner du sens par exemple. Une autre forme d’entreprise voit le jour. Le CESE est bien là-dessus, et prône un équilibre entre ces trois composantes économique, sociale et environnementale.

La Relance stratégique

Comment voyez-vous l’orientation à donner à la relance ?

Le Président de la République nous a interrogés sur la façon dont nous voyons l’avenir et le CESE a produit un document à ce sujet.
Notre société et nos territoires ont à surmonter de nombreuses fractures : digitales, territoriales, générationnelles, il n’y a pas que le climat et l’environnement. La mondialisation revient comme un boomerang, et la crise a mis en évidence notre dépendance sur de nombreuses choses, sur des secteurs à réimplanter dans notre pays, sur notre besoin de réindustrialisation. Derrière les décisions à prendre il y a l’intérêt de notre pays, ce n’est pas en perdant notre influence que l’on résoudra nos problèmes.
Il faut avoir à l’esprit l’ensemble de ces questions industrielles, territoriales, sociales, écologiques ! Et ceci fait partie d’un problème plus large : redéfinir un projet de société, qui rassemble le plus grand nombre, exprime les valeurs sur lesquels se mettre d’accord, et ce n’est pas ce qui est le plus simple !
Nous avons énormément de mal à produire du Collectif, à partager des idées, à sortir des silos, se rassembler ! Au cours des années qui viennent, il faudra veiller à élaborer ces projets : par exemple sur l’alimentation, la relocalisation, le rôle des agriculteurs, la revalorisation de l’industrie, de la santé…

Nous constatons une certaine forme de reterritorialisation, de renforcement du lien et du pouvoir des territoires. Qu’en pensez-vous ? Cette évolution est-elle centrale pour le pays et la relance ?

Oui, on constate un axe fort de décentralisation, et un rapprochement d’avec les citoyens de ce fait. Il faut faire émerger des solutions issues des territoires, sans créer de nouvelles structures. L’État doit poser un cadre, mais il ne doit pas chercher à régler tous les problèmes : les lois sont souvent rigides, et on gagnerait à avoir des lois plus légères, un cadre qui donne plus de liberté et d’où sortirait aussi de meilleures solutions. Nous avons un pays très jacobin, et nous avons toujours eu des problèmes avec la décentralisation, il faut aller plus loin dans ce domaine, mieux réconcilier les personnes entre elles, éviter ce qui a provoqué le mouvement des gilets jaunes le sentiment des gens d’être exclues, sortir des silos fermés, avoir au contraire confiance dans l’intelligence des gens.

Vous allez quitter le CESE : quels sont vos sentiments ?

Cette expérience a été une très belle aventure, avec une très belle institution, qui a produit une belle réforme absolument nécessaire. J’ai un sentiment de satisfaction d’avoir conduit cette modernisation et agi dans le bon sens. Je ne vis pas dans le passé, mais avec j’ai la chance d’avoir pu représenter les corps intermédiaires de notre société, toutes les composantes de celle-ci. C’est un des rares endroits de notre pays où l’on construit encore des compromis.
Propos recueillis par Didier Raciné

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