Exportateurs sub-sahariens de matières premières : quels défis pour l’avenir ?

Afrique subsaharienne
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Les économies des États de l’Afrique sub-saharienne fonctionnent largement grâce aux marchés des matières premières : la plupart des ceux-ci sont des exportateurs d’une ou de plusieurs matières, comme les produits agricoles ou miniers. Ainsi, le FMI a constaté en 2012 que parmi 21 économies africaines plus de 50 % de recettes d’exportation étaient réalisées grâce à un produit. À cause de la faible diversification économique les recettes d’exportation sont le principal facteur de leur performance économique. En effet, pendant les périodes de forte hausse en 2006-2014, les taux de croissance des économies africaines étaient très élevés (plus de 7 %), ce qui n’avait jamais été observé par le passé et a permis au FMI de constater dans son rapport IMF Economic Outlook que l’Afrique affichait un des taux de croissance les plus élevés dans le monde.

Pourtant, suite à la chute des prix des matières premières dès 2014, plusieurs États africains ont dû faire face aux difficultés budgétaires : avec la diminution des recettes provenant de l’exportation des matières premières, les gouvernements africains avaient du mal à financer les investissements et à rembourser leurs dettes. Parallèlement, la baisse du niveau des liquidités détenues par les banques conduit à la restriction du crédit. Par conséquent, à partir de 2015 plusieurs États africains étaient confrontés au ralentissement de leurs économies.

C’est la raison pour laquelle ce groupe de pays suivent avec attention la dynamique des marchés de matières premières. Plusieurs études ont montré que les indicateurs de performance économique des pays exportateurs de matières premières ont tendance à évoluer en fonction des cycles de prix de matières premières (Davis et al., 2001; Davis and Fedelino, 2003; Mboweni, 2007). En principe, ces indicateurs s’améliorent lors des cycles de hausses et affichent une tendance inverse dans le cas de courbe négative.

Partant de cette réalité, nous considérons que les cycles économiques dépendent des marchés de matières premières. Puisque la plupart des pays sub-sahariens ont des marchés financiers sous-développés, le secteur banquier joue ici un rôle clé. Et comme les entrées des capitaux grâce aux exportations des matières premières stimulent le crédit, le cycle du crédit est très lié à la conjoncture sur les marchés de matières premières. Par exemple, une tendance à la hausse dans ce segment augmentera les recettes à l’exportation des pays subsahariens d’Afrique. Ce facteur provoquera la flambée du crédit où les banques seront plus à l’aise à accorder des crédits (Masson, 2014). Ce processus augmentera le volume des liquidités dans l’économie.

À l’inverse, la tendance à la baisse peut provoquer des chocs économiques. En particulier, la baisse dramatique des prix des matières premières réduit les recettes à l’exportation des pays concernés. Par conséquent, leur capacité de rembourser leurs dettes est considérablement réduite. À terme, cela provoque une détérioration des bilans bancaires ; les banques sont plus réticentes à accorder des crédits. La politique d’austérité que l’État est obligé de mener pour faire face à la baisse des recettes à l’exportation aura un impact négatif sur la croissance et fragilisera le secteur bancaire, avec la détérioration des bilans des banques. Enfin, suite à la diminution des recettes à l’exportation les opérateurs économiques sont contraints à retirer des liquidités de leurs banques, ce qui provoque aussi la baisse du volume des liquidités détenues par les banques, circulant sur le marché en général et la contraction du crédit. Les ratios prudentiels se détériorent et les mécanismes de régulation et de supervision sont perturbés. Ainsi, le Gouverneur de la banque de réserve sud-africaine Tito Mboweni a souligné l’impact de la flambée et de la chute des cours des produits de base sur le marché du crédit sud-africain avec la crise qui s’est manifestée par la suite (Mboweni, 2007). Ce phénomène s’est aussi produit, par le passé, au Mali et au Burkina Faso : la chute des prix du coton (la base de leurs exportations) en 1985 a provoqué une crise bancaire à la fin des années 1980 et au début des années 1990.

D’un point de vue théorique, le marché des matières premières peut avoir un impact sur le cycle de crédit à travers des mécanismes diverses. Par exemple, Hyman P. Minsky (1964) examine l’impact des facteurs financiers et monétaires sur les cycles économiques, tandis que Paul Masson (2014) souligne le rapport asymétrique entre le marché des matières premières et les ratios prudentiels. Une série d’études se sont intéressés au rapport entre crédit et marchés de matières premières et son impact sur la croissance économique. Mendoza (1995) a démontré que les effets des chocs commerciaux ont un impact fort sur la variabilité de la croissance du PIB des pays exportateurs des matières premières. Par conséquent, les termes des échanges jouent un rôle central dans la propagation des crises financiers et bancaires. Parallèlement à Mendoza (1995), Gourinchas et al. (2001) ont étudié les facteurs contribuant à la flambé du crédit dans les économies développées. Ils affirment que le ratio de la balance des opérations courantes par rapport au PIB est le facteur principal des « booms du crédit ».

Afin d’illustrer le rapport très fort entre le marché des matières premières et le cycle du crédit, nous avons choisi trois États subsahariens de l’Afrique, dont chacun exporte un produit spécifique : le Niger (uranium), la Côte d’Ivoire (cacao, café) et le Burkina Faso (coton). Cette étude a permis d’arriver à deux conclusions intéressantes. Premièrement, la corrélation entre le cycle du crédit et la matière première respective et plus élevé dans les périodes d’instabilité financière, surtout pendant les périodes 1985- 1990, 1994-2000 et 2008-2011. Deuxièmement, nous avons observé que ces trois épisodes d’interaction élevé sont suivis de dépressions. Ce résultat suggère qu’un pic anormal est un indicateur d’instabilité financière dans l’avenir. Ce résultat explique les conclusions théoriques de Mendoza and Terrones (2008) et de Gourinchas et al. (2001). Donc, une forte hausse des prix des matières premières peut être considéré comme signe précoce d’une crise de crédit à moyen terme.

Nécessité de diversification

Par conséquent, il est recommandé aux États sub-sahariens de l’Afrique de diversifier leurs industries qui travaillent à l’exportation. Les décideurs politiques doivent repenser leurs politiques de développement et leurs stratégies industrielles, définir des politiques long terme visant à consacrer les recettes supplémentaires obtenus lors de la hausse des prix sur les marchés des matières premières au développement des institutions, des infrastructures et la lutte contre la corruption afin d’attirer les investissements étrangers directs. Ils peuvent aussi décider de créer des fonds souverains, comme au Chili, pour mieux gérer les recettes d’exportation et mener des politiques budgétaires plus stables. Par ailleurs, ils doivent développer leurs marchés financiers pour pouvoir adopter des stratégies plus appropriées contre la fluctuation des marchés de matières premières.

Zied Ftiti

Sandrine Kablan

Khaled Guesmi

Références bibliographiques

Davis, J., Ossowski, R., Daniel, J., & Barnett, S. (2001, April). Stabilization and savings funds for non-renewable resources: Experience and fiscal policy implications. IMF Occasional Paper (No. 205), International Monetary Fund, Washington, DC.

Davis, J., Ossowski, R., & Fedelino, A. (Eds.) (2003). Fiscal policy formulation and implementation in oil-producing countries. Washington DC: International Monetary Fund.

Gourinchas, P. O., Valdes, R. O., & Landerretche, O. (2001). Lending booms: Latin America and the world. Economia, 1, 47-99.

International Monetary Fund. (2012). World Economic Outlook. Washington, DC: International Monetary Fund.

Masson, P. (2014). Macroprudential policies, commodity prices and capital inflows. Bank of International Settlements Papers, No. 76.

Mboweni, T. T. (2007). The commodity price boom and the South African economy. Address by Mr. T. T. Mboweni, Governor of the South African Reserve Bank, at the Regional Business Achievers Awards Dinner of the Businesswomen’s Association, Pretoria, June 27.

Mendoza, E. G., & Terrones, M. E. (2008). An anatomy of credit booms: Evidence from macro aggregates and micro data. NBER Working Paper Number 14049, Cambridge, UK.

Minsky, H.P (1964). Longer waves in financial relations: Financial factors in the more severe depressions. American Economic Review, 54, 324-335.

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