La Tunisie et la crise de l’eau : une tarification incitative pour maîtriser une demande galopante

Tunisie
Partager  
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur email
Partager sur print

Le développement durable ou soutenable, initialement introduit par le rapport de Brundtland (1997) au Sommet de la Terre, est défini comme un développement qui s’efforce de répondre aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. La gestion et la maîtrise des ressources en eau constituent des enjeux politiques et stratégiques extrêmement importants pour la croissance et le développement de toutes les nations. Selon les projections de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), les deux tiers de la population mondiale vont être en situation de stress ou de contrainte hydrique d’ici à 2025 ; les besoins ont augmenté deux fois plus vite que la population mondiale qui, elle, va s’accroitre de 60 % d’ici au milieu du siècle prochain. L’offre limitée est donc sur le point de ne plus satisfaire la demande. Ainsi, l’eau peut être un motif de guerre comme de paix.

Un enjeu de développement

En septembre 2000, l’ONU fixe les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) en insistant très clairement sur la problématique de l’accès à l’eau. L’objectif est de réduire de moitié, d’ici à 2015, le pourcentage de la population qui n’a pas accès de façon durable à un approvisionnement en eau de boisson salubre et à des services d’assainissement de base. Spatialement, l’eau est répartie d’une manière très inégale sur la planète. Seulement six pays tels que le Brésil, la Russie, le Canada, l’Indonésie, la Chine et la Colombie, accaparent la moitié de réserve mondiale d’eau potable. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (région MENA), l’eau est devenue un facteur déterminant de développement. En effet, dans cette région, le taux de croissance démographique est des plus élevés dans le monde (estimé à 2,8 %). Selon le PNUD (1998), le taux global de croissance urbaine des pays en voie de développement est estimé à 2,9 % pour la période de 1995 à 2015. Ce taux dans les pays de la région MENA est estimé à 3,2 %.

En revanche, les ressources en eau douce renouvelables qui devraient satisfaire les besoins vitaux ont chuté d’une moyenne de 3 000 m3 par an par habitant en 1960 à 1000 m3 par an par habitant en 1996. Elles devraient atteindre le niveau de pénurie le plus grave en 2025 soit 700 m3 par an et par habitant. Dans la région MENA, plusieurs pays se trouvent en dessous du seuil de 500 m3 /an/habitant. Parmi ces pays on trouve la Tunisie avec une dotation en eau douce renouvelable de 434 m3/an/habitant, la Jordanie avec une dotation de 148 m3/an/habitant, et le Yémen avec une dotation en eau douce de 241 m30/an/habitant. Au-dessous du seuil de 1 000 m3/an/habitant, les pays souffrent vraisemblablement d’une pénurie d’eau assez grave.

La politique hydrologique actuelle, qui est basée sur l’augmentation de l’offre de l’eau pour répondre à la demande croissante, s’est soldée par un échec. Dès lors, une réflexion s’est développée dans toutes les disciplines scientifiques afin de résoudre le problème de gestion durable de l’eau.

En Tunisie, en raison de la rareté des ressources en eau, l’offre devient incapable de satisfaire la demande galopante. Cette rareté, liée à un déficit de pluviométrie, est accentuée par une croissance rapide de la demande suite au développement économique, urbain et démographique que connait le pays depuis son indépendance en 1956. Dans ce contexte, plusieurs solutions apparaissent. Cependant, le recours à d’autres ressources, tels que le dessalement de l’eau de mer et l’épuration des eaux est limité. En effet, ces ressources non-conventionnelles se caractérisent par un coût de mobilisation plus élevé que les ressources naturelles habituelles. L’économie Tunisienne qui est encore émergente, pourrait donc être handicapée par les conséquences négatives de cet accroissement brutal du coût de mobilisation et d’approvisionnement en eau.

La maîtrise de la demande

La principale alternative soutenable réside donc dans la maîtrise de la demande. Cette alternative permet de gagner du temps avant le recours à la mobilisation des ressources non conventionnelles. Un des outils de la gestion de la demande en eau est d’ordre économique, c’est celui de la tarification incitative de l’eau potable (en faisant le prix du mètre cube en fonction de la quantité consommée).

En Tunisie, comme dans plusieurs autres pays du sud méditerranéen, la tarification par tranche doit permettre d’atteindre la justice sociale. Les petits consommateurs sont supposés payer moins cher. En revanche, le système tarifaire est utilisé pour dissuader la consommation des gros consommateurs dans une logique d’économie de l’eau. Mais cette politique tarifaire comporte des limites. D’abord, les consommateurs des plus hautes tranches peuvent être incités à se tourner vers des modes d’approvisionnement alternatifs, en raison de la superprogressivité du tarif. Ce qui pourrait nuire à l’équilibre financier de la SONEDE (l’autorité de l’eau en Tunisie).

Ensuite, si on examine le prix moyen de l’eau qui contient les charges fixes, nous constatons que le prix moyen des deux premières tranches ne peut pas être considéré comme un prix social. Les charges fixes augmentent le montant total de la facture trimestrielle et annulent par conséquence les considérations sociales du prix marginal. Par ailleurs, dans un pays comme la Tunisie, les familles pauvres sont souvent des familles nombreuses et peuvent donc être amenées à avoir un niveau de consommation trimestrielle dans les tranches supérieures qui se caractérisent par un prix très élevé destiné à maitrise l’usage excessif. L’insuffisance de ce système de prix pratiqué en Tunisie a motivé les recherches académiques en économie de l’eau.

Les résultats de ces travaux de recherches suggèrent des pistes de réforme du système de prix en vigueur actuellement de manière uniforme à l’échelle du pays. L’alternance des saisons sèches et pluvieuses affecte le comportement des ménages et augmente la sensibilité au prix de la consommation d’eau. Les familles pauvres sont les plus touchés par la progressivité de tarif. Par conséquent, il est indispensable d’élargir la tranche inférieure de consommation en été pour permettre à l’ensemble des familles pauvres de se voir appliquer le tarif le plus bas sur l’ensemble de la consommation. Par ailleurs, ces recherches académiques préconisent une tarification saisonnière de l’eau propre aux périodes sèches et chaudes pour les consommateurs de tranches supérieurs.

Au niveau régional, la demande d’eau résidentielle en Tunisie est relativement sensible au prix pour les consommateurs des plus hautes tranches situés dans les régions caractérisées par un certain dynamisme économique. Il est donc recommandé d’axer la gestion de la demande d’eau en Tunisie sur un système tarifaire décentralisé pour maitriser la demande galopante.

Younes Ben Zaied*

*Younes Ben Zaied est l’auteur de nombreuses publications dans les domaines de l’économie de l’eau et la gestion de la demande par le tarif incitatif. Ses articles de recherches académiques sont apparus dans des revues anglaises et apportent des contributions à la recherche académique en économie de l’eau et des ressources naturelles.

Partager
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur email
Partager sur print
Dans la même catégorie
veille & Analyse

S'inscrire à la Newsletter

Inscrivez-vous à notre newsletter pour ne rien manquer aux actualités de la plateforme, ses nouveaux
articles, ses prochains événements, ses informations inédites et ses prochains projets.

Commentaires

Pour réagir à cet article, vous devez être connecté

Vous n’avez pas de compte ? > S’INSCRIRE

Laisser un commentaire