Article paru dans Energies Africaines
Bâtir les économies africaines sur les énergies renouvelables s’avèrerait compétitif par rapport à d’autres solutions, favoriserait les économies d’échelle et offrirait des avantages considérables en termes de développement équitable, de création de valeur à l’échelle locale, de sécurité énergétique et de viabilité environnementale. Mais cette transformation sans précédent ne se fera pas d’elle-même.
Le moment idéal pour développer les EnR
Investir dans les énergies renouvelables en Afrique est économiquement rentable dans une équation globale intégrant la préservation de l’environnement, l’inclusion sociale et éthique des populations, avec une vision à long terme des investissements principalement en partenariat public/privé. Grâce à son vaste potentiel solaire et hydroélectrique, complété par les ressources bioénergétiques, éoliennes, géothermiques et marines dans certaines régions, l’Afrique peut adopter directement des sources d’énergie renouvelable modernes. D’autant que les technologies évoluent rapidement et rendent les énergies renouvelables de plus en plus compétitives : ainsi, ces deux dernières années le prix moyen des modules photovoltaïques a baissé de plus de 60%, passant sous la barre de 1 dollar par watt.
Les technologies à base d’énergies renouvelables représentent aujourd’hui la solution la plus économique pour l’électrification hors réseau ou via des mini-réseaux de zones isolées qui peuvent être, dans un second temps, connectées au réseau continental. Les gouvernements africains plébiscitent les énergies renouvelables pour alimenter la croissance durable de leurs économies. De nombreuses déclarations ministérielles récentes témoignent du fort engagement politique et de la vision à long terme des décideurs africains, qui se traduisent par la mise en place d’institutions dédiées aux énergies renouvelables et de plans spécifiques aux niveaux régional et national. Les ressources renouvelables sont abondantes, la demande est en hausse, les coûts technologiques sont en baisse et la volonté politique n’a jamais été aussi forte. C’est le moment idéal pour développer rapidement les énergies renouvelables en Afrique.
Une rentabilité différée
Si l’on analyse l’ensemble du renouvelable en Afrique, il affiche un bilan positif impressionnant. Mais son développement rapide se heurte à la compétitivité des projets d’énergies renouvelables. En effet, les EnR sont souvent perçues comme trop coûteuses, en raison notamment de coûts d’investissement élevés. Pour- tant, elles sont déjà compétitives en réseau isolé et elles ont atteint, dans bien des cas, sur le réseau, la parité avec le coût moyen de production électrique. C’est le cas pour les énergies de stockage comme l’hydroélectricité et la géothermie, mais également pour les énergies intermittentes comme l’éolien et le solaire. Les EnR se caractérisent par une structure de coûts très capitalistique : les coûts de développement (liés notamment à l’évaluation de la ressource) et d’investissement sont importants, alors que les coûts d’exploitation sont très faibles. La rentabilité de ces projets s’en trouve donc différée. L’évaluation de leur intérêt économique par rapport aux énergies fossiles doit se faire sur une période longue (15 à 20 ans) et selon des critères adéquats : coût moyen de production actualisé du kWh pour les projets hydroélectriques ou géothermiques.
Un signal politique fort
Pour faciliter l’émergence de tels projets, les pays d’Afrique doivent tout d’abord prendre conscience du potentiel, de la compétitivité et des avantages des EnR. Il faut aussi qu’ils se dotent d’une réelle planification en amont, intégrant les EnR dans leur plan directeur. La plupart des pays d’Afrique se sont fixé des objectifs de taux de pénétration des EnR dans leur mix énergétique à horizon 10 ou 15 ans. C’est un signal politique fort, mais insuffisant : les objectifs doivent être traduits en capacité de production et aboutir à la sélection de premiers projets et de sites prioritaires à développer. La planification doit intégrer aussi les contraintes techniques liées à l’injection d’énergies intermittentes (éolien, solaire) sur le réseau. Elle sera d’autant plus pertinente qu’elle s’appuiera sur une cartographie des énergies renouvelables permettant de déterminer le potentiel du pays.
Tant au Maghreb que dans le reste de l’Afrique, il y a dorénavant une véritable volonté de planification à moyen terme et de plan à long terme du développement des EnR. Cette planification permet également aux gouvernements de mieux gérer la multiplication d’initiatives privées, et de passer d’une approche par l’offre à une approche par la demande.
Le potentiel des énergies renouvelables en Afrique est énorme
Le potentiel hydroélectrique africain est estimé, par exemple, à 1844 TWh (IRENA, 2012), soit 18 fois la production d’hydroélectricité du continent en 2009. Environ la moitié de ce potentiel est jugé économiquement viable (soit une capacité additionnelle potentielle de 100 GW à 150 GW).Les ressources éoliennes sont elles aussi très importantes et exploitables, même si elles ne sont pas uniformément réparties sur le continent : 87% des ressources de haute qualité sont situées dans les zones côtières de l’est et du sud. La ressource y est l’une des meilleures au monde.La ressource solaire est abondante en Afrique et elle est mieux répartie sur l’ensemble du continent. Soutenu par des politiques publiques adéquates et par la réduction continue des coûts de production, le solaire photovoltaïque pourrait jouer un rôle très important dans l’approvisionnement énergétique de l’Afrique d’ici 2030, avec des estimations comprises entre 15 GW et 62 GW (EREC/Greenpeace, 2010). Enfin, l’énergie géothermique est aussi prometteuse, avec un potentiel estimé entre 7 GW et 15 GW (AU- RGP, 2010), mais cette ressource reste limitée pour l’essentiel aux pays de la Vallée du Rift (Afrique de l’Est). Ces immenses potentiels sont encore largement inexploités.
Les priorités à 5-7 ans
L’expérience empirique ainsi que les évaluations de projets renouvelables réalisées par l’AFREPREN/FWD (Energy, Environment and Development Network for Africa, une ONG basée à Nairobi) au cours des vingt dernières années nous amènent à suggérer les priorités à moyen terme (5-7 ans) qui viennent :
- Pour les grands projets énergétiques (au-dessus de 50 MW), privilégier les énergies renouvelables qui sont clairement compétitives, principalement solaire et éolien.
- Pour les applications énergétiques de taille moyenne (en dessous de 50 MW), promouvoir des énergies renouvelables à des activités créatrices de revenus et de valeur ajoutée dans les secteurs industriel, agroalimentaire ou forestier, avec la cogénération.
- Pour les applications de petite taille (inférieur à 5 MW), développer l’offre des chauffe-eau solaires, des pompes à eau éoliennes, du solaire photovoltaïque (écoles, hôpitaux, institutions rurales isolées, tourisme durable, etc.).
- Enfin, au niveau domestique (de l’ordre de 1 KW), privilégier les renouvelables non électriques comme le biocombustible.
Réunir les conditions d’un vaste développement africain des ENR
Les gouvernements doivent mettre en place les mécanismes nécessaires pour encourager les investissements privés dans le secteur énergétique africain. La simplification et la standardisation des procédures jouent un rôle important dans le succès des politiques publiques afin de promouvoir un environnement propice aux activités commerciales. Dans le secteur énergétique, l’amélioration des structures de gouvernance, de la performance opérationnelle, de la viabilité financière des compagnies nationales ainsi que l’accès au marché financier d’investissements étrangers sécurisé sont un préalable important au déploiement à grande échelle des énergies renouvelables.
Soutenir l’entrepreneuriat local
Les entrepreneurs locaux seront essentiels pour assurer l’accès à l’électricité et à des combustibles et technologies propres de tous les habitants des pays africains d’ici 2030. Ils contribuent déjà à satisfaire la demande urbaine et rurale en produits et services énergétiques. Les entreprises et entrepreneurs phare des énergies renouvelables doivent être encouragés par les gouvernements, et leurs modèles d’entreprise soutenus et reproduits. Les marchés potentiels sont énormes. Par exemple, les appareils de chauffage solaire domestiques et les panneaux solaires photovoltaïques peuvent améliorer les services énergétiques fournis à des millions de clients africains.
Intégrer les réseaux
Le renforcement de l’intégration des réseaux et des marchés régionaux permet de favoriser les économies d’échelle et de raccorder les sources d’énergie renouvelables abondantes et bon marché aux pôles de croissance urbains. Un marché de l’électricité pleinement intégré peut faire économiser aux pays africains plusieurs milliards de dollars en termes de coûts annuels d’exploitation et de développement de réseaux électriques. La planification régionale, l’harmonisation des normes et procédures, des conditions commerciales équitables et la coordination des pools énergétiques sont indispensables à la réussite de l’intégration régionale.
Garantir l’accès universel
Les solutions hors réseau ont une importance particulière en Afrique et nécessitent des politiques publiques spécifiques ainsi que des mécanismes financiers innovants pour accélérer leur déploiement. Bien qu’elles ne représentent qu’une faible partie de la demande totale, les solutions hors réseau permettent le développement des usages productifs et augmentent les revenus des ménages. Elles sont fondamentales pour garantir l’accès universel à l’énergie en 2030 et améliorer les conditions de vie de millions d’Africains vivant dans des zones rurales.
Mobiliser les capitaux locaux
En plus des investisseurs étrangers, la disponibilité de sources de financement locales est déterminante dans l’émergence des marchés locaux. Les banques commerciales et les intermédiaires financiers doivent être mieux informés en matière de technologies renouvelables et de profil des projets. Le financement public, à travers les gouvernements africains et/ou les banques de développement internationales ou régionales, peut réduire la perception du risque financier des banques commerciales.
Jean-Claude Fontanive