Un livre important vient d’être publié par Pierre Caye, philosophe et Directeur du Centre Jean Pépin du CNRS, sous le titre de « Durer ». Cet ouvrage reprend une réflexion en profondeur du concept de développement durable, en mettant l’accent sur le terme de durable. Il a souvent été dit que durable est une mauvaise traduction de sustainable, mais à lire « Durer », on comprend que ce sont là deux points de vue différents et que durable est sans doute un terme plus adéquat. L’expression « Sustainable development » devient un oxymore, lorsque development est pris dans le sens de croissance. Or il est clair qu’une croissance continue ne peut pas être durable.
Pierre Caye prend la notion de développement dans un sens différent. Il s’agit pour lui de construire un patrimoine culturel et matériel. Ceci lui permet de définir une voie intermédiaire entre un productivisme qui mise sur une croissance perpétuelle et une collapsologie qui n’envisage l’avenir qu’en termes de décroissance.
Il s’agit dès lors de définir les règles de fonctionnement d’une société capable de se maintenir dans la durée, en se réappropriant les notions de patrimoine et de transmission.
Une économie durable est incompatible avec le court-termisme qui résulte de l’agenda néo-libéral. La politique néolibérale substitue une politique de flux à une politique de stocks. Il en résulte un manque d’anticipation et un abandon du contrôle par la collectivité des grandes infrastructures (réseaux électriques, gaziers, ferroviaires, autoroutes).
Le rôle de la technique doit être revu. Elle doit cesser d’obéir au principe de la « destruction créatrice » qu’avait introduit Schumpeter. Il faut au contraire veiller à la continuité des options qui sont retenues et faire de la technique une « arche » protégeant l’humanité des aléas de l’existence.
L’architecture capable de concevoir des bâtiments durables et de créer une ville harmonieuse représente l’exemple même d’une telle technique au service de la collectivité. Les NTIC ont un rôle à jouer, mais sont souvent employées à dissimuler des défauts de structure. Une smart city n’est pas nécessairement une ville durable.
Construire un patrimoine durable qui puisse être transmis aux générations futures demande un surcroît de travail. Ainsi, dans le cas de l’agriculture, des techniques agricoles de type permaculture nécessitent beaucoup de main-d’œuvre. Il est donc tout à fait pertinent, en raison du bien-être apporté à la collectivité et afin de préserver les écosystèmes, d’envisager un revenu rétributif qui ne présente pas les inconvénients d’un revenu universel de nature à élargir le fossé entre une minorité dirigeante et une masse désœuvrée.
La gouvernance souvent prônée à l’heure actuelle, marquée par l’oubli du passé et l’absence de vision d’avenir, exclut la durée. La véritable souveraineté politique manifeste la différence entre la gestion quotidienne et la réponse à apporter à des situations critiques. Sans supprimer la gouvernance, la souveraineté doit la compléter.
L’ouvrage de Pierre Caye nous invite ainsi à repenser en profondeur les concepts de fond qui servent à guider les décisions publiques, en dépassant les clivages stériles dont la multiplication ne fait qu’accroître l’entropie du système économique et social.
Pierre Caye