La ville est-elle encore l’avenir de l’homme ?

Henry Chabert la ville est-elle encore l'avenir de l'homme arbre de vie
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Introduction au concept de ville

La ville une invention de l’homme

C’est seulement à partir de 9 000 ans avant Jésus-Christ environ que naissent les premiers établissements sédentarisés que l’on peut appeler cité ou ville connus. Avant et durant les dernières périodes de leur évolution, au moins pour ce que l’on en sait, les hommes étaient des « nomades » pratiquant la cueillette et la chasse. Ils s’abritaient vraisemblablement dans des «campements» de tentes regroupant sans doute de l’ordre d’une cinquantaine de personnes, prémices d’une vie partagée. Comme Chauvet, Lascaux et bien d’autres sites l’ont démontré, ils n’en n’avaient pas moins pour autant développé une forme supérieure de partage, de rites et d’expression dont témoigne l’art des cavernes.

En revanche, les fouilles ont révélé l’existence en Mésopotamie de plus de 40 cités crées avant 3000 avant J - C., dont la plus ancienne est Jéricho, les plus influentes Uruk, la patrie de l’écriture, ou Ur la patrie d’Abraham.

Leur taille était déjà impressionnante: 50000h à Uruk en -2800; 100000h à Ur en – 2100. La caractéristique de la ville mésopotamienne est déjà celle d’une cité abritée derrière des remparts organisant en son centre la vie sociale. Il y a la ville et le reste : urbi et orbi. La ville apparaît donc dès le départ comme le support d’une relation sociale spécifique entre les membres d’une communauté qui décident de se rassembler, de vivre ensemble, de partager leur destinée en se partageant un territoire clairement identifié. Comme n’importe quel animal, l’homme se nourrit, s’adapte à son environnement, s’abrite, se défend en tribu ou en meute, mais lorsqu’il se nourrit, il invente la cuisine, lorsqu’il s’habille, il invente la mode, lorsqu’il s’abrite, se rassemble, se défend, il invente la ville, l’architecture, le patrimoine («Dieu a fait la campagne et l’homme a fait la ville », William Cowper).

Vers une urbanisation croissante

Depuis leur création les villes n’ont cessé de croitre, bouleversant nos modes de vie, notre relation à la nature, notre accès au savoir, nos liens sociaux, dans une forme d’accélération ces dernières décennies sans précédent. Songeons qu’en un siècle la population mondiale est passée de 1,5 milliard d’individus en 1900, à 6 milliards en 2000. Mais ce qui est encore un facteur d’évolution plus important, c’est qu’en 1900 seulement 1 homme sur 10 était urbain, contre 1 sur 2 aujourd’hui.

Le nombre des citadins multiplié par 20 en un siècle.

150 millions de citadins en 1900, 3 milliards aujourd’hui et sans doute 5 milliards en 2030. De nombreuses villes dans le monde sont aujourd’hui des entités politiques, économiques, culturelles, supérieures en population et en puissance à la moyenne des états.

En 1950, 2 mégapoles seulement dépassaient les 10 millions d’habitants : Tokyo et New York. Il y en a 24 aujourd’hui : 4 en Europe dont Paris, 3 en Amérique du Nord, 3 en Amérique latine, 2 en Afrique et 12 en Asie. Tokyo frôle aujourd’hui les 40 millions d’habitants. Mexico, Séoul, New York, Bombay, Manille comptent plus de 20 millions d’habitants. Et pourtant la question de la croissance des villes, de leur devenir, de leur gouvernance est un sujet peu traité. Tout juste en parle-t-on en marge d’une grand-messe sur le climat, ou à travers les approches onusiennes de l’habitat, de la faim dans le monde ou de la santé.

Un écosystème

Or, quels que soient sa taille, sa morphologie, son passé, son économie, l’importance et la composition de sa population, chaque ville a des racines et un avenir. Elle est confrontée à des menaces, mais peut saisir des opportunités. Elle est à la fois inclusive et exclusive. L’histoire des villes est le produit de compromis d’intérêts souvent divergents qui sont inhérents au vivre ensemble. Cela parce que la ville est un système. Un écosystème au sens économique, écologique et social du terme. Elle se meut dans un environnement. Elle est territoire dans un territoire. Elle vit dans un temps donné. Mais son avenir est toujours en grande partie le fruit de son passé. Et les relations qu’entretiennent par ailleurs entre eux ses habitants ne cessent d’en modifier les contours, le positionnement, le message dont elle est porteuse, la richesse qu’elle est capable de produire, ou les difficultés auxquelles elle se heurte.

Un écosystème fragile projeté dans l’avenir, nourri de son passé.

En quête de la cité idéale

Quasiment depuis que les villes existent, l’homme rêve de ville idéale. Dès le Ve siècle avant Jésus-Christ, Hippodamos propose déjà la ville en damier, schéma appliqué à Alexandrie, dupliqué systématiquement par les Romains et repris de Chang’An à New York. Thomas More propose une ville circulaire : Utopia, à l’image de l’Atlantide, où tout est conçu pour l’équilibre social des habitants. Pierre Legrand à Saint-Pétersbourg, Haussmann à Paris, Cerda à Barcelone, Ebenezer Howard et ses cités-jardins en Grande-Bretagne, Tony Garnier et sa cité industrielle à Lyon, Lazard Goujon et ses gratte-ciel hygiénistes à Villeurbanne, Le Corbusier et sa cité radieuse à Marseille, proposent des modèles qui tentent d’adapter la morphologie de la ville à la vision sociale qu’ils se font de la vie des habitants.

La charte d’Athènes en 1933 a même été jusqu’à proposer une répartition géographique fonctionnelle de la ville, ce qui se traduira par l’erreur fondamentale du zoning et de la rupture avec la mixité des hommes et des fonctions inhérente à la ville. Aujourd’hui encore les utopies tentent de se traduire dans la réalité. Les éco-quartiers (Fribourg et maintenant un peu partout en France), les villes modèles comme Akademia en Russie, ou Dongtan en Chine, en témoignent. En réalité, parce qu’elle est un système pour lequel tous les éléments qui le composent interfèrent les uns avec les autres, la ville ne peut se réduire ni à ses fonctions, ni à sa forme. Ce qui la caractérise dépasse les approches fonctionnelles, urbanistiques, architecturales, même si chacun de ces éléments en constitue une partie.

C’est dans l’’harmonie des composantes de la vie formelle, économique, sociale, intellectuelle et culturelle de ses citoyens que se jouent les enjeux d’une ville pertinente.

La ville projet : la ville politique

Quelle meilleure manière pour tenter une réflexion sur la ville et son concept que de revenir à l’étymologie même du mot politique polis, qui signifie cité ? Pour Aristote, la cité est un groupe de personnes libres réunies par choix de vie commune. La formule implique donc un territoire et une assemblée de citoyens qui doivent s’organiser pour vivre ensemble. La politique de la ville nécessite une vision globale qui prend en compte l’ensemble des besoins et des aspirations de ceux qui y vivent, par choix, par filiation ou par obligation.

L’application des enseignements de l’arbre de vie au fonctionnement de la ville nous fournit une clef d’analyse, de compréhension et d’appréhension des composantes de l’action. Du territoire, de l’environnement (Malkut) qui doit être respecté à la cité idéale à laquelle on aspire (Kéther), toutes les fonctions doivent être non seulement remplies, mais fonctionner en synergie : du plan matériel que représentent l’urbanisme, l’habitat, les infrastructures, au plan économique et social de la production et du partage, au plan intellectuel et spirituel qui fait référence à la formation, la recherche et la création, chaque élément du système doit alimenter, dynamiser, promouvoir les autres composantes du tout. Quant à la gouvernance qui repose sur l’assemblée et un leader, elle se situe aux interférences de ces fonctions dans un positionnement qui doit privilégier le réseau à la hiérarchie.

L’approche de l’Arbre de Vie appliqué au fonctionnement de la Ville :

Les enjeux de la ville d’aujourd’hui et de demain

Respecter l’environnement

Le respect de leur environnement et des conditions de leur survie doit être une préoccupation majeure des villes. Pour cela, elles doivent traiter les questions qui les concernent aux bonnes échelles. La pollution, la maîtrise de l’énergie, la qualité de l’approvisionnement en eau n’ont pas de frontières.

Il n’est pas impossible conformément aux théories développées par de nombreux chercheurs aujourd’hui que la prochaine révolution concerne la capacité de nos sociétés, et donc de nos villes, à générer leurs propres énergies durables dès lors que le Peak Oil, c’est-à-dire le seuil correspondant à la moitié des énergies fossiles disponibles, semble d’ores et déjà dépassé.

Une révolution fondée sur le couple nouvelles énergies/nouvelles technologies peut redonner aux villes de nouvelles perspectives.

Les villes ont donc une responsabilité capitale quant à la prise en compte de leur gestion des services urbains : eau, énergie, traitement des déchets, entre autres. C’est ce qu’a tenté d’introduire en France le Grenelle de l’environnement et les Agendas 21 pris malheureusement trop souvent à la légère par les collectivités locales. La question de la densité et de la lutte contre l’étalement urbain est également fondamentale. Elle s’oppose au rêve de la maisonnette avec jardin, auquel beaucoup de citoyens aspirent. Elle nécessite que soient repensées la relation de la ville à la nature et la présence de la nature dans la ville.

Un territoire actif, puissant et solidaire

Les territoires à une échelle pertinente ont tous vocation à s’équilibrer sur le plan économique (territoire à économie positive, comme certaines maisons le sont) en favorisant la création de richesses, condition de toute redistribution.

Il est nécessaire pour cela de fonder une démarche économique sur une vision et des objectifs qui permettent à chaque acteur de trouver « sa place », des plus dynamiques aux plus éprouvés. Certaines activités produisent beaucoup de valeur ajoutée, mais peu d’emplois. C’est le contraire pour d’autres. A la gouvernance de tenter l’équilibre.Il est capital que chaque citoyen trouve sa « place » dans la ville. L’intégration et l’inclusion doivent se faire dans la tolérance qui n’est pas le laxisme, et dans la fraternité généreuse qui n’est pas l’angélisme.

Trois enjeux majeurs sont devant nous :

  • Maintenir le lien social et éviter le communautarisme.
  • Réfréner la violence.
  • Adapter la ville au vieillissement de la population.

A la recherche de l’excellence

La ville est par essence un lieu de transmission du savoir, un foyer d’échange des connaissances. La culture de l’excellence, dans ces domaines, est souvent la marque de fabrique d’une cité et un facteur essentiel d’attractivité, à condition naturellement que la fuite des cerveaux ne l’appauvrisse pas. Elle doit promouvoir les énergies en repérant les «locomotives» et en créant les conditions de l’épanouissement des talents. Elle doit éviter que le progrès ne creuse les inégalités (fracture numérique).

Elle doit en permanence, elle même, s’adapter aux nouvelles technologies : la révolution numérique est le deuxième facteur (avec l’énergie) du changement profond qui bouleversera nos équipes actuelles.

La matière grise est le moteur de l’adaptation et de la transformation positive de nos cités.

Elle doit anticiper les changements car, même s’il s’accélère prodigieusement, le temps de l’urbanisme est un temps assez long, d’autant plus long que les moyens sont limités. Les nouvelles technologies, en revanche, offrent la possibilité aux villes des pays en développement de sauter une étape. Imaginons sans la révolution des télécommunications ce qu’aurait été l’équipement en lignes téléphoniques façon câbles, de l’Asie, de l’Afrique et de L’Amérique latine, si tant est que la matière première ait existé en quantité suffisante !

Une ville sensible et belle

La ville doit être enfin un foyer permanent de culture et toute approche de la ville qui ne serait que fonctionnelle en oubliant sa dimension culturelle ferait l’impasse sur sa vocation civilisatrice. Or, c’est par cette dimension que peuvent être renvoyés à tous ceux qui y vivent ou qui la fréquentent, l’image de leur rêve, les valeurs auxquelles ils sont attachés, les interrogations et les inquiétudes de leur temps. C’est pourquoi l’art ne doit pas être seulement confiné dans les musées, mais doit innerver la ville.

La gouvernance doit mobiliser et libérer les énergies aux bonnes échelles d’espace et de temps.

La ville, en effet, a besoin des artisans, des ingénieurs, des entrepreneurs, des enseignants pour la faire fonctionner. Mais elle a autant besoin de philanthropes, de philosophes et d’artistes pour lui donner le supplément d’âme et les dimensions sensibles et spirituelles qui lui fournissent les signes de son humanité et lui donnent du sens. La culture donne le sens de ces évolutions. Elle doit veiller à conserver sa personnalité et à ne pas céder à la standardisation de la mondialisation. Cette personnalité se construit sur les fondements de son passé et de ses gènes culturels. La « modernité » se nourrit des racines du passé.

Une gouvernance éclairée

L’ensemble de la mise en œuvre de ces politiques et de leur coordination dépend de la capacité de ses représentants à mobiliser les énergies et à effectuer les bons choix stratégiques. La qualité des institutions représentatives est donc essentielle, comme doit l’être la capacité du responsable élu ou désigné (primat, maire, gouverneur…) à exercer ses fonctions dans le respect de chacun et dans l’intérêt général de tous.

La planification stratégique, la rationalisation, les choix budgétaires et la concertation stratégique et opérationnelle (Community planning) sont les outils principaux de sa gouvernance. La révolution numérique, aussi importante que l’ont été dans le passé la création de l’écriture pour conceptualiser les idées, ou l’invention de l’imprimerie pour diffuser le savoir, doit être intégrée dans le quotidien de la gestion des villes, à la fois par les acteurs économiques qui y trouvent leur compte et par la gouvernance qui doit à la fois orienter les investissements, veiller à ce que chacun en bénéficie et que cela se fasse dans le respect des libertés.

Conclusion

Ce n’est ni leur taille ni leur forme qui déterminent la capacité des villes à répondre au besoin de leurs citoyens, mais leur aptitude à réaliser un développement harmonieux entre les différentes fonctions qu’elles doivent assumer. Une gouvernance éclairée est essentielle. Qu’on le veuille ou pas, la qualité de notre avenir est urbain, au point de suture de nos racines et de notre capacité créative. Cette gouvernance doit utiliser pour cela les trois clés de l’équilibre :

  • C comme la clef de la Culture du respect du passé et des racines,
  • C comme la clef de la Communication, c’est-à-dire des échanges entre les citoyens en réseau,
  • C comme la clef de la Création, c’est-à-dire de la capacité à s’adapter, à innover, à laisser sa propre marque enrichissante et patrimoniale au temps qui passe.

Henry Chabert

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