Sans conteste, l’Afrique constitue l’une des plus grandes réserves de diamants au monde. Au-delà de l’Australie, du Canada ou de la Russie, le secteur international de la finance sait que la République Démocratique du Congo, le Botswana, et l’Afrique du Sud détiennent à eux trois, dans leur sol, des centaines de millions de carats. A ces trois pays phares s’ajoutent la Sierra Leone, le Lesotho, l’Angola, la Namibie ou encore le Ghana et le Zimbabwe. Malheureusement, par déni ou non, tous ces pays ignorent que leur sol, si riche dans le temps, ne vaudra presque plus rien demain si rien est fait aujourd’hui pour le sauver. Explications.
Une telle richesse aurait du mettre depuis longtemps ces pays à l’abri du besoin. Oui, mais voilà, les communautés minières sont bien loin de profiter des richesses de leurs sous-sols, et encore moins les pays qui les abritent. Très clairement, le secteur du diamant se caractérise par son opacité et par des fuites importantes de sommes d’argent. Des centaines de millions US$ issus de la production de ces précieux minéraux sont détournés chaque année via des montages financiers. Certains criminologues parlent même de 2 milliards US$ de pierres brutes commercialisées sous le manteau pour terminer, taillées, dans les plus belles joailleries du monde.
Les écarts sont ainsi colossaux entre la valeur des diamants, déclarée ou non, et celle à laquelle les gemmes se vendent sur le marché international. Si l’exploitation licite du diamant n’est pas mauvaise en soi – puisqu’elle devrait contribuer au développement de nombreux pays en souffrance – elle entretient souvent malgré elle ce marché « des diamants de sang » qui financent des conflits armés, parfois certaines cellules terroristes, et empêchent la transparence fiscale et l’institutionnalisation des productions. L’identité des personnes qui contrôlent réellement les entreprises plus ou moins légales dans le secteur du diamant est évidemment connue, mais tenue au secret par une large corruption et précieusement cachée derrière de multiples sociétés anonymes enregistrées dans des paradis fiscaux. Toute cette suspicion autour du diamant ternit évidemment l’image de cette pierre si fascinante. Sa valeur, depuis vingt ans, en souffre et s’effrite au fil des scandales. Rien ne fait pourtant réellement obstacle à ces pratiques.
Si la criminalité autour du diamant continue de sévir, une autre menace contribue plus encore à l’effondrement de la valeur du diamant. De Beers, conglomérat diamantaire sud-africain, maître du marché pendant de longues années, inonde depuis peu toutes les places du monde de « lightbox », ces gemmes synthétiques capables de démocratiser le secteur de la bijouterie. Sortis tout droit de laboratoires, ces « pierres de culture » issues d’un mélange artificiel de carbone et de métaux de transition sous très haute pression et température, ressemblent à s’y méprendre à celles naturelles. La seule différence notoire est son prix, dix fois moins cher qu’un diamant minéral. Officiellement, De Beers se présente comme le chevalier blanc du marché mondial des diamants. Grâce aux pierres synthétiques, le commerce des gemmes se veut plus transparent et respectueux de la nature.
En réalité, loin de ces considérations marketing, l’entreprise sud-africaine a senti le vent tourner. Les conditions de vente moins strictes, suite à un surstock mondial de pierres précieuses, étaient censées pallier le contexte économique difficile de marchés boursiers volatils et de tensions commerciales successives entre les Etats-Unis et la Chine. L’offre et la demande n’étant plus au rendez-vous, De Beers a vite compris qu’il fallait replier de la toile. Les chiffres se sont confirmés en 2019. Le producteur et négociant sud-africain accuse au premier semestre une baisse de 17% de son chiffre d’affaires. Son concurrent russe Alrosa connaît les mêmes difficultés. La pierre synthétique devient alors une alternative stratégique capable tout à la fois de répondre aux attentes des institutions internationales en matière de bonne gouvernance sur le marché mondial des gemmes et de maintenir un chiffre d’affaires, fortement impacté par le surstock mondial de diamants naturels.
Le résultat ne s’est pas fait attendre. Les mines, partout dans le monde, ferment les unes après les autres ou ralentissent leur extraction. Pour les producteurs africains, la situation devient catastrophique. Pour le marché mondial, le prix du diamant naturel s’effondre et son image de valeur refuge explose en éclats. Pire encore, le diamant synthétique est une source inépuisable d’inspirations pour les organisations criminelles qui voient en ce produit un nouvel eldorado du commerce en ligne de contrefaçons crapuleuses.
Un dernier fléau pourrait donner le coup de grâce aux Etats producteurs les plus fragiles. Les conséquences économiques de la pandémie du COVID-19 catalysent la situation plus qu’inquiétante du commerce de pierres précieuses. En mars 2020, la demande de diamants brutes et polis a montré une forte baisse. L’incertitude de février a été suivie de restrictions sévères, voire même de fermetures de frontières et de mesures de quarantaines à travers le monde. Le russe Alrosa, leader mondial de l’extraction de diamants, connaît une chute de sa production de près de 50%. Les exploitants africains subissent évidemment les mêmes effets.
Paradoxalement, le COVID-19 pourrait être aussi une opportunité majeure pour ceux qui savent l’exploiter. Tandis que les bourses mondiales sont en crise et que le baril de pétrole s’effondre à son plus bas niveau, l’or joue plus que jamais son rôle de valeur refuge. Diversifier les placements, notamment vers les métaux précieux, est un excellent moyen d’allier prudence et sécurité. Néanmoins, n’investir que dans l’or, le platine ou l’argent peut créer aussi, à terme, un risque de fluctuation de sa valeur, même si cette dernière reste un bouclier solide face aux épisodes d’aversion au risque. Pour les particuliers ou les entreprises, il conviendrait donc, de rechercher de nouvelles valeurs refuges capables de compenser celles plus traditionnelles. Quant aux Etats, emprunter implique des garanties solides. Les certitudes financières étant aujourd’hui ce qu’elles sont, il convient d’innover.
C’est dans ce contexte précis que le diamant minéral peut encore tirer son épingle du jeu. Tracé, authentifié, classifié, certifié et transformé en une valeur fiduciaire, le diamant naturel devient un nouvel outil de garanties pour les banques centrales et la Banque Africaine de Développement. Contraint par des règles strictes propres aux instruments fiduciaires, la fiducie du diamant deviendrait un instrument polyvalent au service de deux objectifs principaux : sauver d’une part la richesse minière des Etats africains, garante pour partie de leur solvabilité et donc de leur développement, et revaloriser d’autre part le diamant minéral, essentiel au maintien de la transmissibilité de la valeur patrimoniale des bijoux.
Mais plus que tout, la fiducie du diamant deviendrait un réel rempart contre toutes les formes de délits qui desservent la valeur unique du produit naturel, et donc contribuerait au durcissement des lois pénales en la matière et à une lutte plus efficace contre la corruption et le crime organisé. La plaque de diamants naturels, constituant un vrai outil fiduciaire et protégée par les Etats qui imposeraient leur marque d’autorité, deviendrait de fait un enjeu de poids pour l’avenir de l’Afrique. Cet environnement technico-juridique favorable aux pierres précieuses doit amener les Etats africains à revoir leurs objectifs en matière de revalorisation de leurs richesses minières. Dans un tel contexte, les banques centrales et nationales des pays producteurs ont toutes les cartes entre leurs mains pour sauver le diamant minéral et garantir les emprunts, indispensables à la relance de l’économie. Des solutions très concrètes existent. Le projet MoneXdiam en est le plus brillant exemple. La balle est dorénavant dans le camp des institutions bancaires.
Pierre Delval