Les énergies renouvelables au Maroc : un choix discutable ?

Énergies renouvelables
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Le Maroc fut, en novembre 2016, le pays hôte de la COP 22. À la hauteur de l’événement, il affichait et continue de réaliser une stratégie du développement des énergies renouvelables volontariste et très ambitieuse, qui se place bel et bien à une longueur d’avance par rapport à de nombreux pays avancés. Au moment où l’Europe a fixé comme objectif dans le « paquet climat-énergie » de 2008 de porter la part des énergies renouvelables à 20 % du total de l’électricité produite à l’horizon 2020, le Maroc prévoit de la faire passer à 42 %. À l’horizon de 2030, la cible fixée par le Maroc devance encore davantage celle de l’Europe avec une part portée à 52 %, soit 10 points de pourcentage de plus, contre 27 % validés par le Conseil européen en 2014.

Le choix public se dirige vers le solaire et l’éolien pour augmenter la part du renouvelable dans le mix électrique. L’énergie hydroélectrique, menacée par le stress hydrique, devrait voir sa part baissée de 14 % à 12 % entre 2020 et 2030. Tandis que pour le solaire et l’éolien qui représentaient, en 2014, à peine 6,6 % de la production totale de l’électricité, la part conjointe devrait passer à 28 %, à parts égales, en 2020 et à 40 % à l’horizon 2030. L’investissement est colossal et les installations sont de grande taille. Il est évalué à 12,5 milliards de dollars (12 % du PIB) rien que pour atteindre l’objectif de 2020 et les capacités installées par site peuvent aller jusqu’à 200 MW pour le solaire et 300 MW pour l’éolien.

De grandes ambitions

Suite à cette stratégie ambitieuse, la volonté affichée par le Maroc est de réduire sa dépendance énergétique vis à vis de l’extérieur, de fournir une énergie propre respectueuse de l’environnement permettant ainsi d’alléger son empreinte écologique et, à l’occasion, de moderniser le tissu industriel du pays avec de nouveaux secteurs dotés d’une technologie avancée.2 La stratégie du développement des énergies renouvelables ainsi présentée relève donc du simple bon sens. Acceptons cela, le choix du renouvelable implique-t-il forcément d’aller aussi vite et de viser objectifs aussi ambitieux ?

Il importe de signaler d’emblée que l’information dans ce domaine est disparate et partielle pour pouvoir établir une analyse rigoureuse. Néanmoins, les points qui vont être soulevés dans la suite contiennent assez d’éléments pour relativiser les propos quasi-doctrinaux des pro-renouvelables à tout prix au Maroc et ouvrir un débat raisonné sur la question.3

Le développement des ressources renouvelables s’est basé partout dans le monde sur un appui public qui dépasse le seul soutien, en amont, des activités de recherche et développement pour garantir, en aval, la rentabilité de la production électrique provenant des ressources renouvelables. Pour ce faire, les pays ont le choix entre apporter leur garantie d’achat à un prix prédéterminé et supérieur au prix du réseau (feed-in tariff), ou distribuer des certificats verts et mettre en place un marché pour les échanger (Tradable green certificate system en Europe et Renewable portfolio standard aux États-Unis).

Le Maroc a opté, quant à lui, pour un système du prix d’achat garanti sur une longue période. Ce système génère un coût supplémentaire pour la collectivité à chaque unité d’électricité « propre » produite.4 En termes relatifs, le surcoût lié à la production de l’électricité « propre » rapporté au revenu national sera plus élevé au Maroc que dans les pays avancés pour une technologie de production comparable.

Si le soutien en amont peut être justifié, au Maroc, par une volonté publique de créer un tissu industriel innovant autour d’une technologie de pointe porteuse d’une dynamique économique, le surcoût supporté, en aval, par la collectivité laisse certaines questions en suspens. Des questions en lien, notamment, avec la nature de la répartition de cette charge supplémentaire entre les agents économiques : serait-elle facturée aux ménages, au risque d’élargir le champ de la précarité énergétique et de renforcer davantage les inégalités vu le poids plus élevé de l’énergie dans le revenu des plus défavorisés ? Serait-elle imputée aux entreprises au risque de fragiliser leur compétitivité-prix? Serait-elle financée par une nouvelle ligne de dépenses publiques sachant que son effet multiplicateur est théoriquement faible comparativement à ce qui pourrait l’être si les mêmes sommes sont injectées dans des activités moins importatrices, intensives en main d’ouvre et qui s’insèrent bien dans le tissu industriel existant ? Ou à déficit public inchangé, le financement de ces projets se fait au détriment des dépenses sociales5 ? Ce sont des questions cruciales pour lesquelles nous ne disposons pas, aujourd’hui, de réponses claires de la part des pouvoirs publics.

Une stratégie gagnante ?

Par ailleurs, la grande taille des installations en cours et prévues pour la production d’électricité « propre » au Maroc est difficilement justifiable et représente un facteur limitant la portée d’une telle stratégie. D’abord, pour rentabiliser de telles installations, il a fallu négocier des prix d’achat garanti fixe sur une longue période d’environ 25 ans. Dans ce contexte, la baisse tendancielle que connaissent les coûts de production dans l’éolien et le solaire, et qui a conduit d’ailleurs certains pays à réviser à la baisse leur soutien à ces secteurs, ne va pas profiter à l’utilisateur final, d’une part, et risque, d’autre part, de décourager les efforts déployés en recherche et développement dont une partie vise justement à optimiser l’exploitation de ces énergies.

Ensuite, la raison d’être des installations d’une telle taille est la réalisation des économies d’échelle. Certes, l’industrie des énergies renouvelables est intensive en capital fixe, source de rendements d’échelle croissants, mais le caractère intermittent de ces énergies induit une hausse du coût total conjointe à la taille des installations dès lors que les frais d’insertion au réseau et d’adaptation du potentiel de production à la demande sont comptabilisés. Bien que les estimations empiriques de l’évolution du coût total suite à une hausse du taux de pénétration des énergies renouvelables dans le mix électrique soient encore rares, les travaux existants convergent, néanmoins, sur le fait que les coûts d’insertion des énergies intermittentes augmentent avec la capacité de production installée.6 Ils soulignent, tout de même, que ce genre d’estimations n’est pas généralisable et doit être réalisé pour chaque pays séparément, car elles sont fonction de la technologie utilisée, de la capacité d’absorption du réseau en place, de la flexibilité du parc thermique et de l’interconnexion avec les pays voisins.

Un troisième point, en lien avec la taille des installations qui risque de réduire fortement l’effet d’entrainement des investissements en énergies renouvelables sur l’ensemble de l’économie est celui du potentiel limité d’absorption d’une grande frange des entreprises marocaines qui se positionnent en amont de la chaine de valeur. L’ampleur des projets est telle que la capacité de financement et donc d’investissements de ces entreprises est rapidement dépassée. Ces projets vont bénéficier donc à une poignée très restreinte de grandes entreprises marocaines capables de s’associer avec des multinationales. Ainsi, le poids de la production domestique dans le solaire et l’éolien devrait être faible et concentré. Son taux de pénétration est annoncé autour de 30 % pour le solaire. Concernant l’éolien, l’information n’est pas disponible dans la sphère publique. Mais dans les deux cas, l’intégration des acteurs locaux ne semble concerner que les activités de terrassement et construction, mécaniques et des services à faibles valeurs ajoutées et ne vise guère les métiers touchant au cœur de la technologie du renouvelable.

Sur un autre registre, il parait évident que l’argument principal derrière une stratégie d’une telle envergure ne peut être la réduction des émissions polluantes. Le Marocain moyen émet moins que ses voisins de sud de la Méditerranée (45 % de moins qu’un tunisien et 38 % de moins qu’un égyptien) et sa responsabilité historique dans les problèmes environnementaux globaux est non avérée. Par contre, la population est plus fragile face à la dégradation locale de son environnement qui agit directement sur leur état de santé et dérégule leurs modes de production et de vie. Sur ce dernier point précisément, la stratégie de développement des énergies renouvelables telle qu’elle est présentée (visant gros et allant vite) est défaillante. Bref, on aurait du mal à justifier une stratégie d’une telle ampleur, mais si l’objectif, non déclaré, est de garantir les meilleures conditions d’émergence de champions nationaux dans le domaine des énergies renouvelables, capables d’aller conquérir des marchés extérieurs et notamment en Afrique, la logique veut que la socialisation des coûts doit être suivie par une socialisation également des bénéfices. Et si l’objectif, non déclaré encore une fois, est de préparer le pays à pouvoir capter, en utilisant le levier du renouvelable, une partie des financements prévus dans le cadre du fonds vert pour le climat, il reste à démontrer si d’autres investissements ne sont pas plus efficaces économiquement avec des effets socio-environnementaux plus bénéfiques pour le citoyen.

En guise de conclusion, on ne peut être plus d’accord sur le fait que le développement des énergies renouvelables est l’un des leviers majeurs pour relever le défi des changements climatiques et ramener les émissions des gaz à effet de serre sur une trajectoire soutenable. Ces énergies répondent bel et bien aux exigences du concept de développement durable en réconciliant l’écologique avec l’économique et le social dans les pays avancés. Dans les pays en retard de développement, la situation est autre, et les priorités et les défis ne sont pas les mêmes. Le bien-fondé d’une stratégie de développement durable basée sur le soutien aux énergies renouvelables, comme on l’a observé dans le cas du Maroc, y est tributaire de la taille des installations, la connectivité avec les composantes du tissu industriel existant, le degré d’implication en amont de la chaine de valeur, et de l’effet direct sur la pollution locale.

Yasser Yeddir Tamsamani1

1 Les propos défendus dans l’article n’engagent que son auteur. Cet article n’a pas l’ambition de trancher la question du bien-fondé ou non du choix ambitieux du Maroc de développer massivement et rapidement la production d’électricité d’origine renouvelable. L’objectif est plutôt d’ouvrir un débat raisonné en faisant entendre un argumentaire alternatif sur cette question. En revanche, une réponse tranchée doit être basée sur des évaluations simulées mobilisant un modèle énergético-économique qui reproduit finement les différentes technologies de la production énergétique en les reliant aux agrégats macroéconomiques et aux comportements des agents.

2 C’est ce qu’on retient dans la presse des interventions du ministre de l’énergie et d’autres responsables de la mise en place de cette stratégie.

3 Ce débat est d’autant plus légitime dès lors qu’aucun travail d’évaluation ex-ante des répercussions (positives et négatives en termes de manque à gagner, si le même effort avait été déployé dans d’autres secteurs) de ces choix n’a été rendu public.

4 Voir notamment : Charles, R. F. (2014), The Net Benefits Of Low And No-Carbon Electricity Technologies, Working Paper of Global Economy And Development at Brookings Institution. Cour des comptes (2013), La politique de développement des énergies renouvelables, France.

5 Effectivement, le rythme de croissance des dépenses sociales s’est ralenti ces dernières années. Prenons par exemple les dépenses de santé, leur taux de croissance est passé de 7,9 % en moyenne annuelle à 4,4 %, soit une perte de vitesse de 3,5 points, dont le recul de la part des dépenses publiques est responsable à hauteur de 20 % (Tamsamani, 2016).

6 Crassous, R. et F. Roques, 2013; IEA Wind Task, 25.

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