PEPS : 8 propositions pour replacer la France au cœur de la géopolitique du climat

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Le réchauffement climatique accélère plusieurs phénomènes dangereux pour notre civilisation. Ses effets sont notamment la montée, le réchauffement et l’acidification des océans, l’aridité des sols et la baisse de la ressource en eau douce, la perte de biodiversité et l’augmentation de phénomènes climatiques extrêmes.

L’Accord de Paris du 12 décembre 2015, premier accord universel sur le climat

195 parties l’ont signé, 180 l’ont ratifié. Il fixe aux États (et à l’Union européenne) un objectif ambitieux et nécessaire à la préservation des écosystèmes planétaires : maintenir la hausse des températures à l’échelle planétaire bien en-deçà de 2°C et s’efforcer de la limiter à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels, accroître la capacité d’adaptation au changement climatique et rendre les flux financiers compatibles avec ces objectifs.

L’Accord de Paris ne pourra être pleinement opérationnel que si l’ensemble des Parties s’accordent sur des règles robustes, justes et opérationnelles. C’est l’objectif de la COP24 qui se tiendra du 3 au 14 décembre 2018 à Katowice en Pologne.

Les efforts actuels sont très insuffisants pour atténuer la crise climatique

Sauf à amplifier considérablement et rapidement la dynamique de l’action, la fenêtre d’opportunité pour atteindre l’objectif de 2°C est en train de se fermer. C’est le message que détaille le GIEC dans son 6ème rapport spécial. À quelques mois de la présidence française du G7, la 24e édition de la COP est l’occasion pour la France d’affirmer son rôle de leader climatique en soutenant 8 propositions qui font rimer progrès environnemental et progrès social pour :

  • Renforcer l’efficacité de l’action climatique et son bénéfice pour tous (1 et 2) ;
  • Réduire la dépendance mondiale aux hydrocarbures et la pollution associée (3 à 6) ;
  • Préserver l’accès à l’eau et l’intégrité des personnes menacées (7 et 8)
  1. Affirmer le rôle des acteurs non étatiques dans le combat climatique ;
  2. Établir une stratégie partagée et lisible de fléchage des investissements verts vers les coalitions reconnues par la COP ;
  3. Défendre le principe d’une « loi Hulot mondiale » pour mettre fin à la recherche et à l’exploitation des gisements de pétrole à l’horizon de 50 ans ;
  4. Placer l’Arctique et les eaux internationales au cœur du débat climatique ;
  5. Soutenir une valeur du carbone au niveau mondial ;
  6. Créer un « Tribunal du carbone » pour intégrer le risque climatique dans les accords de libre-échange ;
  7. Développer une « hydrodiplomatie » française et francophone ;
  8. Créer un statut international de déplacés et réfugiés climatiques.

1. Affirmer le rôle des acteurs non étatiques dans le combat climatique

La France doit porter le message d’une accélération de l’urgence climatique qui rend indispensable de reconnaître au niveau international la contribution des régions, des villes, des acteurs privés, et du monde associatif à l’atteinte des objectifs climatiques.

C’est dans cet esprit que de nombreuses coalitions émergent. Le sommet mondial sur le climat de San Francisco s’est ainsi achevé le 14 septembre sur des messages d’espoir et d’alarme des maires, gouverneurs, chefs d’entreprises et ONG du monde entier. Ils ont exhorté les dirigeants mondiaux à en faire plus dans les deux prochaines années et pris 6 engagements.

Leur contribution est décisive : les élus locaux, les investisseurs mondiaux, les entreprises et les citoyens organisés disposent d’outils pour agir au plus près des citoyens et dans le souci de l’équité sociale : construction et aménagement économes en ressources, nouvelles énergies, mobilité propre, circuits courts d’approvisionnement, efficacité énergétique, traitement et recyclage des déchets, désinvestissement des énergies fossiles et des équipements polluants, solutions d’adaptation naturelles… Ils savent que ces actions sont créatrices d’emplois et de bien-être.

Les réseaux de collectivités locales ne sont pas directement partie prenante aux négociations multilatérales sur le climat. Les outils d’évaluation manquent pour quantifier la part prise par leur action dans la baisse des émissions de gaz à effet de serre. C’est l’ambition portée par l’association Climate Chance qui a créé un observatoire de l’action pour objectiver le rôle des acteurs non-étatiques dans le combat climatique. Instaurer des indicateurs de suivi des actions infra-étatiques adossés au suivi des conventions internationales permettrait d’évaluer et de valoriser mieux ces initiatives.

La maire de Paris est l’actuelle présidente de l’association mondiale des villes contre le changement climatique, le C40, et la France est en avance pour l’investissement vert (article 173 de la loi de transition énergétique, obligation verte d’État, trajectoire carbone…). Elle doit défendre les instruments de soutien aux collectivités infra-étatiques, aux organisations régionales, telles que les huit communautés économiques régionales africaines, et aux financements privés dans la lutte pour le climat, dans le cadre de l’Union européenne. Les places financières et les subventions fédérales, nationales et européennes doivent aller dans ce sens.

2. Établir une stratégie partagée et lisible de fléchage des investissements verts vers les coalitions reconnues par la COP

Par le biais de l’Agenda de l’Action, né en 2015, les grands acteurs financiers (fondations internationales, banques et assurances, banques de développement, fonds souverains, entreprises multinationales, sociétés philanthropiques, acteurs des Partenariats public-privé) sont encouragés à participer, aux côtés de la puissance publique, à la lutte contre le changement climatique dans le cadre de l’Accord de Paris.

La France a accueilli le premier Agenda de l’Action d’ampleur, et a continué à mobiliser la finance mondiale pour la lutte contre le réchauffement climatique lors du One Planet Summit de décembre 2017 et de sa réunion de suivi du 26 septembre 2018 à New York.

Le programme de l’édition 2018 trace une feuille de route en s’appuyant sur les axes les plus stratégiques : le partage des solutions et la collaboration à l’échelle locale, nationale et mondiale ; l’investissement dans la transition vers des économies bas-carbone et inclusives ; la protection des populations vulnérables grâce à des technologies innovantes et à des solutions qui s’appuient sur la biologie et sur la restauration des écosystèmes.

La COP 24, tout en poursuivant le but d’augmenter les financements, devrait être l’occasion de les regrouper dans une stratégie d’ensemble, normée, plus lisible pour les investisseurs et appropriable par les citoyens. Ces financements doivent être orientés vers les coalitions reconnues par la COP – tels que les Energies renouvelables en Afrique (AREI), les Alliances mondiales pour l’eau et le climat (AMEC), le CREWS (systèmes d’alerte précoce), le Transport Decarbonization, l’Alliance solaire internationale (ASI) ou l’Alliance mondiale pour le bâtiment. La France et sa fédération nationale pourraient notamment mobiliser les assurances, secteur clé de l’adaptation au changement climatique et de la prévention.

3. Défendre le principe d’une « loi Hulot mondiale » pour mettre fin à la recherche et à l’exploitation des gisements de pétrole à l’horizon de 50 ans

Par la loi du 30 décembre 2017, dite « loi Hulot », la France a décidé de se doter d’outils pour respecter l’engagement d’une neutralité carbone à l’horizon 2050. Elle prévoit l’interdiction immédiate de la délivrance de nouveaux permis de recherche d’hydrocarbures et met fin aux prolongations des concessions en vigueur en 2040. Bien que de portée symbolique, cette loi confère à la France une légitimité inégalée pour proposer aux autres parties de la COP une « loi Hulot mondiale ».

La France, présente sur tous les continents grâce à ses Outre-Mer, pourrait contribuer à définir les conditions administratives et industrielles d’une telle obligation, fixant une trajectoire sur 50 ans qui serait la base d’une négociation internationale. Seuls 5 pays au monde ont décidé de mettre fin à la recherche d’hydrocarbures : la Nouvelle-Zélande, Belize, le Costa Rica, le Danemark, et la France. Notre poids économique et diplomatique nous permet d’engager avec ces pays un élan international.

Cette proposition intègre la nécessité de trouver des substituts aux produits issus du pétrole et largement déployés dans nos sociétés contemporaines. Le rapport de l’Agence internationale de l’énergie « The Future of Petrochemicals », indique que l’utilisation du pétrole est stratégique dans le domaine non énergétique et induit une valeur économique bien plus forte que le prix de l’énergie. Les décisions publiques devront favoriser la substitution des produits hydrocarbonés nécessaires à nos économies (pétrochimie, kérosène, bitumes, plastiques…). La chimie verte issue des plantes et des algues est prometteuse, si elle garantit la préservation des écosystèmes et des surfaces agricoles nécessaires à l’alimentation.

Concernant la substitution du pétrole comme carburant pour l’électricité et la mobilité où des solutions existent, la France pourrait porter un programme d’incitations fiscales, de facilitations administratives et de fléchage massif des investissements publics et privés vers la recherche et le développement de solutions pour sortir de la dépendance aux hydrocarbures dans les domaines clés du transport aérien et de la construction. Un soutien durable aux filières des énergies marines, créatrices d’emplois et de savoir-faire stratégiques, permettrait de valoriser l’ampleur et la diversité du littoral français.

4. Placer l’Arctique et les eaux internationales au cœur du débat climatique

La France est une grande puissance maritime et une nation polaire reconnue, en particulier par sa présence déterminante en Antarctique et sa forte participation à la communauté scientifique. Or, c’est depuis les pôles et par la mer que le dérèglement climatique frappe le plus, notamment dans les pays du Sud.Plus de 60 % de la population mondiale vit dans la grande zone côtière ; 3,8 milliards de personnes résident à moins de 150 km du rivage d’après l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Reconnu comme « un bien commun de l’humanité » par la Convention du droit de la mer, l’océan est resté relativement absent de l’Accord de Paris.

Les mutations de l’Arctique sont devenues le symbole de l’influence de l’homme sur le climat. Ces mutations pourraient devenir irréversibles et contribuer à une accélération des changements climatiques au niveau mondial, avec d’importantes conséquences économiques, écologiques et géopolitiques. C’est pourquoi nous devons préserver résolument l’environnement arctique, avec nos partenaires dans le cadre du Conseil de l’Arctique, et des traités qui gouvernent aujourd’hui la zone.Comme elle l’a fait en soutenant le moratoire sur la pêche dans l’océan Arctique central adopté cette année, la France peut promouvoir l’interdiction progressive de l’exploration et l’exploitation des ressources de l’Arctique et des eaux internationales. Un moratoire sur les forages en Arctique peut être la première étape vers une interdiction de la recherche d’énergies fossiles dans la haute mer (voir proposition 3) et un marqueur fort de la volonté des États de respecter l’Accord qu’ils ont adopté et signé.

En 2021, la France accueillera, 60 ans après sa ratification, la réunion annuelle du Traité sur l’Antarctique, à l’occasion d’une année symbolique pour les pôles qui célébrera également les 30 ans du protocole de Madrid pour l’interdiction de l’exploitation des ressources minérales antarctiques, et les 25 ans de la création du Conseil de l’Arctique. Ce calendrier favorable pourrait être l’occasion de présenter pour la première fois une Stratégie nationale pour l’Arctique et l’Antarctique à forte ambition écologique, dont l’élaboration doit être engagée dès à présent, pour replacer les pôles au cœur du débat climatique.

5. Soutenir une valeur du carbone au niveau mondial

La France a introduit dans sa loi de transition énergétique pour la croissance verte d’août 2015 une trajectoire du prix du carbone appliquée à l’énergie (100 euros la tonne en 2030). Le signal-prix, sous réserve qu’il soit compensé par des mesures de redistribution incitant à la conversion des modèles de développement, et des outils d’accompagnement des plus fragiles, est le meilleur levier d’action dans une économie mondialisée et spéculative.

La France s’est engagée diplomatiquement comme membre actif de la Carbon Pricing Leadership Coalition (CPLC) sous l’égide de la banque mondiale, lancée à la COP21. Elle doit poursuivre ses efforts pour défendre au niveau international l’intérêt d’une telle solution, préconisée par le Secrétaire général des Nations Unies. Les instruments utilisés pour mettre en place cette valeur carbone restent à la main des pays, des régions et des acteurs économiques (fiscalité ciblée ou globale, conditions de marché…).

Au niveau européen, la hausse de la valeur carbone sera assortie d’outils pour identifier et soutenir résolument les travaux de recherche permettant de renforcer la viabilité économique des solutions aux enjeux climatiques et environnementaux, comme le stockage de l’énergie, la capture du CO2, le transport propre, le traitement des effluents, etc…

6. Créer un « Tribunal du carbone » pour intégrer le risque climatique dans les accords de libre-échange

Les accords commerciaux de libre-échange sont l’occasion de promouvoir une vision du monde respectueuse de la planète. Ces traités doivent être assortis d’éco-conditions et d’un levier d’action pour la justice climatique, notamment sur le pouvoir financier « hors-la-loi » qu’est la finance offshore.

La politique commerciale européenne doit faire valoir ses exigences sociales et environnementales et garantir que le respect de l’Accord de Paris soit l’un des éléments essentiels des accords signés entre l’Union européenne et ses partenaires.

Les mécanismes de compensation des émissions liées aux échanges et aux législations plus souples d’États partenaires doivent être clairement spécifiés. La doctrine « éviter-réduire-compenser » les émissions de gaz à effet de serre pourrait devenir la règle.

Dans l’OCDE, à l’OMC, le mécanisme d’arbitrage des désaccords commerciaux se fonde sur les règles et la jurisprudence de l’OMC, qui ne traite pas du changement climatique.

La création d’un Tribunal du carbone, à l’initiative de pays membres de l’Union européenne, en partenariat avec une coalition d’États particulièrement menacés comme l’alliance des petits États insulaires (AOSIS) permettrait que des États puissent se retourner contre une entreprise ou un investisseur ne respectant pas les écoconditions du traité, et contribuent ainsi à protéger les citoyens du monde des effets du changement climatique.

7. Développer une « hydrodiplomatie » française et francophone

Comme le GIEC l’a souligné dans tous ses rapports depuis 2008, les manifestations du dérèglement du cycle de l’eau sont des conséquences du réchauffement de la planète. Ressource la plus affectée par le changement climatique, l’eau en est même le marqueur le plus évident.

Un nouveau facteur vient donc aggraver la tension qui découle déjà, notamment dans les pays du Sud, d’une demande grandissante en eau sous le double effet de la croissance démographique et du développement économique. Avec des conséquences potentielles aussi étendues que redoutables : la sécurité alimentaire, la santé humaine, l’expansion économique sont menacées par les effets du dérèglement du cycle de l’eau sur l’agriculture, sur la biodiversité, les infrastructures de transport ou la production d’énergie. Et les conflits qui se dessinent autour de l’eau entre individus, communautés et industries, sont une source prévisible d’instabilité politique.

Dotée d’une expertise reconnue et d’un savoir-faire qui mérite d’être valorisé dans le domaine de l’accès, de la distribution et de la sécurité du stockage de l’eau, la France pourrait développer une diplomatie technique et scientifique spécifique, notamment dans les pays et régions francophones des continents africain et asiatique.

8. Créer un statut international de déplacés et réfugiés climatiques

Les premières victimes des dérèglements climatiques sont les populations les plus vulnérables, notamment celles vivant sur les îles ou en zone littorale. Au prix d’âpres négociations, l’article 7-6 de l’Accord de Paris, reconnait « la nécessité de prendre en considération les besoins des pays en développement parties, notamment de ceux qui sont particulièrement vulnérables aux effets néfastes des changements climatiques », mais à ce stade, aucun instrument international ne permet la reconnaissance d’un statut juridique de « déplacé climatique », ni ne prévoit de protection spécifique.

a France doit peser de tout son poids pour faire adopter un instrument juridique adéquat envers les déplacés environnementaux et reconnaître, au moins pour ceux qui ne pourront jamais regagner leurs territoires ou celui de leur État d’origine (îles submergées), une forme de droit d’asile.

PEPS

Cette note a été proposée et coordonnée pour la plate-forme #PEPS par Samuel Beaumier, avec l’appui de Mikaa Mered, Emmanuel Dupuy, Bernard Laguerre, Emilie Maehara, Antoine-Tristan Mocilnikar, Hélène Peskine. Elle a été débattue lors de l’atelier #PEPS du 17 octobre 2018.

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