L’économie est dans nos territoires, et la plus belle illustration en sont les pôles de compétitivité. Les pôles sont aussi l’illustration du fait que la réussite économique passe avant tout par un esprit d’équipe et que l’économie elle-même est, en quelque sorte, un sport d’équipe. En effet, les pôles accroissent les relations entre tous types d’entreprises, les PME, les ETI, les grands groupes, et c’est suffisamment rare pour être souligné; elle améliore aussi les relations entre des écosystèmes qui, traditionnellement en France, ne se parlaient pas: les laboratoires de recherche, la recherche la plus académique, la plus fondamentale, la recherche appliquée, les universités et les organismes, les investisseurs, les industriels, les collectivités territoriales, l’État.
Et les pôles soutiennent enfin la création d’activité et d’emplois dans les territoires. C’est pourquoi les pôles de compétitivité sont utiles à l’économie française et sont un dispositif important de notre politique économique et d’aménagement du territoire. Cette politique a dix ans : ce sont d’autres majorités qui l’ont lancé il y a dix ans, c’est notamment Christian Estrosi, d’abord rattaché au ministère de l’Intérieur, puis ministre en charge de l’Industrie, qui a lancé cette initiative. Elle a été ensuite constamment préservée, quelles que soient les majorités. Mais à l’heure du bilan il faut évaluer : alors j’ai entendu les craintes, les inquiétudes, parce que dans notre pays, dès qu’on dit qu’il faut évaluer, on se dit que ça va mal se passer. Non, quand on évalue, c’est qu’on donne de la transparence, on regarde ce qui se passe, on encourage tout ce qui a été bien fait, on essaie de généraliser ce qui a été une réussite et on tire les conséquences de ce qui a été raté. C’est normal, c’est d’abord ce que nos concitoyens attendent, et cela évite cette espèce de chorégraphie permanente de l’action publique dans laquelle nous sommes plongés qui consiste à ne jamais regarder ce qui a été fait et à toujours penser qu’on va réinventer des bonnes idées tout seul. La continuité passe par l’évaluation, l’amélioration permanente, et c’est dans cet esprit que nous devons nous inscrire.
Des acteurs de premier plan
Les pôles de compétitivité sont devenus des acteurs de premier plan dans l’accompagnement des entreprises. Depuis 2005, ils ont réalisé 1 000 actions de formation et de développement des compétences en direction des entreprises membres ; ils ont accompagné les PME, les ETI, individuellement et collectivement sur des thématiques très générales mais essentielles : la propriété industrielle, l’intelligence économique et la sécurité, la normalisation, la qualité et l’amélioration des processus de production ; beaucoup de domaines fondamentaux pour lesquels la loi n’est pas la réponse, le pilotage central n’est pas la solution, et qui suppose précisément un accompagnement sur le terrain au plus près des politiques industrielles pratiques, des territoires et des acteurs eux-mêmes. Ils ont aussi accompagné les entreprises sur des enjeux spécifiques à leur domaine d’excellence et ils jouent un rôle actif au sein des comités stratégiques de filière régionale en accompagnant leurs adhérents dans leurs projets à l’international avec le soutien de l’État ou de l’Union européenne. Au total, en 10 ans, ce sont 1 600 projets collaboratifs de recherche, portés par les pôles de compétitivité, qui ont bénéficié du soutien financier de l’État via le Fonds unique interministériel. Ces projets représentent un montant total de dépenses de Recherche et Développement de près de 6,8 milliards d’euros, cofinancés par l’État à hauteur de 24 %, par les collectivités à hauteur de 16 % et par les entreprises pour les 60 % restants.
Depuis 2010 les PME représentent en moyenne 40 % des partenaires participant à des projets sélectionnés dans le cadre du FUI. C’est fondamental, puisque nous étions dans un pays où traditionnellement ces politiques étaient capturées par les grands groupes. Les grands groupes sont absolument nécessaires pour tirer les filières vers le haut, les emmener à l’internationale, aider à l’innovation, mais il fallait ouvrir davantage le dispositif aux PME ; les pôles de compétitivité ont permis cela. En plus des projets ayant bénéficié du FUI, 4 000 projets labellisés par les pôles de compétitivité ont aussi bénéficié d’autres soutiens qu’il soit régional, national ou européen.
Le bilan que nous avons lancé en début d’année doit nous conduire à parfaire notre politique. Pour deux raisons : d’abord parce que l’expérience nous a permis de constater des manques, des améliorations possibles, et donc nous devons en tirer toutes les conséquences ; et ensuite parce que notre politique économique elle-même s’est transformée et qu’il faut en tirer toutes les conséquences. Les objectifs de la politique de la Nouvelle France Industrielle, notamment l’industrie du futur, et les 9 solutions que nous avons mises en avant, doivent se mettre en cohérence avec la dynamique d’animation sur le territoire – sinon on pilote des choses « impilotables ». 71 pôles d’un côté, 9 solutions industrielles, l’Alliance pour l’industrie du futur : il faut que tout cela soit beaucoup plus cohérent pour être plus efficace. C’est un des objectifs de la réforme territoriale, qui fait des régions les chefs de file du développement économique. C’est dans cet esprit que nous avons annoncé une réforme de la politique des pôles de compétitivité le 4 janvier dernier avec ses principes et sa méthode.
Nouveaux principes, nouvelle méthode
La méthode doit être ouverte, claire et objective. Ouverte, parce que les pôles de compétitivité sont des lieux de convergence, de coopération et donc il faut que, pour réussir cette évaluation – que nous allons conduire dans les prochaines semaines et les prochains mois – l’ensemble des acteurs soit associé : les entreprises, les universités, les collectivités, l’État. Et il faut aussi inclure toutes les parties prenantes : les régions évidemment au premier chef, compte tenu de leurs responsabilités en matière de développement économique, ainsi que les métropoles qui ont souvent un rôle important dans les pôles.
Ensuite, la clarté. Les pôles de compétitivité sont une politique mise en place par l’État dans les territoires avec le soutien des collectivités, des régions en particulier, et il est important qu’on puisse réaffirmer dans ce cadre nos priorités stratégiques ; c’est la coordination, la clarté par rapport à nos objectifs de politique nationale.
Enfin, l’objectivité dans la méthode : c’est la clé de la transparence. Le but, c’est l’intérêt général économique. Et il faut en la matière tout faire pour ne pas céder aux espèces de lutte de territoires et de frontières qui sont ridicules. Depuis que la décentralisation a été mise en place on tire à hue et à dia pour savoir qui fera quoi ; la vraie question est qu’est-ce qu’on veut faire et comment est-ce le plus efficace ? Donc objectivons la méthode…
Il y a aujourd’hui 71 pôles de compétitivité. Où sont-ils le plus efficaces ? Lesquelles fonctionnent bien ? Lesquels marchent moins bien ? Pourquoi ? Qui sera le plus à même de les piloter, d’être au cœur de leur animation ? Avec donc 2 séries d’évaluation pour assurer cette objectivité. D’abord l’évaluation individuelle des pôles de compétitivité à mi-parcours de la phase 3 des pôles ; elle a commencé mi-février, elle se terminera fin mai. Et cette évaluation a pour vocation d’analyser les performances individuelles de chaque pôle de compétitivité, et elle sera faite par un consortium, Ernst & Young, Erdyn et Technopolis, et elle ne conduira pas à des délabellisations. Il ne s’agit pas de démobiliser des écosystèmes : certains marchent mieux que d’autres, on en tirera les conséquences ; on ne va pas délabelliser mais réorganiser, ce qui est différent.
Donc il y aura une évaluation individuelle d’ici fin mai et, en même temps, il y aura une évaluation économique conduite par France Stratégie sur la politique des pôles dont les premiers résultats apporteront une vision macroéconomique utile à notre réflexion. Et donc on coordonnera les choses en fonction de ces deux exercices de transparence. Je souhaite pour ma part que cette réforme puisse aboutir en juin prochain, ce qui donne quatre mois pour discuter, puis décider pour que fin juin 2016 on puisse tirer toutes les conséquences de ces analyses, des retours d’expérience et de ce que nous en aurons conclu.
Consolidation, Lisibilité, Proximité
Le contenu même de la réforme sera guidé par trois principes : la consolidation, la lisibilité et la proximité. La consolidation est nécessaire. La politique des pôles de compétitivité doit être consolidée et réaffirmée comme une politique stratégique nationale. Le rôle de l’État est d’encourager les projets de haut niveau : c’est la mission du Fonds unique interministériel, c’est l’outil d’investissement stratégique de l’État dans les projets des pôles et il doit demeurer, mais les procédures doivent être plus proches du terrain, davantage déconcentrées, plus en dynamique.
La lisibilité ensuite. On a aujourd’hui 71 pôles de compétitivité, ce qui reflète la richesse, le dynamisme des territoires, car ce sont à chaque fois des entreprises, des laboratoires, des universités qui se sont mobilisés pour travailler ensemble. Donc il faut reconnaître, considérer cette dynamique locale qui s’est créée. Mais il y a un manque de lisibilité quand on a 71 pôles ; alors on a essayé de les segmenter par catégorie, mais on peut améliorer cette lisibilité de différentes façons. Je ne crois pas à une approche inutilement complexe et démobilisatrice qui consisterait à délabelliser. Par contre, nous pouvons mieux tirer profit de nos politiques nationales, en particulier de la Nouvelle France Industrielle ; il faut pour cela identifier les thématiques principales de chacun des pôles et favoriser le rapprochement autour des 9 solutions. Cela s’est déjà fait dans certains secteurs comme l’automobile ou écotech, il faut passer en revue les autres secteurs avec toujours l’intérêt général en tête. Cette lisibilité devra permettre une meilleure articulation des pôles de compétitivité entre les niveaux local, national, mais aussi européen. Et donc nous devons avoir, dans les compétences, compte tenu des priorités qui sont les nôtres, une plus grande lisibilité pour davantage travailler en réseau et être plus efficace.
Enfin, la proximité. La politique des pôles doit articuler le développement régional avec les priorités nationales. L’organisation des pôles de compétitivité devra donc s’adapter aux nouvelles compétences des régions en matière de développement économique pour leur permettre de mieux s’impliquer dans cette action en matière d’animation et de gouvernance. Il faut être très pragmatique, il ne s’agit pas de garder les choses comme elles sont, il ne s’agit pas pour autant de dire qu’on va tout transférer aux régions, car cela n’aurait pas plus de sens ; il faut qu’on garde les éléments de cohérence, de lisibilité qui consistent à dire comment on met en réseau ce qui existe pour mieux travailler selon les priorités de la politique industrielle nationale et puis comment on crée plus d’efficacité lorsque c’est nécessaire pour donner davantage de compétences aux régions, compte tenu de leur rôle dans le développement économique. C’est à cela que le travail des prochaines semaines et des prochains mois doit nous conduire. Le processus de sélection du FUI évoluera pour gagner en réactivité, pour associer davantage les acteurs de l’État dans les territoires et un échange entre le gouvernement et les exécutifs régionaux sera constant. Il y a quelques semaines, le Premier ministre, puis le Président de la République ont réuni l’ensemble des nouveaux exécutifs régionaux : nous avons eu l’occasion de voir le nouveau président de l’ARF et nous continuerons ce travail avec les régions pour améliorer ce suivi de proximité et l’animation nouvelle des pôles.
Un pivot de la renaissance industrielle
La renaissance industrielle est une priorité nationale, l’objectif que j’ai voulu assigner au ministère de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique. Il doit mobiliser tout le monde et à cet égard les pôles de compétitivité ont un rôle majeur compte tenu de ce qu’ils représentent. Pour être plus ambitieux, nous devons être réalistes, c’est-à-dire regarder en face ce qui marche, ce qui ne marche pas, en tirer les conséquences dans une bataille qui n’est pas nationale, mais à toujours avoir présent à l’esprit que nos entreprises, nos territoires, notre pays participent à une bataille mondiale, la bataille économique. Nous devons aussi être visionnaires, c’est-à-dire préparer l’étape d’après ; préserver ce qui a été fait depuis dix ans ; tirer toutes les conséquences de ce qui a bien marché et des points forts, les améliorer pour se projeter dans un monde qui va plus vite et où les transformations sont plus brutales. C’est précisément cela qui nous oblige à repenser le long terme…
Emmanuel Macron