La Cité du Lien – Linkcity

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« Nous ne sommes pas des êtres humains vivant une expérience spirituelle mais des êtres spirituels vivant une expérience humaine. »

Pierre Teilhard de Chardin

Les transformations actuelles de nos sociétés et les crises qui nous menacent nous mènent à lier les innovations des cités au travers des époques pour permettre aux générations futures de vivre et être épanouies en harmonie avec la nature en toute sécurité à chaque instant.

La Chôra antique

La ville du passé était adaptée à son milieu. La chôra antique, telle qu’elle se rencontre un peu partout sur les îles de la mer Égée (1) constitue un exemple d’insertion harmonieuse de l’habitat humain dans un milieu naturel (2).

Située dans la montagne, au-dessus de la mer, la chôra s’intègre dans le milieu naturel, en suivant ses lignes et ses courbes. Les maisons s’intègrent aux rochers avoisinants et descendent jusqu’au bord des falaises. La chôra s’adapte aux besoins de ses habitants et s’organise autour d’un temple, d’une église ou d’un monastère, qui manifeste ses valeurs spirituelles. Une même organisation se retrouve dans les médinas du Maghreb.

La cité malade

Durant la période moderne, c’est une conception industrielle qui a prévalu. Elle devait répondre à des besoins purement utilitaires et transformait l’habitat en « machine à habiter » selon l’expression de Le Corbusier. Les grands ensembles étaient conçus pour loger un maximum de personnes, pendant toute la période de reconstruction qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Il s’agissait en même temps de respecter un certain nombre de normes et de standards qui étaient censés définir des conditions de vie décentes. Pourtant, beaucoup de ces grands ensembles sont apparus inhospitaliers. Mal entretenus, ils ont favorisé le développement de la délinquance. Le béton a été privilégié par rapport aux espaces verts, car il ne demandait pas d’entretien. Mais les grandes dalles en béton ne favorisent pas la convivialité. De nombreuses villes dans le monde sont malades. Elles peuvent être rongées par la misère. Près d’un tiers des citadins vivent dans des bidonvilles, que l’on trouve notamment à Bombay, Lagos ou Rio de Janeiro. Leurs populations proviennent fréquemment d’un exode rural. Les villes peuvent être également gangrénées par la violence et la corruption. Ce sont souvent les mêmes qui sont affectées par la misère.

L’expérimentation de nouvelles options d’urbanisme

Les villes nouvelles qui ont été construites au XXe siècle, ont été surtout conçues pour mettre en avant une volonté de renouveau.
Pour son dernier grand projet, Le Corbusier a signé dans les années 50 un manifeste architectural et politique, avec la réalisation de Chandigarh. Nouvelle capitale du Penjab, voulue par Nehru à la suite de la partition entre l’Inde et le Pakistan. Son symbole est la Main Ouverte dédiée à la Déesse Chandi, qui culmine à 26 mètres et représente “la main à donner et la main pour prendre la paix, la prospérité, et l’unité de l’humanité”.

Chaque secteur est composé de zones d’habitations (bourgeoise et sociale), d’un centre commercial, de zones de travail, d’équipements sportifs, de lieux de culte et d’espaces verts. Chandigarh est connue pour son taux d’alphabétisation élevé, ainsi que pour le rôle majeur que tiennent l’art, la culture et la spiritualité dans le quotidien de ses habitants. Prévue initialement pour 500 000 habitants, la ville en compte aujourd’hui près du double. Chandigarh, dont le PIB par habitant et l’Indice de développement humain sont parmi les plus élevés en Inde, est l’une des rares villes indiennes où il est encore facile de circuler.

Conçue par les architectes Oscar Niemeyer et Lúcio Costa, pour devenir la capitale fédérale du Brésil, la ville de Brasilia a constitué le deuxième projet emblématique du siècle. Ce projet, qui représente un exemple très intéressant d’urbanisme, ne peut être toutefois considéré comme une pleine réussite, d’une part en raison des réticences qu’il continue d’inspirer et d’autre part du fait qu’une grande partie des habitants vit dans des quartiers périphériques bâtis sans planification préalable et parfois même dans des favelas.

Les préoccupations contemporaines concernent principalement la préservation de l’environnement. La réalisation des écoquartiers s’inspire des principes de l’écologie urbaine. De nombreuses expériences d’écoquartiers, d’écovillages et d’écovilles ont déjà été réalisées en Europe et dans le monde.

Le quartier de BedZED (Beddington Zero Energy Development), en Angleterre, a été l’un des premiers ensembles construits selon des principes d’habitat écologique. La consommation d’énergie et d’eau, ainsi que le volume des déchets rejetés ont été fortement réduits et il a été fait largement appel à l’utilisation d’énergies renouvelables. Un réseau de transport en commun a été créé. La mixité sociale a été recherchée et le quartier incorpore des commerces ainsi que des activités socioculturelles
La ville de Fribourg-en-Brigau a transformé en écoquartier le site occupé par l’ancienne caserne Vauban. Les habitations sont conçues suivant des normes HQE (3) ; énergies renouvelables, matériaux écologiques, toitures végétalisées, habitations à énergie positive font partie des solutions qui sont mises rn oeuvre. La place accordée aux voitures est limitée. Une ligne de tramway a été créée et les déplacements à pied ou en vélo sont facilités.

De nombreux autres projets ont été initiés dans le monde au cours de ces dernières années. Ces projets se situent notamment en Europe, mais aussi aux Etats-Unis, en Amérique latine (Brésil, Equateur) ou en Asie. En France, le label des écoquartiers a déjà été attribué à des centaines de projets

En Chine, l’ambitieux projet de ville durable de Dongtan, conçu à l’occasion de l’exposition universelle de Shanghai en 2010, a été gelé et s’avère un échec, car conçu de manière trop artificielle, il n’a pas su attirer une population capable d’assurer sa pérennité. Un projet similaire, à la fois écologique et futuriste, qui a été conçu pour la ville de Masdar, située au Moyen-Orient, à 17 km d’Abu Dhabi, annoncée comme la première ville « zéro-émission » du futur, s’avère également un échec. Ceci montre qu’un projet d’écoquartier ne doit pas s’appuyer exclusivement sur des options technologiques.

Au Brésil, les habitants de la ville de Curitiba ont été associés à l’élaboration des programmes visant à en faire une ville écologique, sous la conduite d’un maire charismatique, Jaime Lerner (4). La ville de Curitiba qui compte près de 2 Millions d’habitants reste une ville dynamique et innovante, mais il semble qu’elle ait progressivement abandonné son mode de vie écologique, pour un mode de vie plus proche de celui qui est pratiqué dans d’autres villes brésiliennes.

Il existe également de nombreuses expériences d’écovillages dans le monde, qui visent en général à assurer une autosuffisance alimentaire et à minimiser l’empreinte écologique. Compte-tenu des contraintes à accepter, elles sont souvent initiées par une communauté de personnes partageant les mêmes convictions écologiques, philosophiques ou religieuses. Les écovillages de Findhorn en Ecosse et de Tamera au Portugal sont les plus connus. Les nombreux écovillages qui ont été créés dans le monde entier sont réunis dans le cadre d’un réseau international, le Global Ecovillages Network (GEN).

La ville d’Auroville fondée prés de Pondichéry par Sri Aurobindo, constitue l’expérience la plus aboutie d’organisation d’une cité autour de principes religieux ou philosophiques. A Auroville, l’argent est banni et les classes sociales sont en principe abolies. Les principes qui y sont expérimentés, sont, au moins pour une part, transposables à d’autres communautés, mais Auroville n’a pas pu démontrer sa capacité à atteindre une véritable autonomie économique. La plupart des résidents disposent de revenus acquis en dehors de la ville et n’y demeurent que pendant une durée limitée.

Des préoccupations plus spécifiques, concernant les risques associés aux crises futures, énergétiques et climatique d’un pic pétrolier, ont conduit à la création en Angleterre du mouvement des « villes de transition », qui regroupe 2000 initiatives dans le mode dans 50 pays, dont 150 en France. L’initiateur du mouvement, Rob Hopkins, a des méthodes favorisant la créativité collective, qui ont été utilisées avec succès (5).

La cité harmonieuse

Pour concevoir une cité harmonieuse, il ne suffit pas que ses habitants disposent d’un niveau de prospérité suffisant pour pouvoir répondre à leurs besoins vitaux. L’harmonie nait d’un accord entre les activités humaines et la nature environnante, de l’unité entre un site et la vie qui l’anime, les constructions humaines qui s’y trouvent ainsi que les femmes et les hommes qui l’habitent (6). Or, l’unité de la ville et du site qu’elle occupe, habituellement accomplie dans le passé, semble avoir disparu dans la plupart de nos villes contemporaines, trop souvent dispersées et inhospitalières.

La notion de médiance a été développée par Augustin Berque, à partir de la notion de fûdo, le « milieu humain », introduite par l’écrivain japonais Tetsuro Wasutji. La notion de médiance associe milieu naturel, communauté humaine et patrimoine culturel, selon le schéma de la figure 1.

Figure 1 – La médiance comme relation entre milieux humain, naturel et culturel

Suivant la notion de médiance (fûdosei), l’être humain ne peut pas être considéré comme un simple individu. Il fait partie d’une collectivité, vivant dans un certain milieu, lui-même rattaché au cosmos. Ce milieu humain comprend les caractéristiques géographiques du lieu, façonnées par le travail humain, ainsi que les aspects culturels liés à l’histoire. En réunissant un environnement et une communauté et en associant aux caractéristiques physiques d’une région les significations symboliques qui lui sont attachées du fait de la présence humaine, la médiance confère un sens à un lieu géographique.

La médiance relie les générations successives. La collectivité survit à la mort de l’individu, en poursuivant l’œuvre entreprise par chacun des membres de la collectivité. Augustin Berque a qualifié d’écoumène un tel monde, habité par la conscience humaine (7). À l’échelle de la Terre, il s’agit de créer un lieu habité par l’homme, dans lequel les activités humaines sont menées en symbiose avec la nature (8).

Une forme de simplicité volontaire, excluant toute démesure, toute ostentation ou dilapidation des ressources naturelles en est la condition. Il devient alors possible de créer une cité du lien réunissant une communauté humaine solidaire, reliée à un milieu naturel et à un milieu culturel préservé.

La ville de demain devra parvenir à opérer une telle symbiose avec son environnement et une culture capable de réunir tous ses habitants. Le souhait de nombreux citadins de vivre dans une ville plus écologique est manifeste. Elle se manifeste à travers le souhait de créer des écoquartiers, de développer les espaces verts, de promouvoir les projets d’agriculture urbaine, de réduire la part de la circulation automobile au profit du vélo et de la marche à pied. La technologie a également un rôle à jouer dans la ville de demain. La crise sanitaire récente a montré l’importance des technologies numériques de communication dans la préservation d’un lien social. Pourtant la technologie ne suffit pas pour rendre une ville harmonieuse. A la smart city, nous pouvons préférer une cité qui demeure frugale dans les choix, une cité des intelligences, celles de tous les citoyens réunis.

Pour construire une cité du lien, il est nécessaire de réinventer un urbanisme adapté, ce qui implique de réintroduire une véritable politique d’aménagement du territoire. Cette politique implique une transformation en profondeur des modes de vie et des mentalités. Il est indispensable que chaque citoyen puisse adhérer à un projet collectif, en participant aux décisions qui sont prises.

La cité du lien cultive l’écoute, la beauté et l’harmonie. Elle permet à l’intériorité créatrice de s’exprimer. Des lieux de solitude et de méditation sont aménagés pour permettre à l’individu d’être en contact avec la nature, s’épanouir et créer.

C’est au sein de la Cité et des territoires que s’élaborent les idées, les rêves et les équipes de demain au présent !

Notes

  1. Augustin Berque, Écoumène – Introduction à l’étude des milieux humains, Belin, 2016
  2. La notion de chôra a fait par ailleurs d’analyses souvent complexes de différents auteurs, de Platon à Derrida.
  3. Haute Qualité Environnementale.
  4. Maire de Curitiba entre 1971 et 2002
  5. Rob Hopkins, Et si ? Libérez notre imagination pour créer le futur que nous voulons, Éditions Actes Sud, coll. « Domaine du possible », Avril 2020 6 Augustin Berque, Ibidem
  6. Augustin Berque, Ibidem
  7. Augustin Berque, Ibidem
  8. Isabelle Delannoy et Dominique Bourg, L’économie symbiotique : Régénérer la planète, l’économie et la société, Actes Sud Éditions, 2017

Pénélope Morin & Alexandre Rojey

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