L’Europe à la croisée des chemins
Les politiques énergétiques européennes in fine doivent concourir à trois objectifs. Le premier restera toujours la sécurité énergétique. C’est une notion fluide au cours du temps. Mais, invariablement, les pouvoirs publics au niveau européen doivent garantir un approvisionnement, qui est de facto essentiellement en provenance de l’étranger, à court, moyen et long terme. Le monde en crise dans lequel nous entrons – crise géopolitique, terrorismes, crise financière latente, crise écologique, tensions sociales accrues – ne peut que renforcer ce besoin.
La France et l’Europe, champion de la COP21 et de l’accord de Paris, ne peuvent échapper à leur rôle de leader sur la lutte et l’adaptation au changement climatique. S’ajoutent, toutefois, de nombreux sujets à cette dimension écologique comme les pollutions locales, l’agriculture, la dimension sociale des politiques de transition écologiques, la gouvernance et la mobilisation des acteurs. La précarité énergétique est un thème qui, malheureusement, revient d’actualité et qui n’est pas du tout derrière nous. Classiquement, les questions d’efficacité et de compétitivité sont centrales à la fois pour l’industrie, l’économie et les ménages. Beaucoup de compagnies électriques européennes sont aujourd’hui dans une situation difficile. On constate par ailleurs un coût de l’électricité élevé en Europe, notamment en Allemagne et en France.
La nouvelle équipe européenne place l’énergie et le climat comme sujet phare. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, avait annoncé sa priorité dès juillet : lancer, dès les premiers cent jours de son mandat, une grande loi climatique. Frans Timmermans, vice-président néerlandais en charge du dossier, a annoncé la création d’un Fonds pour une transition équitable, une loi sur le climat consacrant l’objectif de neutralité climatique pour 2050 et la mise en place d’une taxe carbone aux frontières.
Les États-Unis, champion de la production énergétique
Les États-Unis, avec les pétroles et gaz de schiste, redeviennent extrêmement producteurs. Ils deviennent donc beaucoup moins sensibles aux importations et à la dépendance. Cela change leur géopolitique comme on le voit tous les jours. Le paradigme ancien de sécurisation coûte que coûte de leur approvisionnement avec toutes les conséquences que cela implique a disparu. Les États-Unis deviennent exportateurs de charbon, de pétrole et de gaz. C’est dans le domaine du gaz que leur volonté d’ouvrir des marchés nouveaux sera le plus fort. Le match sera d’autant plus sensible que d’autres acteurs veulent préserver leur part de marché ou sont également offensif. Notons, la Russie, le Qatar et l’Australie. C’est aussi dans ce contexte que la crise iranienne peut être perçue. Le nucléaire stagne. La production du renouvelable aux États-Unis décolle sur de grandes quantités. Le bilan CO2 profite de la conversion effective du charbon par le gaz, même si ce n’est pas une politique publique portée par le gouvernement américain.
La Chine change la donne
Les Chinois ont un objectif stratégique : être indépendants énergétiquement, autant que possible, et dépendre le moins possible des importations. En cela, ils se distinguent considérablement de l’Inde et de l’Europe. La croissance chinoise se tasse actuellement. Mais, auparavant, il faut noter que à chaque fois que la croissance était forte, la Chine était également en très forte croissance de production énergétique nationale. Leur taux de dépendance est raisonnable, il oscille constamment entre 10 et 30 %. On note que, de 2000 à 2016, la politique énergétique chinoise est basée sur le charbon. Ils l’ont massivement exploité chez eux, massivement acheté à travers la planète. Mais le niveau est stabilisé désormais. La Chine s’oriente vers un plateau de production et de consommation de charbon.
Xi Jin Ping l’a dit très clairement, l’avenir de la Chine ne sera plus basé sur le charbon. La Chine souhaite maîtriser ses importations de gaz naturel. Elles restent volontairement adossées à des partenaires proches dans le cadre d’alliances politiques choisies, avec la Russie, mais aussi l’Asie centrale dont le Kazakhstan. Ils font du nucléaire, mais à un niveau intermédiaire cependant. Ils ont ensuite développé massivement l’hydraulique (barrage des Trois-Gorges…), mais ils arrivent aux limites de leurs capacités disponibles. Depuis quelques années, sans qu’à l’époque cela ait été beaucoup anticipé, ils ont réussi à introduire réellement et quantitativement l’éolien et le photovoltaïque dans le mix chinois.
Pour les 15-20 ans qui viennent, la Chine va être un acteur clé de la transition énergétique. Quelques chiffres éclairent le débat : 45 % des investissements pour les véhicules électriques se feront en Chine, 40 % des investissements pour les systèmes de piégeage de carbone (CCS) se feront dans ce pays ainsi que 27 % des investissements pour l’éolien, le solaire et le nucléaire. Un point intéressant est donné sur le segment automobile. Le parti communiste chinois a décidé, très récemment, de concentrer ses efforts sur la voiture hydrogène. Cela ne signifie pas qu’ils arrêtent le véhicule électrique à batterie. Au contraire. Mais, le gouvernement chinois demande aux constructeurs de véhicules à batterie de se passer de subventions publiques et de conquérir le monde. On peut donc s’attendre à un tsunami de véhicules à batterie chinoises. Dans le cadre de la transition écologique nous aurons beaucoup de briques technologiques chinoises à prix cassé pour développer le CCS, l’éolien, le solaire ou encore le nucléaire.
L’Europe doit être un modèle d’efficacité énergétique et d’intelligence
L’Europe face à ces géants va devoir adopter une stratégie plus adaptative que ce que l’on a fait dans le passé. Cela permettra de renforcer la résilience de l’Europe. Nous donnons des pistes concernant l’offre et la demande d’énergie. La nouvelle équipe européenne en plus devra définir les stratégies, la gouvernance et l’économie de cette transition indispensable. Cette transition énergétique européenne doit concilier économie, environnement et cohésion sociale. Il faut parier à la fois sur une production d’énergie propre et sûre européenne, un transfert d’énergie vers celles moins carbonées et renforcer drastiquement notre efficacité énergétique. Dans le domaine de l’offre, centrée sur les technologies matures et rentables, l’Europe doit continuer à développer les énergies marines et fluviales, solaire, éolienne ainsi que la biomasse. Le nucléaire doit trouver sa juste place. Concernant les fossiles, le gaz naturel doit remplacer le charbon. Le pétrole dans le secteur des transports doit disparaître. Le CCS doit rester une carte possible. Le plus grand axe va être la mise en place d’une dynamique d’énergie intelligente. Elle-même repose sur deux pieds : la transition numérique et l’hydrogène.
Pour l’efficacité énergétique, la principale rupture est apportée par l’intelligence artificielle, le Big Data, l’Internet des objets, les plateformes, la servicisation. Les vecteurs se numérisent. Les systèmes communiquent et ils communiquent avec le reste du monde. La dématérialisation des échanges documentaires, de la transmission des ordres et des informations s’ajoute à la généralisation du numérique. Ce sont les outils clé permettant de développer une stratégie qui peut prendre une ampleur considérable. Certains appellent cela le NegaWatt, le trésor apporté par la non consommation pour un service malgré tout atteint. Je préfère pour ma part dire, la mobilisation de la deuxième loi de la thermodynamique pour renforcer, la résilience, la souveraineté et l’indépendance énergétique.
Cette transition numérique transforme radicalement le domaine de l’énergie aussi bien dans l’industrie, le commerce, le transport et la mobilité qu’au niveau des ménagers. Les gains d’efficacité sont très importants. Le champ des domaines concernés est très large : optimisation de la taille des réseaux, optimisation du mix des réseaux, partage des réseaux, gestion de la demande, optimisation de la maintenance, optimisation de la composition des flottes, approvisionnement amélioré, rapports et aide à la décision, prévention, évaluation des meilleures pratiques, conception de la valeur, construction sobre, mise en œuvre et stratégie, optimisation de la technologie, décisions de déploiement, approvisionnement plus efficace et gestion de l’offre, optimisation de la main-d’œuvre, recrutement, allocation du capital fondé sur le risque, optimisation du déploiement de réseaux intelligents, ordonnancement, achats et stocks, gestion, conception de la valeur, planification des opérations. Cela permet une meilleure synchronisation des offres et des demandes dans tous les domaines. Cela concerne aussi bien des sujets de très court terme comme l’équilibrage offre-demande, de moyen terme comme la programmation et de très long terme comme le choix d’infrastructure où même de filière industrielles.
Mais, dans le domaine de l’efficacité énergétique, il y a aussi l’apparition des filières « nouvelles ». On pense à l’hydrogène, mais en fait le sujet est plus large. Il est qualifié de Power to X (P2X). Il inclut d’autres produits comme le méthanol, l’ammoniac et les carburants de synthèse.
Le secteur de l’hydrogène peut devenir un élément central du secteur énergétique de demain. L’hydrogène est un vecteur énergétique. Une fois produit, on peut le stocker, le transporter et s’en servir comme source d’énergie. Il apparaît alors comme un débouché pour les points de production d’électricité renouvelable ou décarbonée aux coûts les moins élevés, pour les points de production d’électricité fatale (c’est-à-dire non adossée à un marché et donc induisant économiquement des prix bas, voire négatifs). Du fait du défi climatique, l’hydrogène doit être produit par électrolyse avec de l’électricité décarbonée. Par ailleurs, l’hydrogène peut être utilisé pour les applications difficiles à électrifier ou pour les applications utilisant actuellement le diesel. C’est particulièrement vrai dans le domaine du transport et de l’industrie. Dans le domaine du transport, cela concerne quasiment tous les vecteurs, les véhicules légers aussi bien que les camions et les bus, mais aussi les trains et même les drones et avions à base d’hydrogène. L’hydrogène participe également de la lutte contre la pollution de l’air (particules, NOX, autres polluants). Le sujet est donc fortement au centre des préoccupations environnementales.
La plateforme #PEPS a développé une large série de propositions dans le domaine de l’énergie et du climat. Les premières concernent la réforme de la fiscalité au service de la transition énergétique et du climat. Suivent les propositions pour faire du Grand Paris la première métropole post-carbone. Trois propositions placent les citoyens et les territoires au cœur de la stratégie énergétique de la France. Huit propositions replacent la France au cœur de la géopolitique du climat. Seize propositions nous font entrer de plain pied dans la société hydrogène.
Nous renvoyons à cette boite à outils. Nous la développons et nous restreignons aux propositions les plus saillantes. L’Europe face à ces géants va devoir adopter une stratégie plus adaptative que ce que l’on a fait dans le passé. Il faudrait arrêter le charbon en Europe et mettre en place une politique d’accompagnement social financée au niveau européen. Il faut accompagner ce mouvement d’une diplomatie pour infléchir drastiquement son usage. Comme de nombreux rapports l’indiquent l’exploration et la production de pétrole est excessive alors que l’on vise un long terme où son usage est limité à la chimie. Il faut donc dès à présent comme cela a été fait en France négocier pour que tous les pays de la planète indiquent quand ils vont arrêter son exploration et sa production : une loi Hulot mondiale. L’Europe doit également engager une dynamique de rupture sur la taxation des transports aériens et maritimes.
Ensuite au plan intérieur européen la transition énergétique européenne doit concilier économie, environnement et cohésion sociale. Il faut d’abord mettre un prix au carbone. Nous proposons un prix élevé imposé aux importations de carbone intégrées dans les biens. Cela renverserait la dynamique des fuites carbone. Nous proposons un prix à due concurrence sur la production européenne mais avec une distribution de droits correspondants gratuits. Pour le transport de fret, nous proposons un prix médian. Concernant les ménages il faudrait un prix plus bas avec des compensations de revenus pour les plus modestes. Dans le domaine de l’offre centrée sur les technologies matures et rentables, l’Europe doit continuer à développer les énergies marines et fluviales, solaire, éolienne ainsi que la biomasse. Mais le plus grand axe intérieur va être la mise en place d’une dynamique d’énergie intelligente fondée sur la transition numérique et l’hydrogène. Pour l’efficacité énergétique, la principale rupture est apportée par l’intelligence artificielle, le big data, l’internet des objets, les plateformes et la servicisation. À l’Europe de jouer !
Antoine-Tristan Mocilnikar