L’Afrique, grenier du village planétaire ?

Jean Claude Fontanive agriculture afrique
Partager  
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur email
Partager sur print

Article paru dans Géopolitique Africaine

Si l’Afrique reste la seule région du monde importatrice nette de produits alimentaires, le continent possède suffisamment de ressources (en hommes, terres et eau) pour assurer à l’échelle continentale les besoins alimentaires de tous les Africains. C’est pourquoi il y a une opportunité pour que les États prennent enfin conscience de l’urgence de remettre l’agriculture durable et inclusive au cœur de leur développement. L’autre défi est de renforcer la compétitivité des filières agro-industrielles pour participer plus efficacement au système commercial mondial et tirer tous les avantages d’un accès amélioré aux marchés de l’OCDE. Plus généralement, le secteur privé doit convaincre les décideurs africains qu’avec leur agriculture, ils disposent d’un potentiel énorme pour lutter contre la pauvreté et réduire le déséquilibre des échanges Nord-Sud, et qu’il faut protéger ce potentiel pour permettre à leurs agricultures de prendre toute la place qui leur revient, à l’exemple d’un pays comme le Brésil qui, en deux décennies, s’est hissé au rang de géant agricole pour réduire le déséquilibre des échanges Nord/Sud.

Il faut donc avoir une vision prospective des nouveaux enjeux socio-économiques africains à travers une nouvelle agriculture responsable, sociale et solidaire à valeur ajoutée partagée.

L’agriculture, qui représente pour certains une des bases de l’économie africaine, a toujours été perçue comme la clé du développement économique du continent. Un continent où les trois quarts de la population travaillent dans le secteur agricole qui fournit ainsi près de 60 % des emplois, même s’il ne contribue que pour très peu à son PIB (autour de 17 %) et ne nourrit que deux tiers de la population. Et pour cause, essentiellement composée de petites exploitations artisanales, l’agriculture africaine est avant tout vivrière. Non seulement elle ne sert globalement qu’à satisfaire les besoins locaux, mais, de plus, sa production n’a cessé de baisser ces dernières décennies, tandis que la population est, quant à elle, en constante augmentation. De 1,05 milliard estimé en 2011, elle devrait passer à plus de 1,8 milliard en 2050.

Le défi pour beaucoup de pays africains d’atteindre une croissance annuelle de 6 % de la productivité agricole d’ici 2018 afin de pourvoir aux besoins alimentaires de l’ensemble de la population de l’Afrique, paraît donc quelque peu illusoire à certains. Cependant, nombreux sont ceux qui partagent le point de vue de la ministre nigériane des finances, Ngozi OkonjoIweala, qui a affirmé lors d’une table ronde sur la sécurité alimentaire pendant le Forum économique mondial à Davos en janvier 2012 : « L’Afrique est parfaitement capable de se nourrir elle-même ». De même, le NEPAD (Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique) estime que le continent « a le potentiel pour devenir un important producteur et pour assurer sa sécurité alimentaire », à condition, évidemment, d’augmenter considérablement ses réserves de produits vivriers et sa production agricole. Le continent africain est en effet la seule région du monde où la production agricole par habitant a baissé au cours des trois dernières décennies. Non seulement le continent ne produit pas assez pour nourrir sa population, mais il n’a pas non plus les ressources suffisantes pour importer les aliments qui combleraient l’écart ainsi creusé. En comparaison, l’agriculture américaine, bien qu’elle ne contribue que pour 2 % au PIB national et n’emploie que 3 % de la population active, a su relever le double défi de satisfaire à la fois les énormes besoins des 272 millions d’Américains et d’assurer des exportations agricoles considérables.

L’Afrique possède une grande variété de zones agro-écologiques qui vont des forêts ombrophiles marquées par deux saisons des pluies à une végétation relativement clairsemée, sèche et aride, arrosée une fois par an. Si cette diversité constitue un énorme atout, elle représente tout de même un grand défi pour le développement agricole de l’Afrique. D’une part, elle offre un immense potentiel en termes de denrées et produits agricoles susceptibles d’être produits et commercialisés sur les marchés intérieurs et extérieurs. D’autre part, cette diversité exclut toute solution générale aux problèmes que pose le développement agricole sur l’ensemble du continent. Par conséquent, la programmation et la mise en œuvre d’interventions dans ce secteur doivent être adaptées aux conditions propres à chaque zone agro-écologique et à la situation socioéconomique des ménages ruraux vivant dans les différents pays du continent. Si l’Afrique reste la seule région du monde importatrice nette de produits alimentaires, le continent possède suffisamment de ressources (en hommes, terres et eau) pour produire à l’échelle continentale les besoins alimentaires de tous les Africains. C’est pourquoi, il y a une opportunité pour que les États prennent enfin conscience de l’urgence de remettre l’agriculture au cœur de leur développement.

Les grands bailleurs de fonds se sont engagés à accélérer la relance de l’agriculture des pays les plus pauvres, plutôt que de leur apporter une aide alimentaire. Des financements importants sont ou seront donc disponibles pour relancer l’agriculture africaine, mais ces moyens risquent d’être sous-utilisés si un environnement économique, institutionnel, politique et juridique favorable n’est pas mis en place par les pays africains pour amener le secteur privé à investir massivement dans l’agriculture. Surtout, puisque les financements publics ne seront pas en effet suffisants pour permettre à l’agriculture africaine de relever les défis considérables à laquelle elle est aujourd’hui confrontée. Le premier d’entre eux est bien sûr de parvenir à satisfaire la croissance de la demande alimentaire liée à la croissance démographique qui se poursuit à un rythme très élevé.

L’autre défi est de renforcer la compétitivité des filières agro-industrielles à l’exportation pour participer plus efficacement au système commercial mondial et tirer tous les avantages d’un accès amélioré aux marchés de l’OCDE pour réduire le déséquilibre des échanges Nord-Sud.

Les défis de demain

Comment atteindre tous ces objectifs ambitieux ? En synthétisant des travaux réalisés par les experts reconnus du secteur, il est apparu certains points fondamentaux qui pourraient s’inscrire dans une démarche volontariste de progrès pour l’agriculture africaine de demain. À savoir :

  • Gérer des terres et des eaux dont l’objectif est d’étendre les superficies exploitées en gestion durable des terres, et bénéficiant de systèmes fiables de maîtrise des eaux en coordonnant et en gérant les initiatives basées sur le savoir dans tout le continent.
  • Développer l’accès aux marchés en renforçant les infrastructures rurales et les autres interventions liées au commerce.
  • Accélérer la croissance dans le secteur agricole en améliorant les capacités des entrepreneurs privés (y compris les producteurs commerciaux et les petits agriculteurs) pour répondre aux exigences toujours plus complexes des marchés en matière de qualité et de logistique, en privilégiant les denrées agricoles susceptibles d’augmenter les revenus ruraux (agricoles et non agricoles).
  • Créer le cadre réglementaire et politique nécessaire pour faciliter l’émergence d’espaces économiques régionaux susceptibles de stimuler l’expansion du commerce régional et les investissements entre les pays.
  • Améliorer les infrastructures locales pour permettre aux agriculteurs africains d’être mieux reliés aux marchés, en s’intéressant aux domaines suivants : le transport (routier, ferroviaire, maritime et aérien) ; les systèmes de stockage, d’emballage et de manutention ; les installations de vente au détail.
  • Les technologies de l’information, et l’ensemble des chaînes d’approvisionnement.
  • Améliorer la compétitivité grâce à des politiques commerciales bien fondées au niveau national, régional et continental.
  • Renforcer les capacités au sein du secteur agroalimentaire et faciliter les partenariats commerciaux avec des entreprises importatrices.
  • Établir des alliances stratégiques pour créer des liens entre les industries et augmenter les investissements directs dans l’agriculture, d’origine interne ou étrangère.
  • Commerce régional : des programmes de facilitation sont actuellement en cours de financement comme par exemple dans les régions du COMESA et de la CEDEAO pour favoriser l’intégration des marchés régionaux et augmenter la compétitivité des produits locaux dans ces marchés.

Enfin, il s’agit de mettre en place des projets innovants en accélérant la promotion des entreprises africaines pour financer les initiatives communes dans le domaine agroalimentaire, ainsi que diverses formes d’association entre les entreprises. Les règles structurant les exportations africaines se fondent sur les lois américaines et européennes sur la croissance et les opportunités de développement en Afrique.

Mais il reste d’immenses chantiers comme l’approvisionnement alimentaire et la réduction de la faim dont la réalisation dépend, notamment, de l’accroissement de la productivité des petits exploitants et de l’amélioration des dispositions prises pour faire face aux urgences alimentaires.

Cette tâche délicate doit principalement concerner les populations souffrant d’insécurité alimentaire chronique et celles qui sont vulnérables aux diverses crises et urgences ou qui sont touchées par ces situations, et garantir que la croissance de la productivité agricole, la bonne intégration des marchés et l’augmentation du pouvoir d’achat des groupes vulnérables œuvrent ensemble afin d’éradiquer la faim, la malnutrition et la pauvreté. La recherche agricole doit être un impératif dans un dispositif « innovation » visant à améliorer la recherche et les systèmes agricoles afin de diffuser de nouvelles technologies appropriées. L’objectif étant de dynamiser les moyens permettant d’aider les agriculteurs à adopter ces nouvelles possibilités. L’adoption du plan d’action pour la productivité agricole en Afrique, préparé sous l’égide du Forum africain pour la recherche agricole, a permis à un groupe important de partenaires du développement de commencer à soutenir des programmes scientifiques et technologiques à des niveaux plus élevés, à l’échelle régionale et nationale. Enfin, la mise en œuvre de réseaux ouverts à un vaste éventail de partenaires intéressés sera l’occasion de présenter de manière professionnelle leurs travaux et résultats à d’autres intervenants importants, décideurs et nouveaux partenaires potentiels — dans le cadre de ce qui est notoirement la principale manifestation annuelle dans le calendrier de l’agriculture durable.

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) partage cette vision : « une agriculture moderne et durable, fondée sur l’efficacité et l’efficience des exploitations familiales et la promotion des entreprises agricoles grâce à l’implication du secteur privé. Productive et compétitive sur le marché intra-communautaire et sur les marchés internationaux, elle doit permettre d’assurer la sécurité alimentaire et de procurer des revenus décents à ses actifs ». Elle comporte un objectif général qui est de « contribuer de manière durable à la satisfaction des besoins alimentaires de la population, au développement économique et social et à la réduction de la pauvreté dans les États membres, ainsi que des inégalités entre les territoires, zones et pays ».

Ainsi, pour l’Afrique les objectifs des politiques agricoles sont vastes :

  • Assurer la disponibilité, la durabilité, la salubrité et la qualité de l’alimentation ;
  • Garantir le niveau d’approvisionnement et la stabilité des prix des denrées agricoles ;
  • Préserver l’utilisation durable de la terre et des autres ressources environnementales ;
  • Prendre en compte les aspects sociaux.

Trois axes prioritaires

Trois axes méritent une attention toute particulière.

D’abord, la fourniture de services, recherche, formation. Les politiques agricoles peuvent aussi contribuer à faciliter l’accès à l’information et à la communication : l’amélioration des moyens de subsistance et de la sécurité alimentaire par le biais d’investissements sur l’exploitation, dépend, pour les petits agriculteurs, de leur accès à des savoirs adaptés. Pour ce faire, l’élaboration et la diffusion des connaissances, à travers des systèmes qui renforcent les liens entre agriculteurs, enseignants en agriculture, chercheurs, vulgarisateurs et communicateurs, paraissent particulièrement importants. Cela renvoie à la fois aux mesures qui peuvent être prises en matière de recherche pour améliorer les techniques agricoles durables, à la vulgarisation et à la formation agricole pour améliorer le niveau de base de connaissances des agriculteurs.

Garantir la sécurité sanitaire et la qualité des aliments est un autre élément important des politiques agricoles. L’investissement pour parvenir au respect de normes élevées, tant du point de vue de la qualité des produits que de leur stockage, est cependant coûteux et long. Ces normes sont importantes non seulement pour la consommation locale mais aussi pour répondre aux critères des pays importateurs et ainsi faciliter l’accès aux marchés extérieurs. Les règles sanitaires et de sécurité protègent aussi les citoyens d’importations de produits alimentaires qui ne répondent pas aux normes et sont impropres à la consommation, ou qui menacent l’environnement. Investir dans la sécurité sanitaire et la qualité des aliments suppose aussi une meilleure prévention des épizooties et des ravageurs.

Enfin, le troisième axe, c’est la préservation de la durabilité environnementale. Les ressources naturelles mondiales, dont les ressources agricoles (terre et eau), sont pour l’essentiel non renouvelables. Tout en encourageant et en augmentant la productivité, les politiques agricoles peuvent également faire en sorte que cet appui ne se fasse pas au détriment de la pérennité de ces ressources. Elles peuvent proposer des systèmes efficaces de gestion des ressources naturelles. On peut alors également soutenir les agriculteurs par le biais de règlements les aidant à réaliser des investissements durables, mais coûteux, qui respectent l’environnement. Les politiques foncières et de gestion de l’eau peuvent garantir l’accès et les droits de ces ressources, et promouvoir des pratiques de gestion durable.

C’est en prenant en compte tous ces aspects que l’on peut se projeter et anticiper sur la réussite d’un futur géant agricole dans les quinze prochaines années.

À cette occasion Makhtar Diop a particulièrement souligné le potentiel agricole inexploité de l’Afrique. Pour tirer davantage parti de ce potentiel, les réseaux de coopération scientifique international, surtout le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (GCRAI), qui accompagne la révolution verte, doivent mettre le meilleur de la science moderne au service des agriculteurs africains. Ces efforts pourront aider à changer l’orientation de l’agriculture africaine en mettant l’accent sur l’accroissement de la productivité, sur le renforcement de l’équité et sur des pratiques agricoles plus durables.

La question se pose si la présence de plus en plus importante de la Chine sur le continent africain et le nouveau partenariat Sud-Sud pourront changer la donne pour assurer un développement agricole durable, solidaire et responsable. Le président sud-africain Jacob Zuma, exprimant son optimisme à propos des relations entre l’Afrique et la Chine, a récemment déclaré: « nous sommes heureux que, particulièrement dans nos relations avec la Chine, nous soyons égaux et que les accords conclus génèrent un gain mutuel ».

Mettre en place « une chaine du froid »

La chaîne du froid est l’élément indispensable des échanges de produits alimentaires dans le monde. Si en Europe elle est opérationnelle quotidiennement, il existe un vrai besoin dans les pays africains, d’autant que les températures maximales sont très élevées. Dans ces pays, une chaîne du froid de qualité est indispensable pour le développement des échanges avec l’Union européenne, dans le but de satisfaire les attentes des populations en termes de sécurité sanitaire, d’évolution des modes et habitudes de consommation.

La mise en place d’une chaîne de froid n’est pas possible sans réglementation : il est nécessaire d’instaurer une normalisation et des contrôles associés, qui permettront de donner un cadre indispensable à son bon fonctionnement. Selon les pays, les prévisions d’évolution des échanges de denrées alimentaires peuvent montrer jusqu’à un doublement des seuls flux entre l’Union européenne et les autres pays, notamment en ce qui concerne les fruits et légumes et les produits alimentaires transformés. La mise en place d’une chaîne du froid de qualité se fait donc de plus en plus ressentir. Elle doit tenir compte des conditions climatiques de ces pays avec des équipements de qualité, ce qui manque actuellement.

Grâce à une chaîne de froid adéquate les pays africains pourront s’ouvrir aux marchés européens avec des exportations de denrées alimentaires ainsi que de produits pharmaceutiques qu’ils produisent de plus en plus. Une logistique du froid est donc primordiale pour le développement des échanges. La mise en place d’une chaîne du froid de qualité apporte également des perspectives de réduction des pertes encore très importantes (dépassant 30 % à l’échelle mondiale) alors que les besoins des populations et des industriels ne font que de croître. Ces pertes atteignent même 40 % dans certains pays en développement, en particulier pour les fruits et légumes. Les économies de produits et les améliorations qualitatives que ces investissements pourront entraîner permettent d’envisager un retour sur investissement rapide pour tous les pays méditerranéens, ainsi qu’une amélioration des conditions de vie des populations et l’accompagnement de l’évolution des modes de vie et de consommation.

Le marché évolue et pour la première fois la motivation économique d’une réglementation sur la chaîne du froid pourrait être encore plus forte que la motivation sanitaire. Même si le coût peut s’avérer important, les économies engendrées pourraient compenser largement cet investissement. Dans le même temps, les pays de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient rejoignent l’ATP et mettent en place des réglementations nationales pour développer une chaîne du froid digne de ce nom. Il ne peut y avoir de logistique du froid sans les équipements et les services adaptés.

La mise en place d’une chaîne du froid concerne tous les maillons. Tant les usines agroalimentaires que les logisticiens qui doivent mettre en place les outils et les solutions nécessaires. Cette chaîne du froid avec des véhicules frigorifiques neufs prendrait entre 10 et 15 ans selon le renouvellement du parc de véhicules. « Une autre alternative est donc possible en introduisant des véhicules frigorifiques d’occasion sur le parc existant. Avec une réglementation adaptée et des aides à l’achat de véhicules frigorifiques neufs aussi bien que d’occasion, on peut estimer à 5 ans la mise en place d’un parc adapté selon ces conditions. Cette réussite repose également sur l’implantation de carrossiers frigorifiques en Afrique. C’est un élément indispensable qui permettra d’étendre un savoir-faire et une proximité inédite sur le territoire en co-localisation par exemple », conclut Marc Gamblin, PDG du Groupe Dhollandia.

Ces investissements entraîneront à court terme d’importantes économies du fait de la réduction des pertes, de l’augmentation de l’offre et de l’amélioration de la compétitivité de la production. Le développement de la chaîne du froid représente une véritable opportunité pour ces pays, celle de donner une valeur ajoutée à ses produits et services et la création de nombreux emplois durables.

Les accords d’échange avec l’Union européenne impliquent l’application des réglementations européennes sur la sécurité sanitaire et en particulier les règlements européens du « paquet hygiène ». Parmi les obligations de ces règlements, le respect des températures des produits tout au long de la chaîne est l’un des fondements.

Ainsi Gérald Cavalier, président du groupe Cemafroid, dans un rapport intitulé « La logistique du froid, un maillon indispensable pour le développement du commerce en Méditerranée», souligne qu’une logistique du froid est indispensable au développement des échanges.

Il est d’ailleurs significatif que dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, ce sont des entreprises ou des groupes d’acteurs essentiellement tournés vers des marchés rémunérateurs, mais exigeants, qui ont mis en place l’essentiel des chaînes et logistiques du froid performantes. A contrario, la logistique est souvent moins performante lorsqu’il s’agit du marché domestique, réputé « captif », mais celui-ci peut être tenté de privilégier les produits importés en raison d’une meilleure image, comme on le voit souvent pour les consommateurs à revenu intermédiaire ou élevé.

De leur côté, les professionnels doivent connaître et comprendre les enjeux de la chaîne du froid pour se les approprier. La nécessité de maintenir la continuité de la chaîne doit être vue comme une opportunité et non comme une contrainte. Il faut pour cela que les gains induits par une chaîne du froid de qualité soient partagés entre les différents acteurs et que la logistique du froid apporte une plus-value tangible pour tous les acteurs. Les seules économies de produits et de leur masse du producteur au consommateur constituent un gisement économique gigantesque, mais les gains portent aussi sur la qualité des produits qui permettent de les vendre plus longtemps et donc de réduire les coûts de distribution.

Renforcer la compétitivité de l’agro-industrie africaine

L’autre défi est de renforcer la compétitivité des filières agro- industrielles à l’exportation pour participer plus efficacement au système commercial mondial et tirer tous les avantages d’un accès amélioré aux marchés de l’OCDE pour réduire le déséquilibre des échanges Nord-Sud.

Ces défis, qui ne sont donc pas inconciliables, devront être relevés en surmontant plusieurs contraintes, étroitement liées les unes aux autres. Les plus importantes d’entre elles sont :

  • L’excès de centralisme et le peu d’attention portée à l’agriculture au cours des dernières décennies par les gouvernements africains font que ces pays traversent presque tous une crise agraire et rurale d’une extrême gravité dont les conséquences se manifestent déjà sous de multiples aspects : diminution du pouvoir d’achat et du niveau de vie, malnutrition croissante, décapitalisation des exploitations, disparition du savoir-faire agricole au profit d’une émigration vers les centres urbains, érosion croissante des sols, etc.
  • La détérioration des conditions climatiques, caractérisée par une réduction de la pluviométrie et par une aggravation de certains phénomènes (pics de température, inondations, etc.), conséquence probable du processus global de changement climatique.
  • Le manque de sécurisation des droits d’accès et d’usage au foncier et aux ressources naturelles, dans les pays et régions où la terre ne fait pas encore vraiment l’objet d’une appropriation privative (Afrique de l’Ouest et Afrique centrale).
  • La consommation accrue d’énergie qu’entraîne la hausse de la productivité agricole (cf. fonctionnement des équipements, systèmes d’irrigation, transformation, conservation, transport et stockage des produits agricoles, etc.).
  • Le caractère massif de la pauvreté rurale, qui constitue un frein à l’adoption d’innovations et à la réalisation d’investissements ; dans nombre de cas, cela accentue la surexploitation des ressources naturelles et provoque des tensions sociales, un exode rural accéléré, ainsi que des migrations massives vers l’étranger…
  • Les besoins croissants et non satisfaits en biens et services publics (recherche agronomique, infrastructures, éducation, formation, information, conseil technique, etc.), besoins que les États africains ne sont pas en mesure d’assumer seuls.
  • L’absence de complémentarité entre l’agriculture traditionnelle et les cultures d’exportation, ainsi que l’insertion insuffisante de l’agriculture familiale dans des filières de produits efficaces.
  • Une exposition accrue des producteurs aux risques de marché (variabilités inter- et intra-annuelles des prix), que ce soit ceux des filières destinées en priorité aux marchés nationaux et régionaux ou ceux des filières d’exportation.

Pour lever ces obstacles, les pays africains devront formuler des stratégies et des politiques publiques cohérentes afin d’accroître significativement la productivité agricole tout en enrayant la dégradation des ressources naturelles. C’est un enjeu formidable à la hauteur des possibles.

Jean-Claude Fontanive

Partager
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur email
Partager sur print
Dans la même catégorie
veille & Analyse

S'inscrire à la Newsletter

Inscrivez-vous à notre newsletter pour ne rien manquer aux actualités de la plateforme, ses nouveaux
articles, ses prochains événements, ses informations inédites et ses prochains projets.

Commentaires

Pour réagir à cet article, vous devez être connecté

Vous n’avez pas de compte ? > S’INSCRIRE

Laisser un commentaire