Le robot est-il l’avenir de l’Homme ?

Pierre-Marie Lledo Le robot est-il l'avenir de l'homme
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Il y a deux millions d’année, tandis que Homo habilis restait cantonné à l’Afrique, une autre espèce d’hominidé, Homo erectus, a quitté le continent africain pour occuper progressivement les territoires de l’Europe. C’est le début de la préhistoire dans l’ancien monde. L’Homo erectus, ainsi baptisé pour avoir adopté la bipédie, sera plus tard suivi de l’homme de Néandertal, près de 250 000 ans avant notre ère. Puis, il y a 40 000 ans, Homo sapiens, l’homme moderne, connu également sous le nom d’homme de Cro-Magnon, sortira à son tour du continent africain pour coloniser l’Europe.

Ainsi peuvent se résumer en quelques lignes les grands jalons qui ont marqué l’odyssée de l’espèce humaine. Avant même de devenir Homo sapiens, notre ancêtre explorateur était déjà Homo faber, un hominidé qui savait exploiter au mieux ses ressources, échanger des marchandises ou fabriquer des outils. Son évolution, toujours inachevée, l’amène aujourd’hui à créer des outils-machines pratiquement identiques à lui-même, pour l’assister. Désormais, des machines androïdes ou humanoïdes, construites à l’image de l’être humain, envahissent nos espaces vitaux, nos lieux de travail et même nos loisirs.

Ces machines seront-elles demain la nouvelle espèce venant poursuivre la lente transformation de l’humanité, initiée il y a quelque six millions d’années avec l’émergence de l’australopithèque ? Si tel est le cas, aimerions-nous qu’une machine puisse réellement nous ressembler ? L’apparition de ces outils humanoïdes soulève inévitablement des questions éthiques et philosophiques qui nous invitent à redéfinir l’altérité, notre perception de l’autre, ce qui est extérieur à soi. Face à une robotisation accélérée, la question de la place qu’il convient d’accorder à ces avatars humains reste plus que jamais posée.

Du canard digérateur aux machines hybrides

Rappelons que les premières machines de type androïde sont apparues à la Renaissance. Léonard de Vinci a ainsi construit un chevalier de bois et de métal ressemblant à un humain, qui pouvait être placé sur un cheval, épargnant ainsi la vie des chevaliers.

Le chevalier androïde extrait des codex de Léonard de Vinci

Après la Renaissance, les automates se sont multipliés lors d’une période caractérisée par l’influence de la philosophie réductionniste, mécanique et matérialiste, qui s’illustre par la célèbre machine de Jacques Vaucanson, « le canard automate digérateur », capable de manger, de digérer et de simuler la nage. Entre 1750 et 1950, d’autres automates ont été créés pour mimer les comportements humains, par exemple en jouant de la flûte ou du tambour. Il ne faut toutefois pas confondre les automates capables de reproduire des gestes de manière répétitive (automatique) avec les robots qui disposent, quant à eux, d’une autonomie et d’un certain degré de liberté, notamment grâce à leur aptitude à s’adapter à leur environnement.

La robotique classique débute en 1945 par une volonté farouche d’imiter le vivant, d’abord sans incorporer de matériaux biologiques. Il s’agit alors de répondre à une demande de l’industrie pour la manipulation de produits dangereux ou pour augmenter la productivité, en assistant par exemple les ouvriers sur des chaînes de montage. En toute logique, les premiers robots apparaissent sous la forme de bras articulés permettant de déplacer des objets lourds et volumineux, ou tout simplement dangereux. Sous l’influence d’auteurs de science-fiction, comme Isaac Asimov, une nouvelle discipline fait alors son apparition : la robotique.

La définition du « robot » a beaucoup évolué au fil du temps, notamment depuis la période comprise entre 1960 et 1980, lorsque l’industrie manufacturière réclamait des machines pouvant être programmées et reprogrammées. L’objectif était d’avoir la possibilité de reconfigurer les outils mécanisés de manière à accomplir plusieurs tâches ou bien d’en modifier une selon les besoins. De fait, on a longtemps estimé que la robotique se cantonnerait au secteur industriel. Après le développement de la programmation, d’autres systèmes plus complexes sont apparus, avec la perspective d’imiter certaines fonctionnalités des êtres vivants. C’est alors qu’émerge le concept de bio-inspiration, à partir duquel sont conçus la plupart des androïdes actuels.

L’androïde et le cerveau social

La dernière étape de cette évolution rapide de nos robots voit apparaître les machines androïdes ou humanoïdes. Si ces machines visent dans un premier temps à satisfaire des intérêts économiques et industriels, elles sont rapidement envisagées non pas comme un moyen de remplacer l’humain, mais plutôt comme un outil pour le servir. L’androïde ne peut alors se dissocier d’une approche anthropomorphique. Pour être un soutien, ces machines doivent satisfaire deux critères : comprendre l’être humain, puis accomplir à sa place les fonctions motrices, sensitives et cognitives, afin de lui apporter assistance. Les androïdes sont présentés, dès lors, comme une solution au problème du vieillissement de la population, qui représente un enjeu majeur dans nombre de sociétés contemporaines, comme le Japon, où les robots androïdes sont de plus en plus présents pour assister les personnes âgées. Un enjeu économique et social qui n’est pas sans poser des problèmes d’ordre éthique, philosophique et même biologique.

Parlerons-nous un jour d’empathie artificielle, comme l’on parle aujourd’hui d’intelligence artificielle ?

À travers le développement de ces robots imitant l’humain, se pose, en effet, la question de la construction du caractère social de l’humanoïde. Elle fait écho à l’influence du cerveau social et plus précisément la répercussion de l’activité des neurones miroirs, dont l’activité fait l’objet de plusieurs travaux en neurobiologie. En facilitant la répétition des gestes ou de l’action lors d’une intrication sociale avec un individu tiers, ces neurones spécifiques, découverts récemment, ont un rôle fondamental dans la cognition sociale et dans les processus affectifs liant les individus entre eux. Lors d’un déjeuner, par exemple, la personne faisant face à son interlocuteur active le même programme neuronal, sous l’influence de ses neurones miroirs, afin de se sentir en phase, même si elle n’est pas en train de savourer son déjeuner, dans une dynamique relationnelle impliquant un sentiment de partage. Même si le cerveau social a un rôle fondamental dans la construction de la relation avec autrui, sommes-nous, pour autant, prêts à voir les androïdes disposer de cette même empathie ? Parlerons-nous un jour d’empathie artificielle, comme l’on parle aujourd’hui d’intelligence artificielle ?

Vers une hybridation de la machine et de l’homme ?

L’association de la biologie et de la robotique apporte de nouvelles perspectives dans la mise au point, par bio-inspiration, de systèmes robotisés. Ces robots hybrides représentent une approche bien plus prometteuse que celle purement biologique, visant notamment à modifier le patrimoine génétique d’un individu pour qu’il puisse accomplir des tâches spécifiques. À l’Université de Reading, au Royaume-Uni, l’équipe de Kevin Warwick a ainsi développé un petit robot, nommé Gordon, dont le fonctionnement s’appuie sur une petite structure biologique contenant des neurones issus du cerveau de rongeurs. Ces neurones, par l’apprentissage de comportements relativement simples, permettent au robot d’éviter des obstacles.

Pour construire cette structure, qui peut s’apparenter à un petit cerveau, les chercheurs ont déposé les cellules nerveuses, préalablement prélevées sur l’animal, puis dissociées, sur un substrat comportant une soixantaine d’électrodes. En quelques heures, les cellules nerveuses ont établi de nouveaux contacts entre elles. Un réseau complexe de circuits nerveux s’est ainsi formé en 24 heures. Au bout de sept jours, les neurones se sont comportés de la même manière que dans un cerveau éveillé, en déchargeant spontanément des impulsions électriques pour susciter des interactions.

Par le biais des électrodes sur lesquelles il s’est développé, le réseau de neurones est connecté aux fonctions motrices de l’appareil pour en assurer le contrôle. L’apprentissage de certaines tâches s’effectue au gré des événements. Par exemple, lorsque le robot Gordon heurte un mur, le cerveau reçoit cette information sous la forme d’une stimulation, puis il apprend par répétition à contourner l’obstacle. Selon les chercheurs, le répertoire des comportements appris reste encore très limité, la structure biologique étant composée d’à peine 100 000 cellules nerveuses. Un nombre dérisoire, comparé au million de neurones que compte le cerveau d’un rat ou aux quelque 86 milliards de neurones du cerveau humain. En augmentant le nombre de neurones capables de survivre dans un milieu artificiel, les chercheurs espèrent voir un jour Gordon accomplir des tâches bien plus complexes que celle du simple évitement d’obstacle.

Après être passé progressivement des machines reproduisant les gestes humains à celles copiant la biologie, l’humanité poursuit son évolution vers une nouvelle espèce, le cyborg, un être humain ayant incorporé un ou plusieurs dispositifs électroniques dans son organisme. Il peut s’agir, tout simplement, d’un pacemaker implanté sur le cœur. Ces créatures mêlant des parties vivantes et mécaniques incarnent le mythe d’une jeunesse éternelle. En cas de cœur défaillant, il devient possible de le remplacer, d’ici à un futur proche, par un organe totalement artificiel, d’entretien facile et disposant d’une longue durée de vie. Pour définir cette nouvelle aventure humaine, le biologiste Julian Huxley a inventé, en 1957, le concept de transhumanisme, qui prône l’usage des sciences et de la technologie pour améliorer l’être humain.

L’évolution des technologies s’est notamment traduite par le développement des NBIC (Nanotechnologies, biotechnologie, informatique et sciences cognitives), un champ scientifique multidisciplinaire, qui a notamment permis de mettre au point des interfaces cerveau-machine. Celles-ci peuvent, par exemple, aider un individu à contrôler par la pensée une prothèse ou un système automatisé, simplement en retranscrivant son activité cérébrale. L’institut de réhabilitation de Chicago (RIC), aux États-Unis, a ainsi été l’un des premiers centres à équiper avec succès des handicapés moteurs d’un bras bionique. Après avoir perdu ses deux bras jusqu’aux épaules lors d’une électrocution, Jesse Sullivan, un électricien de 55 ans, a ainsi reçu une prothèse robotisée lui permettant d’effectuer des gestes précis, comme ceux nécessaires pour lacer des chaussures ou nouer une cravate, simplement par la pensée.

L’humanité poursuit son évolution vers une nouvelle espèce, le cyborg.

Mis au point par le psychiatre et ingénieur Todd Kuiken, le bras prothétique est connecté au système nerveux du patient et peut capter les commandes motrices issues de son cortex cérébral. De fait, lorsqu’un geste est planifié, les impulsions myoélectriques censées activer les muscles du bras, sont captées par des électrodes posées sur les pectoraux et analysées par un logiciel, avant d’être retranscrites en stimulation électrique pour actionner la prothèse. Grâce à des capteurs se trouvant dans la main artificielle, la force de préhension peut également être adaptée, selon l’objet à saisir. Les membres bioniques directement contrôlables par la pensée sont désormais prêts à quitter l’univers clos des laboratoires.

La qualité de vie de millions de personnes privées de l’usage d’un ou de plusieurs membres, en raison d’un accident ou d’une pathologie, pourrait être radicalement modifiée. Mais, encore une fois, ces transformations soulèvent inévitablement de nombreuses questions d’ordre éthique et philosophique. Jusqu’à quel niveau peut-on changer ou supprimer ce qui compose l’être humain ? Après ces apports technologiques, pourra-t-on encore considérer l’être humain comme une entité indivisible et capable d’émotion ? Cette convergence technologique, qui accentue la confusion entre le naturel et l’artificiel, amène ainsi à se questionner sur le devenir de l’espèce humaine, dans sa forme biologique, et à redéfinir le socle de nos valeurs culturelles.

Conclusion

À travers l’usage des outils, nos fonctions cognitives ne cessent de se transformer. Comme avec la naissance de l’écriture, qui a profondément modifié nos capacités de mémorisation, l’être humain se transformera au contact des robots androïdes. À la condition que le principe d’égalité soit respecté, en popularisant l’usage de ces machines. L’époque actuelle est comparable aux débuts de la paideia, ce système d’instruction inventé par les Grecs pour favoriser l’apprentissage et le développement de l’écriture, ou encore à l’apparition de l’imprimerie, qui contribua à la diffusion des livres et de la connaissance.

Si ces révolutions anciennes ont eu un grand succès, c’est en partie grâce aux efforts de diffusion massive. Le succès de l’avènement des androïdes au service de l’humain ne dépendra que de cette volonté de diffuser, partager et interconnecter ces nouvelles machines, au service de l’humanité. Dans le cas contraire, la promesse d’une vie meilleure aux côtés des robots ne sera qu’un bref éclat, comparable à celui des astres, dont la lumière nous parvient aujourd’hui, alors qu’ils sont éteints depuis fort longtemps.

Quelques points de réflexion

L’idée d’être assisté par des robots humanoïdes, ou d’augmenter ses capacités grâce aux techniques issues de la recherche dans le domaine des NBIC, amène à de nouvelles réflexions : l’utilisation des bio-nanotechnologies et des neuro-technologies ne vise plus seulement à aménager l’environnement pour l’adapter à l’être humain. Il s’agit plutôt de transformer l’humain pour augmenter ses performances et le rendre adaptable à tous les milieux, quelles que soient les situations. Le développement des nanotechnologies présente un risque potentiel pour la santé et l’environnement, encore difficile à évaluer et à maîtriser.

Alors que les recherches en toxicologie ne permettent pas encore de lever les incertitudes, faut-il appliquer le principe de précaution ? Le bio-mimétisme peut constituer une approche bénéfique dans le développement des sociétés humaines, en termes de durabilité, par analyse des organisations et des systèmes sociaux, optimisation des formes, des structures, de l’architecture, ce qui peut amener à autoriser des reconfigurations radicales pour l’humanité. L’évolution des robots humanoïdes pose la question de l’altérité. Quels seront les moyens d’interagir avec eux ? Qu’est ce qui va nous différencier ? L’existence de cet alter biosynthétique représente-t-elle une menace pour l’humanité ? La question d’attribuer une capacité d’empathie au robot est sérieusement posée. Ces avancées technologiques laissent entrevoir des perspectives enthousiasmantes et porteuses d’espoirs. Elle soulèvent néanmoins une question fondamentale : tous les possibles sont-ils souhaitables ?

Pierre-Marie Lledo

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