L’industrie financière a pris conscience des enjeux climatiques, et doit se
mobiliser. Le monde de la finance est resté longtemps absent des débats sur la lutte contre le changement climatique. Fin 2014, le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki Moon, lance l’« Agenda des acteurs non étatiques », appelant les acteurs économiques à prendre des engagements pour le climat. Dès le printemps 2015, la France organise le premier « Climate finance day » rassemblant plus de 1000 professionnels, où sont annoncés les premiers engagements de « décarbonation » de grands actifs financiers.
L’article 2 de l’Accord universel de Paris sur le climat signé à l’issue de la COP21, fixe comme objectif de « rendre les flux financiers compatibles » avec l’objectif des 2°C. L’année suivante, la plus haute autorité de régulation financière, le Conseil de stabilité financière du G20, reconnait le changement climatique comme un risque financier majeur.
Depuis, les engagements verts se multiplient parmi les acteurs de la finance (comme l’exclusion des activités liées au charbon). Ainsi, le 26 juin 2018, 77 investisseurs qui pèsent 34 000 milliards de dollars, c’est-à-dire la moitié du capital investi dans le monde, ont adressé une lettre ouverte aux dirigeants du G20 pour leur réclamer des mesures d’urgence afin de lutter contre le réchauffement climatique.
Des initiatives ont également été lancées par les pouvoirs publics pour encourager la finance responsable : offres de fonds labellisés dans la Loi Pacte, portage au niveau européen des obligations de transparence, projet de standard pour les green bonds (obligations vertes) et d’écolabel européen, création du label GreenFin (ex label TEEC), intégration de la biodiversité aux indicateurs de reporting financier, création d’un observatoire des engagements du secteur financier et d’un mécanisme de contrôle par l’Autorité des marchés financiers. Elles doivent encore faire la preuve de leur efficacité pour opérer une réorientation structurante des flux financiers.
La transition écologique exige la mobilisation massive de la finance privée.
Au niveau mondial, les besoins de financement d’infrastructures vertes sont
estimés à 6 000 milliards de dollars par an d’ici à 2030. On en est loin : en 2016, le flux de financements mondiaux dédié au climat représentait 410 milliards de dollars (dont 2/3 du secteur privé) tandis que les investissements en infrastructures carbonées atteignaient 825 milliards de dollars selon l’Agence internationale de l’énergie.
Ce montant représente 5% de plus que ce qui serait réalisé par le marché dans un scénario ordinaire (business as usual), mais il n’est pas simple à mobiliser, pour des raisons systémiques. Les investissements concernés présentent de très bons taux de rendements internes sociaux, ce qui signifie qu’ils sont effectivement utiles pour la société, mais leur taux de rendement interne économique, celui qui est examiné « classiquement » par le système financier traditionnel est faible.
Les opérateurs financiers, agissant très souvent pour compte de tiers, ne peuvent ou ne veulent pas les financer. Il faut donc trouver des mécanismes afin d’inciter au financement de ces investissements socialement pertinents.
En France, où les besoins sont estimés à 60 milliards d’euros par an (source I4CE), les flux d’investissements verts se montent à 32 milliards d’euros par an, l’objectif est donc atteignable.
Le financement de la transition écologique et énergétique a été initialement abordé sous l’angle du financement public, à travers des instruments fiscaux (comme la taxe carbone) ou budgétaires – dès le Grenelle de l’environnement dans les lois de finances 2009 et 2010 puis par la création en 2015 d’un fonds de financement de la transition énergétique et au travers des mécanismes de soutien au développement des énergies renouvelables, de la mobilité propre et de l’efficacité énergétique.
Dans une période où l’argent public est rare et où le consentement à l’impôt atteint ses limites, il faut réorienter l’ensemble des marchés financiers, de l’épargne individuelle aux actifs industriels, vers le financement de projets écologiques – qui réduisent pollutions, consommation d’énergie et de ressources, fragilité face aux risques de leur secteur d’activité. Ces financements doivent contribuer à un modèle de développement qui garantisse à la fois le progrès environnemental et le progrès social, par le gain de pouvoir d’achat des ménages, de compétitivité des entreprises et la création d’emplois.
La résilience des actifs économiques impose la prévention du risque climatique. Le changement climatique fait peser des menaces grandissantes sur nos populations et nos économies. Ses impacts génèrent un coût social, particulièrement élevé pour les sociétés en développement et les économies émergentes.
Il faut penser la résilience des investissements pour qu’ils résistent aux conditions climatiques futures. Les épisodes catastrophiques et les interruptions de service étant plus probables, il faut intégrer, dès le design, l’ingénierie et le business plan, à des dispositions accrues d’adaptation, de continuité d’activité, de gestion de crise et de reprise accélérée.
L’assurance, confrontée à l’indemnisation de catastrophes qui se multiplient, est un acteur clé pour accélérer la mise en œuvre d’une telle dynamique. Les assurances sont détentrices d’actifs financiers de 31 000 milliards d’euros au niveau mondial. Elles sont devenues les premiers investisseurs dans la lutte contre le dérèglement climatique. Emboîtant le pas aux compagnies européennes, une première compagnie d’assurance américaine a décidé de se désengager du charbon le 1er juillet 2019.
12 propositions pour un système financier orienté vers la transition écologique
Améliorer la rentabilité et réduire les risques des projets verts
1. Mettre un prix sur les externalités climatiques
2. Mobiliser les investisseurs publics pour orienter le marché
3. Réduire les incertitudes réglementaires sur les projets verts
Convertir le secteur financier à la lutte contre le changement climatique
4. Préciser et renforcer les reportings climat des institutions financières
5. Aligner les perspectives de financements privés sur l’objectif des 2°C
6. Imposer un reporting climat pour les actifs investis sur les marchés financiers
Verdir les produits financiers et stimuler l’engagement public et citoyen
7. Durcir la réglementation pour pénaliser le financement d’actifs bruns
8. Faire des entreprises et des territoires les promoteurs de la finance responsable
9. Systématiser les critères de résilience dans les contrats d’assurance
10. Créer un label « placement vert » à destination des épargnants
11. Eco-conditionner les allègements fiscaux sur les produits d’épargne
12. Promouvoir la finance participative dans les projets verts
Améliorer la rentabilité et réduire les risques des projets verts
Le marché privé ne finance que des projets rentables et dont la rentabilité est proportionnée au risque perçu. Pour réorienter les sommes nécessaires sur les marchés financiers il faut rendre plus rentables ou moins risqués les projets d’énergies renouvelables, d’efficacité énergétique ou de mobilité durable. Certains d’entre eux sont déjà recherchés par les investisseurs.
1. Mettre un prix sur les externalités climatiques
Des mécanismes fiscaux (taxe carbone, crédits d’impôt) ou de marché (quotas carbones, crédits volontaires, certificats d’économie d’énergie…) permettent de mettre un prix sur les externalités positives ou négatives sur le climat et l’environnement.
Ce prix impacte les revenus des projets, en améliorant ainsi la rentabilité des projets verts ou en dégradant celle des projets bruns. Ces mécanismes permettent ainsi d’orienter les investisseurs vers les projets verts.
2. Mobiliser les investisseurs publics pour orienter le marché
L’État, ses agences, ou les collectivités locales peuvent orienter les investisseurs en prenant part au capital de projets innovants, dont le niveau de risque est jugé trop élevé par les acteurs du marché, pour les conforter et rassurer les investisseurs.
En assumant le coût des études d’ingénierie financière et en « essuyant les plâtres » sur les premiers projets, l’intervention des investisseurs publics peut accélérer la courbe d’expérience de l’industrie financière sur les projets verts.
3. Réduire les incertitudes réglementaires sur les projets verts
Les investisseurs sont attentifs aux risques réglementaires : stabilité de la réglementation, réduction des incertitudes et des délais de mise en œuvre. La réglementation sur les projets verts doit être conçue comme un contrat entre l’État et les parties prenantes, en explicitant les objectifs ainsi que les critères et les modalités de révision.
Le dispositif des certificats d’économie d’énergie, avec sa gouvernance inclusive, son système de périodes d’obligations prévisible et son processus transparent de revue du niveau d’obligations et des actions ouvrant droit à certificats, en est une bonne illustration.
Convertir le secteur financier à la lutte contre le changement climatique
Nous formulons plusieurs propositions relatives au système financier proprement dit, à intégrer au niveau français ou, de préférence, européen.
4. Préciser et renforcer les reportings climat des institutions financières
La transparence est un préalable nécessaire à toute politique de verdissement de la finance. À cet égard, la France a pris une avance significative en imposant dès 2015 (Article 173-VI de la loi de transition énergétique pour la croissance verte) aux investisseurs institutionnels de publier chaque année des informations sur leur prise en compte des risques liés au climat et des objectifs de transition bas carbone.
Après deux exercices complets en 2016 et 2017, on constate une généralisation de la prise de conscience des enjeux climat chez les grands acteurs financiers français, mais également une grande hétérogénéité dans la structure, les méthodes et la précision des reportings, et par conséquent une difficulté à appréhender la situation globale et à comparer les progrès accomplis (ou non). Nous proposons donc de préciser dans les décrets d’application de l’article 173 de la loi de transition énergétique les modalités de reporting climat des institutions financières :
- D’imposer une structure de reporting commune, issue de la « Task Force on Climate-Related Financial Disclosures » du Conseil de stabilité financière du G20.
- De définir une labellisation (« taxonomie ») commune des actifs verts, basée sur les travaux au niveau européen de la BEI du Groupe d’experts de haut niveau sur la finance durable de la Commission européenne.
- De créer une définition commune des actifs carbonés (bruns) et d’exiger la publication des flux d’investissements annuels dans ces actifs bruns.
- De renforcer la transparence des acteurs bancaires : aujourd’hui les banques ne sont assujetties aux obligations de l’article 173 que pour leur activité de gestion d’actifs, mais pas pour l’essentiel de leurs activités ; nous proposons d’intégrer au reporting leurs prêts aux particuliers et à l’économie et leurs autres activités d’intermédiation financière en imposant la traçabilité de ces prêts, permettant ainsi au client de choisir son établissement de crédit en fonction de sa responsabilité environnementale.
5. Aligner les perspectives de financements privés sur l’objectif des 2°C
Les reportings climat sont indispensables, mais ils regardent le passé et ne disent rien de l’enjeu essentiel du futur, à savoir si le rythme de la transition est suffisant et si l’industrie financière dans son ensemble et chaque institution financière en particulier progressent sur une trajectoire compatible avec les 2°C (voire les 1,5°C). Pour cela, il faut concevoir des scénarios d’alignement des financements privés sur l’objectif des 2°C (voire des 1,5°C), par type d’actifs (immobilier, infrastructures, entreprises) et par secteur. L’alignement de la finance sur l’accord de Paris est corrélé à l’alignement de l’économie réelle et à celui des politiques publiques.
La conception de ces scénarios nécessitera de mobiliser la recherche en économie du climat. La stratégie nationale bas-carbone (SNBC) est un bon point de départ, mais il faut traduire ses objectifs opérationnels en objectifs de financement, thématiques, sectoriels et micro-économiques. En outre, la SNBC ne s’applique qu’à la France alors que les portefeuilles des grands acteurs financiers sont fortement internationalisés.
6. Imposer un reporting climat pour les actifs investis sur les marchés
Le secteur financier s’est déjà positionné vers des portefeuilles « verts ». Nous proposons d’accélérer le mouvement en demandant aux banques, assurances et sociétés de gestion commercialisant leurs fonds en France de publier un reporting climat sur leurs portefeuilles d’investissements.
L’expérience du Fonds Vert sur le climat, et de son exigence dans le traitement d’un dossier de demande de financement pousse à développer et faciliter le Partenariat Public Privé, pour répondre aux besoins de financement et accélérer le financement d’investissements mixtes d’adaptation et d’atténuation (notamment dans le domaine de l’eau).
Verdir les produits financiers et stimuler l’engagement public et citoyen
7. Durcir la réglementation pour pénaliser le financement d’actifs bruns.
La réglementation financière (Bâle III, CRD IV) établit les ratios de solvabilité et de liquidité auxquels les établissements financiers doivent se conformer. Elle définit notamment pour chaque type d’actif, une quantité de fonds propres que l’établissement financier doit détenir, proportionnelle à la valeur de cet actif et à son niveau de risque.
La modulation de ce ratio en fonction de l’impact écologique de l’actif détenu, soit en diminuant ce ratio pour les actifs verts (green supporting factor) soit en l’augmentant pour les actifs bruns (brown penalizing factor) est un outil puissant et systémique d’orientation des financements vers les actifs verts.
Nous préconisons de pénaliser les actifs bruns, dans la mesure où il est bien établi que l’industrie financière sous-estime les risques de perte de valeur à long terme des actifs bruns (le charbon n’en constituant que la partie émergée)
8. Faire des entreprises et des territoires les promoteurs de la finance responsable.
Les obligations vertes (green bonds) sont en train de s’imposer comme un outil de financement de la transition énergétique pour les collectivités locales (régions, villes) et les entreprises de services aux territoires (énergie, eau, déchets, transport…). Ce mécanisme financier permet de lever des fonds auprès d’investisseurs afin de financer des projets respectueux de l’environnement. Gestion des transports, traitement des déchets, efficacité énergétique des bâtiments, reconquête de la biodiversité et adaptation aux risques, les leviers sur lesquels les villes peuvent agir en faveur du climat sont nombreux.
Les émissions d’obligations vertes par les acteurs publics pourraient être encouragées par le versement en France d’une prime, et faire l’objet d’une campagne nationale de communication. Par ailleurs, les collectivités locales doivent être incitées à la transparence sur leurs établissements de crédit et partenaires financiers, en indiquant sur quels critères sociaux et environnementaux ils ont été choisis.
9. Systématiser les critères de résilience dans les contrats d’assurance.
Il est indispensable d’accroître la sécurité financière pour renforcer la résilience des personnes et des sociétés affectées par des phénomènes météorologiques extrêmes et ainsi contribuer à l’application de l’Accord de Paris, le programme de développement durable à l’horizon 2030, Agenda 2030 et le Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe sur la période 2015-2030. Nous proposons de mobiliser le Partenariat mondial InsuResilience pour des solutions de financement et d’assurance des risques climatiques et de catastrophes que les pays du G20 et du V20 ont lancé conjointement à la COP 23 en 2017.
La France peut demander à ce Partenariat de proposer des critères accrus de résilience qui permettent de flécher les investissements vers les mieux conçus pour résister aux conditions climatiques. La France proposerait l’adoption de ces critères aussi bien dans les domaines de l’assurance, de l’investissement que du financement. Ce serait notamment le cas de tous les financements publics bilatéraux et multilatéraux.
10. Créer un label « placement vert » à destination des épargnants.
L’accélération de la transition de la finance ne se fera pas sans une mobilisation des épargnants eux-mêmes. Or les obligations de reportings s’appliquent à la communication vers les investisseurs, pas vers les clients finaux.
Dès maintenant et plus encore lorsqu’il sera possible de mesurer l’alignement des financements avec une trajectoire à 2°C, il est nécessaire de mieux communiquer aux clients finaux la qualité climat des placements qu’ils sont amenés à choisir, notamment lorsqu’il s’agit de produits composés de type fonds ou OPC.
L’arrivée sur le marché de l’épargne de jeunes générations plus soucieuses de l’éthique de leurs choix de consommation représente une opportunité. Nous proposons de créer un label « placement vert », permettant de qualifier le contenu vert des placements proposés aux particuliers et aux PME.
11. Eco-conditionner les allègements fiscaux sur les produits d’épargne.
L’État dispose d’un outil d’incitation de la demande en placements verts à travers la fiscalité favorable qu’il consent à certains produits d’épargne. Aujourd’hui, tout allègement de la fiscalité sur l’épargne devrait être conditionné à une part, croissante dans le temps, de financements verts, et décroissante dans le temps de financements bruns produits à partir de l’épargne ainsi collectée.
Les produits d’épargne préférés des Français, le Livret A et le Livret Développement Durable et Solidaire doivent être les premiers visés. Ce dernier fait l’objet, à juste titre étant donnée sa dénomination, d’interrogations régulières sur son usage. Cette part verte s’appliquerait à la fois à la part centralisée à la Caisse des dépôts (environ 60 %) et à la part conservée dans les bilans des banques collectrices de l’épargne. À terme, la défiscalisation des PEA et des AssurancesVie pourrait également être conditionnée à la souscription d’une part minimum de fonds labellisés verts.
12. Promouvoir la finance participative dans les projets verts.
Le développement de la finance participative dans les projets verts constitue un vecteur de prise de conscience et d’action citoyennes des enjeux du financement de la transition écologique et énergétique. Nous proposons que les entreprises et les collectivités locales qui souhaitent verdir leur mode de financement (obligation, prêt, action) s’engagent, via une charte, à en réserver une part au financement participatif.
Cette note a été coordonnée pour PEPS par Nicolas Chung et Hélène Peskine. Elle a été débattue lors de l’atelier du 17 avril 2019 et sur la plate-forme en ligne. Elle n’engage ses auteurs qu’à titre individuel.