La transition énergétique : enjeux et perspectives

Alexandre Rojey transitions énergétique
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L’énergie représente un facteur essentiel du développement économique et social. Privée d’énergie, une cité moderne perd ses moyens de communication, de signalisation, de transport, de chauffage. Les progrès réalisés au cours du XXe siècle ont été accomplis grâce à l’utilisation d’une énergie abondante, d’une grande souplesse d’utilisation et relativement bon marché, le pétrole. Une transition énergétique s’avère toutefois nécessaire. D’une part, les ressources en combustibles fossiles et notamment en hydrocarbures sont limitées, ce qui fait peser une menace sur les approvisionnements futurs, même si cette menace s’est quelque peu éloignée en raison de la mise en production d’hydrocarbures non conventionnels et en particulier d’hydrocarbures de roche-mère.1

D’autre part, l’impact sur l’environnement de la consommation de combustibles fossiles s’avère de plus en plus préoccupant. En effet, le réchauffement climatique provoqué par les émissions de gaz à effet de serre qui accompagnent la consommation d’énergie risque de devenir catastrophique pour l’ensemble de la planète. Ses premiers effets deviennent de plus en plus apparents et nécessitent une réponse urgente.

Les contraintes de la transition énergétique

Les problèmes liés à la consommation d’énergie sont aggravés par la croissance continue de la demande, qui augmente notamment en raison de la progression démographique. La population mondiale devrait passer de 7,6 milliards d’habitants en 2017 à environ 9,7 milliards d’habitants en 2050, selon le scénario médian des prévisions de l’ONU.2 Par ailleurs, la consommation d’énergie primaire par habitant croît avec l’amélioration du niveau de vie. Elle devrait passer de 1,7 à environ 2,2 tonnes équivalent pétrole3 par habitant et par an en 2030, si les tendances actuelles se poursuivent.

Le nombre de véhicules dans le monde, qui était de 220 millions en 1970 et qui s’élève actuellement à environ 1 milliard, devrait atteindre près de 2 milliards d’ici 2030. Le transport représente dans le monde 30 % de la consommation d’énergie, mais surtout près de 55 % de la consommation de pétrole, dont les transports routiers et aériens dépendent jusqu’à présent presque totalement. Les combustibles fossiles assurent aujourd’hui environ 80 % de la fourniture d’énergie primaire dans le monde. Cette part ne devrait évoluer que lentement dans les années à venir. Selon le scénario de référence New Policies de l’AIE,4 la part des énergies fossiles devrait diminuer à l’horizon 2040 pour descendre à 74 %, en restant néanmoins largement prépondérante dans les années à venir. La majeure partie de l’accroissement de la demande proviendra des pays en développement et des pays émergents. Dans ces conditions, il apparaît clairement qu’au niveau mondial la transition énergétique ne pourra pas être achevée rapidement et qu’en particulier le remplacement des énergies fossiles par des énergies à bas niveau carbone se poursuivra bien au-delà de 2050.5

La problématique du réchauffement climatique

Le dioxyde de carbone émis par les combustibles fossiles se comporte comme un gaz à effet de serre, en provoquant un réchauffement de la surface de la Terre. Le dioxyde de carbone est le gaz qui contribue le plus à l’effet de serre (pour 76,7 %, dont 56,6 % provenant des combustibles fossiles et 17,3 % de la déforestation et de la décomposition de la biomasse). Les autres gaz à effet de serre sont le méthane, le protoxyde d’azote, ainsi que quelques gaz industriels.

1 – Évolution de la part des combustibles selon l’AIE

Du fait de la croissance de la demande et de la part prédominante des énergies fossiles dans la fourniture d’énergie primaire, des quantités croissantes de CO2 sont émises chaque année, ce qui entraîne une augmentation très rapide, à l’échelle des temps géologiques, de la teneur en CO2 dans l’atmosphère. Celle-ci est déjà passée de 270 ppm6 vers 1850, au début de l’ère industrielle, à 410 ppm en 2018, tandis que la température moyenne sur la surface du globe a augmenté depuis le début de l’ère industrielle de 0,85°C.

Selon le 5e Rapport du GIEC, si la tendance actuelle se poursuit, l’élévation de la température moyenne pourrait atteindre 2,6 à 4,8°C d’ici 2100.7 En l’absence des mesures adéquates, la famine, le manque d’eau, les inondations et les risques accrus d’épidémies pourraient affecter des millions de personnes, entraînant des migrations massives et des conflits. Les scénarios d’évolution des émissions de CO2 envisagés par le GIEC sont représentés sur la figure 2. Seul le scénario le plus favorable conduisant à une réduction par un facteur de 2 au niveau mondial les émissions de gaz à effet de serre permet de limiter l’élévation de la température moyenne à 2°C.

Au cours de la COP21 à Paris, un nouvel objectif de limitation de la température moyenne à 1,5°C a été fixé. Toutefois, dans les circonstances actuelles, cet objectif paraît assez peu réaliste, étant donné que la limite de 2°C sera déjà très difficile à respecter.

Le rapport Stern a estimé à plus de 5 500 milliards d’euros l’impact économique du changement climatique en l’absence de mesures rapides.8 Pour éviter les conséquences les plus catastrophiques d’une telle évolution, il faudrait d’ici 2050 limiter la teneur en gaz à effet de serre dans l’atmosphère à 450 ppm en équivalent CO2. Cela implique de diviser par 2 d’ici 2050 les émissions de CO2 au niveau mondial (par rapport au niveau de 2000). Le facteur de réduction devra être encore plus important pour les pays industrialisés, d’où le facteur 4 qui avait été retenu pour la France, avant d’être remplacé par un objectif de neutralité carbone.

Un tel facteur de réduction représente un effort considérable, car durant la période récente les émissions de CO2 dans le monde ont continué à progresser fortement, passant de 23 Gt/an en 2000 à un peu plus de 33 Gt/an en 2018.

Les moyens d’action

Il existe trois voies principales pour réduire les émissions de CO2 :

  • Efficacité énergétique et maîtrise de la demande ;
  • Réduction de l’intensité énergétique, transition aux énergies renouvelables ;
  • Captage et stockage de CO2.

La première des priorités consiste à réduire la consommation d’énergie, tout en poursuivant le développement économique, notamment dans les pays les plus pauvres. Pour y parvenir, il faut d’une part agir sur la demande, en développant la sobriété énergétique et d’autre part améliorer l’efficacité énergétique, ce qui demande un effort d’innovation et des investissements supplémentaires. Cette voie est celle qui permet d’obtenir les résultats les plus sûrs et les plus immédiats, car les moyens d’action sont disponibles et peuvent être mis en œuvre de manière relativement rapide.

Le système énergétique doit également évoluer vers un système plus durable, en engageant une transition vers des énergies à bas niveau carbone. Une telle transformation ne pourra toutefois s’accomplir au niveau mondial que sur une période assez longue. En effet, le remplacement des énergies fossiles par des énergies à bas niveau carbone se heurte à des obstacles importants. Le nucléaire est rejeté par une grande partie de l’opinion mondiale en raison des risques encourus. Le potentiel d’accroissement des énergies hydraulique, ex-biomasse et géothermale demeure limité. Les énergies solaire et éolienne qui se développent rapidement à l’heure actuelle présentent l’inconvénient d’être intermittentes et non modulables, ce qui limite leur extension.

Enfin, le troisième moyen d’action, le captage et le stockage massif de CO2 dans le sous-sol représente une solution séduisante pour éviter des émissions concentrées en provenance de grandes installations industrielles telles que les centrales au charbon. Malheureusement cette technologie est relativement coûteuse et se heurte en outre à des problèmes d’acceptation en ce qui concerne le stockage de CO2 dans le sous-sol.

Les politiques climatiques

L’Union européenne a affiché une volonté claire d’aller de l’avant. Le « paquet énergie-climat » adopté en 2007 a fixé l’objectif des « trois fois 20 » : réduction de 20 % de la consommation d’énergie par rapport au niveau de 1990, introduction de 20 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique, réduction de 20 % des émissions de CO2.

Les nouveaux objectifs fixés pour 2030 visent à réduire les émissions de CO2 de 30 %, atteindre une pénétration des renouvelables de 27 % ainsi qu’un gain sur l’efficacité énergétique de 27 %. En France, la loi de transition énergétique d’août 2015 révisée par la loi de Programmation pluriannuelle de l’énergie de 2019, porte la part des énergies renouvelables à 32 % de la production d’électricité en 2030, tandis que la part du nucléaire serait ramenée à 50 % à l’horizon 2035.9 Il est également prévu de diviser par deux la consommation d’énergie à l’horizon 2050. L’objectif de neutralité carbone en 2050 a été inscrit dans la loi.10

2 – Scénarios d’évolution des émissions de CO2 (GIEC – 5e Rapport)

Le marché européen des permis d’émissions négociables (European Trading Scheme – ETS) peut servir de modèle dans d’autres régions du monde. Des marchés de permis d’émissions ont été mis en place localement aux États-Unis et en Chine, mais le dispositif n’a pas pu être généralisé à l’échelle internationale. Le dispositif est resté pendant longtemps peu efficace en raison d’un prix très bas de la tonne de CO2, mais depuis 2018 ce prix est remonté aux environs de 25 €. En atteignant prochainement un niveau de l’ordre de 40 €, il devrait peser de manière significative sur les choix opérés.

Les négociations climatiques se sont poursuivies dans le cadre des Conférences annuelles des Nations Unies sur le changement climatique (Conference of Parties ou COP). La COP21 qui s’est tenue à Paris en 2015 a marqué des progrès significatifs. Les engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre décidés au cours de la COP21 ont été souscrits par la quasi-totalité des pays et pas seulement par les pays considérés comme industrialisés, contrairement à ce qui s’était passé au moment de l’accord de Kyoto. Toutefois, ces engagements ne sont pas contraignants et restent de toute façon largement insuffisants pour respecter la limite des 2°C.

Depuis 2015, peu de progrès ont été enregistrés au cours des négociations climatiques et la COP25 qui s’est tenue à Madrid en novembre 2019 ne marque aucun changement notable. Simultanément, les rapports successifs du GIEC insistent sur l’urgence des mesures à prendre. Ainsi, le dernier rapport publié par le GIEC en septembre 2019 indique une accélération du rythme de progression du niveau de la mer et de fonte des glaciers.11 Les vingt prochaines années seront donc décisives.

Perspectives d’avenir

De fait, la transition énergétique se trouve confrontée à un tournant difficile et les difficultés à surmonter pour parvenir aux objectifs recherchés demeurent importantes. Ces difficultés sont liées tout d’abord à la nécessité de répondre à une croissance inexorable de la demande en énergie au niveau mondial, en raison de l’évolution démographique et de l’amélioration du niveau de vie. La consommation d’énergie va continuer à progresser fortement dans les pays émergents, aujourd’hui principalement en Asie et demain en Afrique.

Par ailleurs, la capacité de production des énergies renouvelables, solaire et éolien, ne pouvant être pilotée, leur mise en œuvre nécessite soit le maintien d’une part importante d’énergie fossile en back-up soit le déploiement massif d’installations de stockage, dont le développement est freiné par la lourdeur des investissements (aménagement des sites et lignes de transport) ainsi que par le nombre limité des sites de stockage gravitaire disponibles. L’association renouvelables-nucléaire est peu satisfaisante en termes économiques, car elle nécessite le maintien d’une puissance nucléaire installée importante, tout en réduisant la production d’électricité, sans gain sur les coûts et avec un risque d’accident plutôt accru.12

L’investissement dans le secteur énergétique a stagné en 2018 au niveau de 1 850 G$, après trois années de baisses successives. D’après l’AIE, le niveau des investissements dans le domaine de l’énergie à bas niveau carbone reste largement insuffisant pour mener à bien la transition énergétique.13

Dans le domaine de la mobilité, la mise en œuvre des sources d’énergie bas-carbone, solaire, éolien ainsi que nucléaire, nécessite un stockage embarqué d’électricité au moyen d’une batterie ou sous la forme d’un réservoir d’hydrogène produit par électrolyse. Tout ceci réclame des investissements très élevés et va prendre du temps. Par ailleurs, une baisse importante de la consommation d’énergie fossile va entraîner une chute des cours en rendant ces sources d’énergie particulièrement attrayantes pour des pays dont le développement est la priorité.

L’avenir dépendra largement des politiques suivies par les deux grandes puissances économiques mondiales, la Chine et les États-Unis, qui représentent à elles seules 43 % des émissions mondiales de CO2. Il dépend aussi de ce qui va se passer en Afrique, en raison de la poussée démographique sur ce continent. D’importantes incertitudes subsistent concernant la politique suivie par les pays qui sont déjà ou qui vont devenir les principaux émetteurs de gaz à effet de serre.

L’avenir dépendra largement des politiques suivies par les deux grandes puissances économiques mondiales, la Chine et les États-Unis, qui représentent à elles seules 43 % des émissions mondiales de CO2. Il dépend aussi de ce qui va se passer en Afrique, en raison de la poussée démographique sur ce continent. D’importantes incertitudes subsistent concernant la politique suivie par les pays qui sont déjà ou qui vont devenir les principaux émetteurs de gaz à effet de serre.

Dans tous les cas de figure, les actions visant à réduire l’ampleur du dérèglement climatique sont essentielles à mener, ce qui implique de progresser sur la voie de la transition énergétique. Progresser vers la neutralité carbone contribue à améliorer les perspectives d’avenir et à préparer l’avenir, car les mesures à prendre dans ce domaine deviennent inéluctables. Partout dans le monde, l’opinion publique est de plus en plus disposée à soutenir de pareilles mesures. C’est là le principal atout dont dispose la communauté internationale pour mener à bien la transition énergétique.

Alexandre Rojey

1 Le fameux « gaz de schiste », dont il est souvent question, est en fait un gaz de roche-mère.

2 World Population Prospects, United Nations, 2019 Revision.

3 TEP : tonne équivalent pétrole (énergie dégagée par une tonne de pétrole, soit 41,8 GJ).

4 IEA, World Energy Outlook, 2018 et 2019.

5 Alexandre Rojey, Energy and Climate – How to achieve a successful energy transition, Wiley, SCI, 2009.

6 PPM : partie par million.

7 IPCC Synthesis Report, Climate Change, 2014.

8 Nicolas Stern, Review on the Economics of Climate Change, 2006.

9 L’évolution de la part du nucléaire fait toutefois l’objet de débats tendus, dont l’analyse déborde le cadre de cet article.

10 Stratégie française pour l’énergie et le climat – Programmation Pluriannuelle de l’Energie, 2014-2023, 2024-2028, Ministère de la transition écologique et solidaire, 2019.

11 IPCC Special Report on the Ocean and Cryosphere in a Changing Climate, September 2019.

12 Dominique Finon, Les incohérences de la transition électrique au regard de la politique de transition énergétique, Responsabilité & Environnement, Annales des Mines, Janvier 2019.

13 IEA, World Energy Investment 2019, May 2019.

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