Le secteur privé, contributeur à la neutralité carbone collective

David Laurent EPE neutralité carbone ZEN50
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En 2020, la neutralité carbone s’impose à tous comme un objectif et une étape incontournable des stratégies de lutte contre la crise climatique. La France a gravé dans le marbre l’objectif de neutralité carbone en 2050 avec la promulgation de la loi Énergie et climat le 8 novembre 20191 et les chefs d’État de l’Union européenne ont endossé un objectif similaire lors du Conseil européen du 12 décembre dernier. Une question reste centrale : que faut-il faire pour que l’ensemble de la société et de l’économie réussisse cette transformation ?

Afin d’examiner les conditions de la réalisation de la neutralité carbone de la France, nous présenterons les enseignements de l’étude ZEN2050,2 une exploration collective d’entreprises. Puis, nous examinerons le rôle de la mobilisation du secteur privé et les défis associés.

Fin 2015, l’Accord de Paris fixait dans son article 4-1 l’objectif de « parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle, sur la base de l’équité, et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté ». Le Plan Climat présenté en juillet  2017 par Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique et solidaire, a ensuite affiché l’engagement de la France sur la neutralité carbone à l’horizon 2050.

Les entreprises membres de l’association EpE décident alors de lancer l’étude ZEN2050 pour explorer ce que signifie une société neutre en carbone. Comment vivent les Français ? Comment se déplacent-ils, se nourrissent-ils ? À quoi ressemblent les villes, les emplois, l’économie ? Est-ce faisable ? À quelles conditions ? Tout au long des 18 mois de travaux, les entreprises porteuses de l’étude et EpE ont travaillé avec le soutien d’un groupement d’experts, et en établissant de nombreux contacts avec des experts académiques, des acteurs du monde économique et de la société civile.

La neutralité carbone est possible

Le premier et principal résultat est que la neutralité carbone est possible, économiquement, technologiquement et socialement. Cette neutralité est compatible avec la croissance économique. La transition devrait être légèrement favorable à l’emploi, avec toutefois des besoins importants de transformation à l’intérieur des secteurs ou entre secteurs. De même, certains territoires pourraient être affectés négativement et leur reconversion devrait être aidée. L’investissement dans cette transformation devrait être considérable, à la fois privé et public. Cependant, l’étude n’aborde pas les politiques et conditions nécessaires pour que les hypothèses de croissance soient réalisées.

À de rares exceptions près, le déploiement massif des technologies existantes permettrait d’atteindre les niveaux de réduction requis sans attendre de ruptures technologiques. Les efforts de recherche et d’innovation dans les entreprises, en lien avec la recherche publique, pourraient au fil du temps limiter les coûts et alléger l’effort. Atteindre cette neutralité en émissions de gaz à effet de serre est également socialement souhaitable, car les changements nécessaires conduisent à des modes de vie plus sains qu’aujourd’hui, voire plus confortables.

Les modes de vie en 2050 décrits sont divers, crédibles et réalistes  ; si certaines tendances perdurent comme en matière alimentaire, d’autres devraient être modifiées  : distance domicile-travail, effets rebond de l’efficacité énergétique, modes de mobilité, isolation des logements. Il s’agit de généraliser les modes de vie actuels des consommateurs les plus moteurs en respectant la diversité des motivations et comportements. Cette transformation s’accompagnerait de nombreux co-bénéfices sur la qualité de l’air et de l’alimentation, la santé, le niveau de bruit et le cadre de vie.

Un changement sans précédent

Le second message est que ce changement est sans précédent. Dans les hypothèses retenues, la France doublerait son puits de carbone jusqu’à environ 100 MtCO2eq ; il serait ainsi égal aux émissions du territoire, elles-mêmes réduites d’environ 80 % par rapport à 2015. Cette transition est une révolution, il s’agit de réduire les émissions de plus de 4 % par an pendant les trente prochaines années, alors que pendant les vingt-cinq dernières années elles n’ont baissé que de 0,5 % par an, principalement grâce aux diminutions observées dans l’industrie.

Les grands systèmes qui structurent nos vies seraient transformés  : un habitat plus urbain, une mobilité largement électrique et fondée sur des services, une alimentation plus locale et moins carnée, une économie circulaire dans les modes de consommation comme de production, pratiquement libérée des énergies fossiles, une consommation finale d’énergie divisée par deux et un système fiscal et financier adapté à la transformation. Le développement des nouveaux usages des produits agricoles et forestiers (énergie, matériaux, chimie…) induirait certainement une tension sur la disponibilité de la biomasse, qui devient un facteur dimensionnant. La transformation appelle donc l’augmentation de sa production et une gouvernance nouvelle.

Une transformation collective et solidaire

Le troisième message est une condition : il y a besoin de tous et de toutes les solutions. Les acteurs, pouvoirs publics à tous niveaux, citoyens-consommateurs et acteurs économiques sont solidaires, ils ont besoin les uns des autres pour cette transformation, chaque catégorie ayant plusieurs rôles à jouer. La viabilité économique de la transformation est conditionnée par un niveau de coopération internationale suffisamment élevé permettant l’intégration du climat dans les règles du commerce international et en Europe dans les politiques hors-climat (commerce extérieur, transport, politique agricole commune, politique industrielle, économique et R&D…).

Au vu du retard actuel de la France par rapport à ses objectifs et de l’ampleur des transformations requises, un retard supplémentaire compromettrait l’atteinte de l’objectif annoncé dès 2017. Les vitesses de transition sont telles qu’elles demandent dès à présent des actions et politiques contraignantes, incitatives et socialement justes, avec une visibilité longue et crédible, tant pour les entreprises que pour les consommateurs. L’étude inclut également des recommandations d’actions à engager au plus tôt pour que cette transformation vers l’objectif de neutralité carbone en 2050 reste possible.

Au final, ZEN2050 est un travail est ambitieux et original, car il intègre des dimensions physiques, techniques, économiques et sociologiques de façon cohérente et plausible. En revanche, ce n’est ni une prévision, ni un engagement d’entreprises, ni une prescription normative. L’étude se conclut par une proposition faite par ces entreprises aux autres composantes de la société, grand public, pouvoirs publics et acteurs économiques, et une invitation à définir ensemble des actions pour engager la transformation.

Contribution des entreprises et défis

Lors de la COP25 à Madrid en décembre 2019, près de 800 entreprises, 73 États, 400 villes se sont également engagés dans la Climate Ambition Alliance Net Zero 2050.3 La mobilisation des acteurs non-étatiques en dehors de négociations intergouvernementales formelles, en plus d’affirmer le soutien à l’accord de Paris, est ainsi reconnu depuis la COP21 de Paris comme un catalyseur de l’action climatique. Ces actions prennent toute leur importance dans la perspective de la COP26 à Glasgow, où l’accroissement de l’ambition globale sera un enjeu essentiel. Cette dynamique ne va pas sans soulever des questions structurantes. Quelles sont les contributions attendues du secteur privé à la neutralité carbone ? Comment s’articulent engagements d’entreprises  et engagements nationaux voire internationaux ? Quels défis cela pose-t-il ?

La première responsabilité d’une organisation est de limiter les impacts de ses propres activités (sites et opérations dans le cas des entreprises). Les entreprises peuvent ainsi agir en améliorant l’efficacité énergétique de leurs processus, en réduisant leur consommation énergétique et les déplacements de leurs salariés ou en achetant de l’énergie renouvelable. C’est souvent sur ce premier niveau que les engagements de neutralité carbone individuelle des entreprises portent. L’entreprise achète alors des crédits sur le marché volontaire du carbone à hauteur des émissions qu’elle n’a pu réduire, contribuant ainsi à financer des projets qui peuvent être aussi divers que de la préservation de forêts ou la fourniture de foyers de cuisson améliorés dans des pays en développement. Bien qu’essentielles et nécessaires, ces actions sont insuffisantes : qu’elle serait la crédibilité de la neutralité d’une entreprise dans un monde où, sous l’effet de l’utilisation des produits et services qu’elle fournit, les émissions globales augmentent ?

Un second niveau d’action est donc incontournable. Beaucoup plus complexe, il implique d’agir sur les effets indirects de l’entreprise, c’est-à-dire ceux de sa chaîne d’approvisionnement ou liés à l’usage de ses produits et services. Le niveau de contrôle de l’entreprise sur ces paramètres varie significativement selon les rapports offres-demandes et l’intensité concurrentielle.

Le premier défi auquel les entreprises sont ainsi confrontées est d’agir sur les domaines où elles n’ont qu’un contrôle limité, par exemple le mix énergétique national, la maturité de certaines technologies ou les comportements de consommation des individus.

La nécessité de répondre à des défis complexes et systémiques a ainsi suscité l’émergence d’une multitude d’alliances multi-acteurs dont beaucoup sont recensées par la plateforme Nazca4 des Nations Unies. On peut ainsi citer des initiatives sectorielles comme la Fashion Industry Charter, la Global Alliance for Buildings and Construction, ou le RE100, engagements d’entreprises pour un mix électrique 100 % renouvelable.

Un second défi posé aux entreprises est la quantification de l’ampleur des réductions d’émissions nécessaires, directes et indirectes, les dernières étant généralement à la source de la majorité des émissions de gaz à effet de serre. Plus de 700 entreprises ont ainsi rejoint l’initiative Science-Based Target, qui s’appuie sur les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) afin de vérifier que les engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont compatibles avec l’Accord de Paris.

Un troisième défi est celui de la consolidation des initiatives individuelles ou collectives, telles celles précédemment décrites. Il peut être illustré de différentes manières. Tout d’abord, le paradoxe des émissions évitées : la mise sur le marché de produits ou services plus vertueux que la norme permet d’éviter la génération d’émissions par leurs utilisateurs. La reconnaissance de cette notion est essentielle puisque le processus de production associé peut alors paradoxalement entraîner une augmentation des émissions directes de l’entreprise.5 Ce concept est cependant à manier avec précaution, entre autres par rapport à la revendication des gains. Par exemple, si le collecteur, le recycleur, le fabricant et l’acheteur d’un produit recyclé s’attribuent la réduction d’émissions générée, alors le total des gains revendiqués sera bien supérieur à la réalité !

Le cumul d’engagements individuels vers la neutralité faisant trop largement recours à la compensation des émissions, aux dépens de leur réduction effective, peut également se heurter à la dure réalité physique. Les arbres ne poussant pas jusqu’au ciel et les surfaces terrestres étant limitées, le potentiel global de séquestration de carbone via la reforestation est borné dans le temps et dans l’espace. De la même façon, la substitution des énergies fossiles par de la biomasse, ressources naturelles limitées, n’est souhaitable qu’après une réduction importante des besoins énergétiques afin d’éviter que la demande puisse impacter la préservation des écosystèmes.

Ainsi, la définition de critères assurant l’intégrité environnementale des engagements vers la neutralité carbone (priorité à la réduction des émissions, développement des moyens de séquestration du carbone, contribution à la baisse des émissions globales…) sera un gage de crédibilité et différentes initiatives6 y travaillent.

Plus fondamentalement, les entreprises sont et seront ainsi incitées à transformer leurs métiers, leurs business models, leurs systèmes de gestion et leur gouvernance, que ce soit dans le cadre de leur propre neutralité carbone ou pour contribuer à celle de leur secteur ou des États. Ces transformations systémiques nécessitent l’implication de l’ensemble du secteur privé, mais également une collaboration forte avec les décideurs publics et la mobilisation des citoyens.

David Laurent

1 https://www.vie-publique.fr/loi/ 23814-loi-energie-et-climat-du-8-novembre-2019

2 http://www.epe-asso.org/zen-2050-imaginer-et-construire-une-france-neutre-en-carbone-mai-2019

3 https://climateaction.unfccc.int/views/cooperative-initiative-details.html?id=94

4 https://climateaction.unfccc.int/views/cooperative-initiatives.html

5 http://www.epe-asso.org/emissions-evitees-septembre-2017

6 Voir par exemple http://www.netzero-initiative.com

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