Lutter contre la pollution de l’air, le « tueur invisible »

Jean-Luc Fugit interview député nextsee
Partager  
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur email
Partager sur print

Entretien avec Jean-Luc Fugit, député LAREM de la 11e circonscription du Rhône.

Vous êtes particulièrement impliqué et mobilisé sur la qualité de l’air qui est pour vous un sujet majeur de la transition écologique. Pourquoi ?

L’impact sanitaire de la pollution de l’air est avéré, les travaux et études des organismes de santé, comme l’OMS, le confirment et l’étayent régulièrement.La pollution de l’air, qualifiée de « tueur invisible », occasionne environ 60 000 décès prématurés par an en France selon une récente étude européenne et coûte à notre pays 100 milliards d’euros par an selon un rapport parlementaire sénatorial de 2015. En outre, notre pays est sous le coup de procédures européennes pour non-respect des normes de qualité de l’air (principalement pour le dioxyde d’azote). C’est pour toutes ces raisons que la lutte contre la pollution de l’air doit être une priorité dans nos politiques publiques.

Que devons-nous comprendre par « pollution de l’air » ?

Par pollution de l’air, on droit comprendre pollution de proximité, celle que l’on respire et qui contient des polluants comme des particules fines, des oxydes d’azote, de l’ozone, des composés organiques, du dioxyde de soufre… Cette pollution de proximité, qui affecte notre santé, ne doit pas être confondue avec les émissions de gaz à effet de serre qui ont un impact confirmé sur le climat de notre planète dans sa globalité sans pour autant avoir un impact direct sur notre santé.

Et qu’est-ce que la « pollution de fond » dont on vous a entendu parler à l’occasion du débat sur la loi d’orientation des mobilités ?

C’est en quelque sorte la pollution moyenne à laquelle nous sommes soumis tous les jours, notamment en milieu urbain dense. Il ne faut pas la confondre avec les pics de pollutions, qui apparaissent sur quelques heures ou quelques jours. Ils permettent de rendre plus « visible » l’invisible et ont finalement la vertu d’aider à la prise de conscience, car on en parle de plus en plus ! Mais ils ne doivent pas nous faire oublier la pollution de fond, qui, par sa constance et son ampleur, représente le véritable fléau sanitaire contre lequel il nous faut lutter sans relâche !

La situation en France est-elle si critique ?

En France, même si la baisse des émissions de polluants de proximité, amorcée il y a une quinzaine d’années, a permis une amélioration globale de la qualité de l’air, des valeurs limites sont encore trop souvent dépassées dans certaines zones du territoire et pour certains polluants (oxydes d’azote, particules fines). En octobre dernier, l’Europe a condamné la France pour manquement aux obligations issues de la directive qualité de l’air, car la valeur limite annuelle pour le dioxyde d’azote est dépassée de manière systématique et persistante.

Mais quels sont les principaux contributeurs de cette pollution ?

Les polluants proviennent majoritairement des activités humaines que l’on regroupe classiquement en 4 grands secteurs : transports, résidentiel, agriculture, industrie. On notera que, au plan national, les oxydes d’azote sont essentiellement émis par les transports routiers (63 %), alors que les particules fines PM10 sont surtout émises par le chauffage au bois non performant et le brûlage de déchets verts (33 %), la construction et l’industrie (32 %), les cultures et activités agricoles (21 %) et les transports (14 %).

Et quels acteurs détiennent les leviers pour diminuer cette pollution ?

Tout le monde ! Mais je distinguerai différents types d’acteurs : l’État et les parlementaires qui définissent les politiques et dispositifs nationaux ; les collectivités territoriales, qui en fonction de leurs compétences définissent les politiques territoriales en lien avec la qualité de l’air ; les entreprises qui appliquent la réglementation, mais qui souvent s’engagent au-delà de leurs obligations ; et le citoyen qui peut agir au quotidien en choisissant par exemple un type de transport moins polluant.

Justement, en tant que député, que faites-vous pour améliorer la qualité de l’air ?

Je citerai deux nouvelles lois. D’abord la Loi d’orientation des mobilités (LOM). Une des mesures phases que j’ai portées en tant que rapporteur du Titre III de la LOM est la fin de la vente des véhicules neufs terrestres à énergie fossile d’ici à 2040, disposition qui fixe un objectif clair. J’ai souhaité assortir cet objectif d’une trajectoire toute aussi claire inscrite dans la LOM avec des dates intermédiaires, des obligations de verdissement des flottes captives et un bilan de la situation réalisé tous les 5 ans par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). La LOM comprend d’autres dispositions qui auront aussi un impact positif sur la qualité de l’air que l’on peut regrouper en 5 ensembles.

Le premier ensemble vise à favoriser les mobilités actives, en premier lieu desquelles la marche et le vélo. Nous avons considérablement renforcé les obligations de construction de pistes cyclables, facilité la construction de locaux à vélo dans les copropriétés et dans les gares et favorisé la possibilité de transporter des vélos dans les trains et les cars, de manière à développer l’intermodalité.

Un deuxième ensemble de dispositions a pour ambition de favoriser le déploiement des mobilités électriques, hydrogène et au gaz. Depuis l’équipement et le pré-équipement des parkings, en bornes de recharge jusqu’à l’augmentation du taux de réfaction pour le raccordement au réseau électrique, les mesures sont là aussi diverses et nombreuses.

Troisièmement, des mesures de la LOM incitent à l’acquisition de véhicules à faibles émissions, en fixant des obligations minimales de verdissement pour les flottes captives, publiques et privées. Ainsi, pour les flottes privées de plus de 100 véhicules, 10 % des renouvellements devront concerner des véhicules à faibles émissions en 2022, jusqu’à 50 % en 2030. Ceci permettra d’alimenter le marché de l’occasion et de rendre ces véhicules de plus en plus accessibles à nos concitoyens.

Quatrième ensemble de mesures, celles qui visent à inciter nos concitoyens à avoir recours à des mobilités plus propres et plus actives. Je citerai le forfait mobilités durables, qui permettra la prise en charge des frais de déplacement à vélo et en covoiturage, et les publicités pour les voitures qui devront être accompagnées d’un message incitatif. Enfin, des mesures spécifiques à la lutte contre la pollution de l’air ont été introduites dans la LOM comme la création des zones à faibles émissions mobilité (23 agglomérations françaises se sont engagées dans des études de mise en place), l’introduction des plans d’action pour l’air dans les PCAET ou l’affichage des vignettes Crit’Air lors de la vente de véhicules neufs et d’occasion.

Ensuite, je citerai la nouvelle Loi Énergie et Climat qui prévoit aussi des dispositions en lien avec la qualité de l’air : la réduction de la dépendance aux énergies fossiles, avec renforcement d’un objectif de réduction de la consommation d’énergie fossiles d’ici 2030, la mise en œuvre de la fermeture des 4 dernières centrales à charbon à compter du 1er janvier 2022 ainsi que la lutte contre les passoires thermiques, qui permettra de réduire les consommations d’énergie et donc certaines émissions atmosphériques.

Vous évoquez essentiellement la pollution de l’air extérieur… La qualité de l’air intérieur n’est-il pas un sujet sanitaire ?

Oh que si ! Nous passons plus de 80 % de notre temps dans des lieux clos, la qualité de l’air intérieur doit donc être prise en compte avec grand sérieux ! La bonne qualité de l’air des crèches et des écoles est déjà une cible d’actions prioritaires, qui doivent être renforcées. Mais, d’une façon générale, les logements méritent plus d’attention sur ce sujet. La rénovation thermique des bâtiments, qui vise à réduire les consommations d’énergies (chauffage et climatisation), doit selon moi, intégrer de façon plus drastique la qualité de l’air intérieur, au regard des problèmes de confinement qu’elle peut occasionner. J’ai d’ailleurs souhaité que, en tant que Président du Conseil national de l’air, l’air intérieur soit pris en compte dans les travaux de ce conseil au même titre que l’air extérieur. C’est aussi un sujet sur lequel je souhaite travailler avec différents ministres (des rendez-vous sont prévus avec Agnès Buzyn pour la Santé et Elisabeth Borne pour la Transition écologique).

Quelles sont les différentes attributions du Conseil national de l’air que vous venez d’évoquer ?

Le Conseil national de l’air (CNA) rassemble l’ensemble des acteurs impliqués dans la qualité de l’air : représentants de l’État et d’organismes publics, parlementaires, collectivités territoriales entreprises, salariés, associations notamment environnementales, experts et personnes qualifiées. Il constitue un lieu unique d’échanges d’informations, de débats, de production de propositions et d’avis. Par exemple le CNA a adopté à l’unanimité, le 11 septembre dernier, un avis sur un nouvel indice qui permettra de donner aux citoyens une information plus proche de la réalité, plus complète, plus simple à s’approprier et ce en tout point du territoire !

Cet indice va donc permettre aux Associations agréées de surveillance de la qualité de l’air de produire un indice quotidien prenant en compte les particules plus fines (PM 2,5) et de proposer une information aux habitants sur l’ensemble du territoire français et pas uniquement à ceux résidant dans les agglomérations de plus 100 000 habitants comme c’est le cas aujourd’hui. Arriver à l’adoption de cet avis n’a pas été simple, mais je suis très satisfait de voir qu’une semaine après son adoption, la Ministre Elisabeth Borne ait annoncé à l’occasion de la journée nationale de la qualité de l’air que cet avis serait suivi avec mise en place en début 2020.

Au-delà de ces exemples, divers travaux et débats sont engagés au sein du CNA, notamment sur les émissions de polluants atmosphériques en Méditerranée, sur le bilan sur les feuilles de route pour la qualité de l’air établies en 2018 dans une quinzaine de territoires, sur l’air intérieur, sur la mise en place d’une filière « économie de l’air », sur l’avancement du Plan de réduction des émissions de polluants atmosphériques, sur la mise en œuvre des Zones à faibles émission mobilité, sur le suivi des polluants pas encore réglementés, mais donc la nocivité est avérée comme les pesticides, les pollens, les particules ultrafines, le carbone suie, sur les outils d’urbanisme pour les collectivité comme les Cartes stratégiques air, sur les besoins en recherche et études…

Vous parlez de nouveaux besoins en recherche, n’avons-nous pas assez de données pour avancer ?

Pour agir efficacement contre la pollution de l’air, l’élaboration de connaissance est un besoin permanent pour mieux identifier les priorités sur le plan sanitaire (quels polluants ? lesquels ont un l’impact le plus fort ?) et mieux appréhender leur origine afin de mieux cibler les actions de réduction. Il ne faut pas oublier non plus les besoins en matière de compréhension des mécanismes réactionnels dans l’atmosphère, qui sont à l’origine des polluants secondaires tels que l’ozone.

Oui, les besoins en études et recherches sont encore importants pour répondre à ces questions, afin de guider l’aide à la décision, notamment au niveau national par exemple pour accompagner les transitions industrielles ou pour élargir la surveillance réglementaire de la qualité de l’air.

Je soulignerai par exemple la récente étude de l’ANSES sur les particules de l’air de juillet 2019 qui montre que certains polluants comme les particules ultra-fines, le carbone suie et le carbone organique doivent être prioritairement surveillés et combattus au regard de leur impact délétère sur notre santé.Le scientifique de formation et de métier que je suis rappelle que ces connaissances doivent être fiables, robustes, incontestables et partagées afin d’éclairer de manière rigoureuse la décision publique !

Comment avancer avec plus d’efficacité dans ce vaste domaine de la qualité de l’air ?

Nous devons agir politique par politique et sortir du cloisonnement qui est trop souvent la marque de l’action publique. Même si c’est moins confortable pour chaque responsable politique, il nous faut adopter une approche transversale. Il y a en effet un lien évident entre l’amélioration de la qualité de l’air et l’action en matière de mobilité, d’énergie, d’agriculture, d’urbanisme, d’industrie, d’habitat, de gestion des déchets ou encore d’occupation des sols. J’échange régulièrement avec différents ministres que je pousse à adopter des démarches de plus en plus transversales. Ces démarches ne doivent pas être réservées à la question de la lutte contre la pollution de l’air extérieur et intérieur, je crois que c’est pour l’ensemble de ce que nous souhaitons faire en matière de transition écologique et solidaire que nous devons penser l’action publique de manière transversale !

Je pourrai par exemple l’illustrer avec la question de la réduction de l’impact environnemental de notre agriculture : nous ne devons pas seulement inciter nos agriculteurs à utiliser moins de produits phytosanitaires et arrêter le glyphosate, nous devons aussi collectivement et à titre individuel agir pour accompagner nos agriculteurs, les soutenir, les respecter pour aller vers une alimentation plus saine. D’une manière générale je suis favorable à une approche ambitieuse sur le plan environnemental, mais une approche qui conduit à des choix soutenables sur le plan économiques et acceptables sur la plan social…nous devons rechercher cet équilibre en permanence pour inscrire la France sur la trajectoire d’une transition écologique véritablement solidaire de tous !

Vous n’êtes pas un professionnel de la politique, qu’est-ce qui vous a amené à vous engager dans ce domaine ?

Je suis un citoyen élu député ! Enseignant-chercheur chimiste, titulaire d’une Habilitation à diriger des recherches, Docteur en pollution de l’air, Ingénieur chimiste diplômé de l’ENSIACET (Toulouse). Je suis un pur produit de la méritocratie républicaine qui a pu, grâce à l’école publique et au travail progresser, dans la société. Mes parents étaient de modestes agriculteurs en Aveyron. Je viens donc du monde rural où progrès rime avec détermination et rigueur qui restent les fondamentaux sur lesquels je m’appuie dans ma fonction de député. J’ai toujours été très engagé sur les questions de développement durable en lien avec mes origines mais aussi mes différents travaux scientifiques.

Que faisiez-vous avant de devenir député ?

Ma carrière universitaire m’a conduit à enseigner, conduire des travaux de recherche, mais aussi à m’engager dans différentes missions d’intérêt général confiée par mes pairs (direction de département universitaire, direction de faculté, élu universitaire…). Au moment de mon élection en 2017, j’étais depuis 6 ans Vice-président en charge de l’insertion professionnelle, de l’orientation, et de la réussite étudiante à l’Université Jean Monnet Saint-Étienne (Pôle Universitaire Lyon – Saint-Étienne). J’étais fortement engagé dans ces fonctions qui m’ont amené en 2015 à être Vice-président de la conférence nationale des responsables d’orientation et insertion professionnelle des étudiants. En parallèle de cette activité à la fois scientifique d’enseignant chercheur en chimie et de politique universitaire, j’étais engagé bénévolement sur la sensibilisation de mes concitoyens aux questions de transition écologique.

Quelles sont vos grandes missions en tant que député ?

J’ai été élu député de la 11e circonscription du Rhône le 18 juin 2017. Il s’agit d’un territoire à la fois urbain, périurbain et rural constitué de 38 communes au sud du département du Rhône entre Lyon et Saint-Etienne. Je siège à la Commission permanente du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale. Je suis membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) où je travaille plus particulièrement sur les questions spatiales, la rénovation énergétique, la relation entre agriculture et production d’énergie.

J’ai été désigné au Conseil national de la transition écologique et j’ai été nommé en 2018 par Nicolas Hulot (alors ministre) Président du Conseil national de l’air. Je suis aussi, depuis septembre 2018 et pour trois ans, co-rapporteur de la mission parlementaire de suivi de la stratégie de sortie de l’utilisation du glyphosate.Enfin, je suis co-président du groupe d’études « Santé environnementale », vice-président du groupe d’étude de l’Assemblée nationale sur l’hydrogène et l’un des rapporteurs de la loi d’orientation des mobilités.

Propos recueillis par la Rédaction de NextSee

Partager
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur email
Partager sur print
Dans la même catégorie
veille & Analyse

S'inscrire à la Newsletter

Inscrivez-vous à notre newsletter pour ne rien manquer aux actualités de la plateforme, ses nouveaux
articles, ses prochains événements, ses informations inédites et ses prochains projets.

Commentaires

Pour réagir à cet article, vous devez être connecté

Vous n’avez pas de compte ? > S’INSCRIRE

Laisser un commentaire