PEPS : Quelle fiscalité environnementale pour réussir la transition énergétique ?

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Alors que la lutte contre le réchauffement climatique apparaît comme une impérieuse nécessité, et malgré l’adoption de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte en août 2015, la fiscalité n’est pas suffisamment utilisée en France pour la mise en œuvre des objectifs environnementaux, et singulièrement moins que chez nos voisins européens et autres pays membres de l’OCDE. L’épisode malheureux de l’écotaxe poids lourds en est un symptôme.

Mais la question est plus large, elle est de trois ordres :– une telle fiscalité incitative, pour être acceptée, doit faire la preuve de son efficacité du point de vue environnemental ;– son impact socio-économique (signal-prix) doit être compensé par des dispositifs de soutien aux comportements vertueux ; – elle ne peut pas être une taxe de rendement mais une taxe dont on accepte que l’assiette diminue rapidement.

La fiscalité environnementale est un instrument économique qui vise à réduire les pollutions et l’exploitation des ressources naturelles. Elle permet une prise en compte des externalités négatives générées par l’activité économique et sociale. Elle porte à la fois sur le secteur de l’énergie (consommation et production), des transports, de la pollution et des ressources naturelles, à travers des taxes ou des dépenses fiscales (réduction et crédit d’impôts).

La stratégie européenne « Europe 2020 » recommande d’accroître sensiblement la part de la fiscalité environnementale dans la fiscalité totale des États membres de l’Union européenne en atteignant la cible de 10 % afin d’atteindre les objectifs climatiques fixés par l’Union. Par ailleurs, la mise en œuvre de la fiscalité environnementale répond à des exigences constitutionnelles. L’article 4 de la charte de l’environnement de 2004, intégré au bloc de constitutionnalité, dispose que « toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi ».

Alors que les émissions de gaz à effet de serre augmentent, la mobilisation pour le climat connaît des difficultés, comme en témoigne la volonté de retrait des États-Unis, contributeur financier majeur, et les conclusions en demi-teinte de la COP23. Dans ce contexte, la France, qui souhaite être un des chefs de file de la lutte contre le réchauffement climatique, doit modifier son modèle fiscal pour l’aligner à ses objectifs climatiques.

La France accuse un retard important en matière de fiscalité environnementale malgré les récentes avancées.

En France, la fiscalité environnementale représente environ 47 milliards d’euros en 2015. Elle se décline en 36 dispositifs en 2015, dont 20 seulement ont un rendement budgétaire supérieur à 350 millions d’euros, soit environ 2 % du PIB et 4 % de l’ensemble des prélèvements obligatoires

La fiscalité environnementale est assise à environ 75 % sur la consommation d’énergie. La taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques (TICPE) disposait d’un rendement de 25,6 milliards d’euros en 2015. La contribution au service public de l’électricité (CSPE) représentait également 6,7 milliards d’euros en 2015.

Les taxes sur les transports représentent environ 17 % des taxes environnementales (taxe sur les certificats d’immatriculation (2,1 milliards d’euros) et taxe additionnelle sur les assurances automobiles (1,2 milliards d’euros).

Enfin, les taxes sur les pollutions constituent environ 7 % de la fiscalité environnementale.

Elles se composent principalement des redevances sur la pollution de l’eau qui sont acquittées par les exploitants des réseaux de distribution d’eau.

La fiscalité environnementale apparaît comme une mosaïque complexe, qui paraît peu lisible aux citoyens, et qui peut nuire à son efficacité.

Alors que la part des recettes totales issues des taxes environnementales dans le total des prélèvements obligatoires a diminué dans l’Union européenne depuis dix ans, en passant de 6,8 % à 2004 à 6,3 % en 2015, la France n’atteint toujours pas la cible de 10 % fixée par la stratégie « Europe 2020 », contrairement à la Slovénie ou à la Croatie par exemple.

Ce retard s’explique en grande partie par la faiblesse du niveau de fiscalité portant sur l’énergie dans le PIB français (1,63 % en France en 2015 contre 1,8 % en moyenne dans l’Union européenne). Une baisse structurelle de la fiscalité portant sur l’énergie a été observée au cours des années 2000, principalement à cause des taux de l’ancienne taxe intérieur sur les produits pétroliers (TIPP), qui ont progressé moins vite que l’inflation, et de la part des véhicules diesel qui ont augmenté.

Pourtant, des avancées ont été réalisées au cours des dernières années, en particulier grâce à l’entrée en vigueur de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte en 2015. Plusieurs dispositifs positifs ont ainsi été récemment mis en place pour intégrer dans la fiscalité les coûts externes liés aux atteintes à l’environnement.

L’instauration d’une composante carbone dans la taxation des énergies fossiles est un progrès important. Elle est une nouvelle composante de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) proportionnée au contenu carbone des énergies fossiles. Le taux de la contribution carbone a été fixé 7 €/tCO2 en 2014, 14,5 € en 2015, 22 € en 2016 et 30,5 € en 2017. La loi de transition énergétique a fixé un objectif de 100 €/tCO2 en 2030. Cette composante carbone a rapporté 3,5 milliards d’euros de recettes supplémentaires en 2016, soit l’équivalent de 0,2 point de PIB. Ainsi, la part de la fiscalité énergétique dans le PIB a atteint 1,9 % en 2016, ce qui la rapproche de la moyenne européenne.

Toutefois, la fiscalité pesant sur les énergies fossiles reste, de manière générale, à un niveau faible en France. De plus, la pression fiscale environnementale n’apparaît pas suffisante pour atteindre les objectifs fixés par l’accord de Paris.

Le poids important de la fiscalité en France (le taux de prélèvement obligatoire représente environ 45 % du PIB) limite l’efficacité et le développement de la fiscalité environnementale.

Enfin, le niveau des taxes sur les activités polluantes n’apparaît, de manière générale, pas suffisant. Il reste faible au regard des coûts, notamment sanitaires, que les émissions associées aux déchets engendrent. Cette taxe ne permet pas de refléter de manière efficace les coûts de dépollution et les coûts d’investissement dans les technologies disponibles moins polluantes.

Les dispositifs mis en place dans le PLF 2018, qui visent notamment à ne pas pénaliser de manière disproportionnée les classes populaires, pourraient être complétés par d’autres mesures plus ambitieuses, notamment au niveau européen.

Le PLF 2018 prévoit le rapprochement de la fiscalité de l’essence et du diesel, d’ici à la fin du quinquennat, ainsi que le renforcement du niveau de la composante de la TICPE proportionnée au carbone. La taxe carbone devrait ainsi augmenter en 2018 deux fois plus rapidement que lors des dernières années. Ces mesures vont dans le bon sens et devraient contribuer à modifier les comportements en faveur d’attitude plus vertueuse.

Toutefois, s’il convient de renforcer la pression fiscale environnementale afin d’assurer la réussite des objectifs de la transition énergétique, les classes populaires et/ou rurales, ne doivent pas être pénalisées de manière disproportionnée par ces évolutions. Le poids des dépenses énergétiques, en proportion du revenu, est sensiblement plus élevé pour les ménages pauvres. En outre, la taxation de l’utilisation des énergies fossiles pénalise fortement les populations en zone rurale et dans les villes moyennes, qui en sont fortement dépendantes (les foyers disposent souvent de plusieurs véhicules automobiles).

Plusieurs mesures d’accompagnement, principalement issues des mesures phares du plan climat présentées en juillet 2017, sont ainsi prévues dans le PLF 2018.

En premier lieu, l’extension de la prime à la conversion automobile vise à favoriser, pour les ménages disposant de véhicules anciens et diesels, l’acquisition de véhicules plus récents et moins polluants. Toutefois, son efficacité apparaît incertaine.

Accorder ce type d’aide pourrait conduire à accroître le prix de vente des véhicules d’occasion, sans bénéfice certain pour l’acheteur.

En outre, la généralisation du chèque énergie, aujourd’hui en cours d’expérimentation dans quatre départements, a vocation à lutter contre la précarité énergétique, qui constitue un enjeu majeur de la transition énergétique. Il s’agit d’une aide financière, versée sous conditions de ressources, aux foyers modestes, qui doit remplacer à terme les tarifs sociaux.

Enfin, le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) évolue en prime. Les foyers bénéficiaires pourront ainsi bénéficier d’une prime dès la réalisation de travaux contribuant à renforcer l’efficacité énergétique, ce qui contribue à fortement renforcer l’efficacité de ce dispositif, dans la mesure où les bénéficiaires ne seront plus exposées à des contraintes de trésorerie.

Propositions

1. Différencier la fiscalité des entreprises en fonction de leur impact sur l’environnement.

Il paraît essentiel que la fiscalité environnementale soit davantage assise sur le travail. En particulier, la fiscalité écologique pourrait ainsi se substituer à une partie de celle sur le travail afin notamment de différencier la taxation des entreprises en fonction de l’impact de leur activité sur l’environnement. Cela existe déjà par exemple avec la taxe sur les véhicules de société qui est progressive au détriment des véhicules les plus polluants. Cela permettrait de stimuler la création d’emplois « verts » dont la transition énergétique constitue le moteur.

2. Récompenser les collectivités « vertueuses » du point de vue environnemental.

Les dotations de l’État aux collectivités territoriales pourraient être modulées afin de récompenser celles ayant mis en œuvre des mesures en matière de développement durable, comme cela a été envisagé par certains parlementaires, au regard de la mise en œuvre leur plan climat air énergie.

3. Simplifier la fiscalité environnementale.

Un chantier de simplification de la fiscalité environnementale pourrait être ouvert, compte tenu de sa forte complexité actuellement observée. Il pourrait être confié au comité pour la fiscalité écologique.Cette simplification devra proposer une fin programmée aux niches fiscales antiécologiques (subventions cachées aux pollutions et aux énergies fossiles).

4. Développer la pédagogie.

Un travail de pédagogie pourrait être mené par les pouvoirs publics, afin de renforcer l’acceptabilité de la fiscalité environnementale, dans le contexte de forte pression fiscale. Il paraît nécessaire, dans cette optique, que les niveaux des dispositifs de fiscalité écologique reflètent explicitement les coûts la pollution qu’ils compensent.

5. Flécher – en volume financier – les recettes de la fiscalité écologique pour financer les politiques environnementales et amortir leur impact social.

3 types d’usages à développer (cumulables) :– atténuer l’effet de cette nouvelle fiscalité sur les précaires ;– affecter une part à des politiques (notamment incitatives) favorables à l’environnement ;– remplacer d’autres fiscalités (notamment celles pesant sur le travail).

6. Promouvoir la fiscalité environnementale au niveau européen.

Au niveau européen, comme le préconise le rapport du groupe de haut niveau sur les ressources propres dirigé par Mario Monti publié en 2013, les taxes environnementales des États membres européens, en particulier celles portant sur le CO2, pourraient être harmonisées afin de conduire à la création d’une ressource propre « environnementale ».Le produit de cette ressource propre pourrait être fléché vers des investissements finançant des projets ayant un impact environnemental positif.

PEPS

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